Bien sûr, il y a McEnroe, Sampras, Nadal ou Safin. Mais l’honneur d’inscrire le point décisif en finale de la Coupe Davis par BNP Paribas ne revient pas toujours à des géants du tennis. Depuis que la mondialisation a abîmé les superpuissances américaines et australiennes, les légendes ont même bien souvent laissé ce privilège à de simples mortels devenus demi-dieux le temps d’un match. Florilège de ces noms que rien ne prédestinait à entrer au Panthéon.
John Alexander le grand (1977)
Le héros des héros, c’est peut-être lui. En 1977, l’Australie regarde avec nostalgie sa dernière génération faste s’éteindre doucement : en même temps que déclinent Laver, Rosewall et autres Newcombe, trois décennies d’hégémonie totale de l’île-continent se referment tristement. C’est dans ce contexte morose que John Alexander, 26 ans et n°18 mondial, réalise le week-end de sa vie, dans sa propre ville natale de Sydney, face à une équipe d’Italie en quête de doublé. Le vendredi, Alexander permet aux siens de s’échapper 2-0 grâce à son succès en quatre sets sur Corrado Barazzutti, notoirement allergique au gazon. Nullement touché par la perte du double le lendemain, il sort le grand jeu dans le quatrième match, battant le n°1 italien Adriano Panatta au bout du suspense, 11 jeux à 9 au cinquième set ! Malgré deux succès en double à l’Open d’Australie – à relativiser tant les meilleurs mondiaux boudaient alors l’évènement – ce week-end à Sydney s’avère de loin la plus belle émotion sportive de la longue carrière d’Alexander.
Eric Jelen, le bras droit de Boris (1988)
En 1988 et 1989, la République fédérale d’Allemagne met à terre par deux fois en finale la grande équipe de Suède de Mats Wilander et Stefan Edberg. L’artisan principal de ces premiers triomphes allemands en Coupe Davis par BNP Paribas est évidemment Boris Becker, l’homme aux 38 succès en 41 simples disputés dans la compétition. En 1988, pour le premier sacre de la RFA, « Boum-Boum » partage pourtant la joie d’inscrire le point décisif avec son partenaire de double habituel, Eric Jelen, 18e raquette mondiale dans la spécialité, 23e en simple à son meilleur. Un véritable joueur de l’ombre, même pas vraiment n°2 de son équipe – ce rôle était dévolu à Carl-Uwe Steeb – mais galvanisé par la présence à ses côtés de son charismatique leader. Au point que sur l’ensemble des deux campagnes victorieuses de la RFA, Becker et Jelen ont gagné six de leurs sept doubles disputés ensemble.
Arnaud Boetsch, au bout du suspense (1996)
Le final le plus haletant de toute l’histoire de la Coupe Davis par BNP Paribas, le premier à se jouer au cinquième set du cinquième match. A Malmö en 1996, face à la Suède du monstre sacré Edberg et de la terreur de l’indoor Enqvist, les Bleus comptent essentiellement sur Cédric Pioline, 21e ATP et unique Français classé parmi les 30 meilleurs mondiaux. Le salut viendra pourtant d’Arnaud Boetsch dans l’ultime match décisif, non face à Edberg, blessé, mais contre Nicklas Kulti. Un match tendu, de qualité technique moyenne mais au suspense maximal : impuissant sur le service adverse, Boetsch parvient cependant à chiper deux manches au jeu décisif pour arracher le cinquième set. Quand il parvient enfin à breaker le Suédois, à 9-8, au bout de 4h40 de jeu, c’est pour servir pour le match et offrir sa huitième Coupe Davis par BNP Parivas à la France. Quelques minutes plus tôt, il avait sauvé trois balles de défaite à 6-7, 0-40 !
Jonas Björkman : et 1, et 2, et 3-0… (1994, 97 et 98)
Bien sûr, Jonas Björkman présente un tout autre CV que les joueurs qui l’accompagnent dans cette sélection : double demi-finaliste en Grand Chelem, n°4 mondial, neuf fois titré en Grand Chelem en double… Le palmarès du serveur-volleyeur au collier en dents de requin a plutôt fière allure. Il est pourtant rehaussé par le fait qu’il a inscrit le point décisif en finale de Coupe Davis par BNP Paribas, non pas une fois, non pas deux fois, mais bien à trois reprises ! Pilier de l’équipe suédoise qui a remporté le Saladier d’argent en 1994, 1997 et 1998, il a clôturé l’affaire à chaque fois en inscrivant le point du 3-0 dès le samedi, aux côtés de Jan Apell la première année, puis les deux suivantes avec Nicklas Kulti (qui au passage guérissait là de belle manière la blessure de Malmö). Dans l’ère Open, seul John McEnroe peut se targuer d’avoir fait mieux en remportant la partie décisive en quatre occasions.
Nicolas Escudé, l’herbe lui donne des ailes (2001)
En 2001, la France se rend en Australie y défier Lleyton Hewitt, n°1 mondial, et Patrick Rafter, n°7, sur le gazon posé pour l’occasion sur la Rod Laver Arena de Melbourne Park. L’équipe de France peut compter sur Sébastien Grosjean, n°6 ATP, et Arnaud Clément, finaliste à l’Open d’Australie et brièvement 10e mondial au printemps. Mais le héros de cette rencontre va en réalité s’appeler Nicolas Escudé. Préféré à Clément en raison de ses aptitudes sur gazon, le n°27 mondial va compenser brillamment le week-end manqué de Grosjean. Le premier jour, le « Scud » s’offre Lleyton Hewitt en cinq sets, comme il l’avait déjà fait en huitième de finale de Wimbledon quelques mois plus tôt (sur l’ensemble des saisons 2001 et 2002, Escudé sera d’ailleurs le seul joueur à battre Hewitt sur herbe). Et lors du dernier match décisif, disputé face à Wayne Arthurs en raison d’une blessure de Rafter, le Palois ne se laisse pas troubler par son statut de favori et l’emporte en quatre manches. Le plus bel épisode d’une carrière pour le reste tronquée par les blessures.
Mikhail Youzhny, même pas tsar (2002)
Janvier 2002 : Mikhail Youzhny est encore un anonyme 70e mondial. Décembre 2002 : le voilà promu sauveur de la patrie quand il score le point final de la première Coupe Davis par BNP Paribas de la Russie, aux dépens de la France. Aussitôt bombardé héros national, le jeune Youzhny ? Même pas. Marat Safin et Ievgueni Kafelnikov prennent trop de place pour cela : le premier a réalisé une campagne ébouriffante, le second est une icône au pays de Boris Eltsine, malgré un déclin alors bien entamé. C’est d’ailleurs ce dernier facteur qui conduit le capitaine Shamil Tarpischev à lui préférer Youzhny pour le cinquième match décisif contre Paul-Henri Mathieu. Et même si les démonstrations de liesse oublieront quelque peu le calme Youzhny, c’est un sacré exploit que réussit là le 32e mondial, propulsé sur le devant de la scène en battant « PHM » en cinq sets, alors qu’il était mené deux sets à rien et est passé à deux points de la défaite dans le quatrième set. L’acte fondateur d’une belle carrière qui allait le voir se hisser jusqu’au 8e rang mondial.
Viktor Troicki, héros d’un jour… et pas un de plus (2010)
Le plus grand des paradoxes concernant Viktor Troicki est que la victoire de la Serbie dans l’édition 2010 de la Coupe Davis par BNP Paribas a transcendé durablement tous les membres de l’équipe… sauf lui, pourtant l’homme qui a remporté le cinquième simple décisif face à Michaël Llodra. Pendant que Novak Djokovic signait une fabuleuse saison 2011 et que Janko Tipsarevic se frayait un chemin parmi le Top 10, Troicki n’a jamais retrouvé le très bon niveau atteint les semaines précédant la finale de l’épreuve, quand il devait gagner sa place de n°2 serbe aux dépens de « Tipsy ». Son unique titre ATP, conquis à Moscou, remonte d’ailleurs à cette période. Il a ensuite vivoté entre la 20e et la 30e place mondiale, avant d’écoper d’une suspension d’un an en 2013, pour avoir refusé de sacrifier à un contrôle antidopage à l’occasion du tournoi de Monte-Carlo.
Radek Stepanek repousse les limites de l’âge (2012)
A bientôt 35 ans, il y a longtemps que Radek Stepanek a cessé de jouer les premiers rôles en simple sur le circuit ATP. Mais le Tchèque est un finaud et, conscient qu’il ne retrouvera jamais ni le Top 10, ni les quarts de finale d’un Grand Chelem – deux coups d’éclat réalisés en 2006 – il étoffe intelligemment son palmarès à côté : deux titres du Grand Chelem en double, et surtout une Coupe Davis par BNP Paribas remportée l’an dernier, la première de la République Tchèque depuis les jeunes années d’Ivan Lendl. Reconverti lieutenant de Tomas Berdych, l’homme aux t-shirts immondes devient même le héros de la finale en battant l’Espagnol Nicolas Almagro, qui le précède pourtant de 20 places dans la hiérarchie (11e contre 31e). A 33 ans, le serveur-volleyeur tchèque devient alors le joueur le plus âgé à jamais avoir marqué le point décisif en finale de l’épreuve centenaire. En attendant peut-être d’améliorer encore cette marque à la fin du week-end.