Mettez-le au pied du mur, il trouvera le moyen de se fabriquer une échelle. Mettez-le devant un gouffre, il cherchera comment faire un grand pas en avant. Après s’être confectionné des bottes de sept lieues. Pour enjamber le vide. Certes, le comportement de Corentin Moutet sur le court, dans les mauvais jours, divise. Certains l’adorent, d’autres aiment pester contre lui. Le propre des joueurs qui ont un peu plus qu’un grain de folie sur le terrain, comme Nick Kyrgios, Alexander Bublik, Benoît Paire ou encore Fabio Fognini. Chacun avec un style et une personnalité uniques. Mais un point sur lequel l’enchanteur de ce Roland-Garros 2024 est irréprochable, c’est sa force de caractère et de travail.
Parce que ce huitième de finale de Roland-Garros, le gaucher de 25 ans ne se l’est pas offert par magie. Il est allé le chercher en revenant de loin. Très loin. Très, très loin. Tendon du poignet droit rompu dès le début de de l’Open d’Australie 2023, il avait été contraint d'abandonner son revers à deux mains pour ne faire que des slices. Malgré ça, repoussant les limites, il était parvenu à s’imposer en cinq manches contre Wu Yibing, avant de s’incliner 3-6, 6-4, 6-2, 7-5 contre Francisco Cerúndolo au deuxième tour. Opéré peu après, il n’avait pu reprendre la compétition que trois mois plus tard. En étant contraint de jouer toute le reste de la saison avec un revers à une main.
Bon nombre de ses adversaires ont su exploiter cette faiblesse. Notamment en montant à la volée sur le revers du Français. Judicieux. Difficile de tirer un passing avec un slice, ou recouvert avec un coup sur lequel on a l’habitude d’utiliser l’action de ses deux pattes depuis toujours. Résultat, malgré quelques coups d’éclat - ou plutôt des exploits étant donné le contexte - comme son titre Challenger à Helsinki en novembre - tournoi avant lequel il avait chuté au classement. Au point d'être 173e mondial avant son titre dans la capitale finlandaise, après avoir été 51e en début d’année, soit le meilleur classement de sa carrière. Avec son parcours sur l’ocre de la porte d’Auteuil, il est, avant de défier Jannik Sinner, virtuellement 56e de la hiérarchie planétaire.
« On a beau travailler dans l’ombre, ça ne paie pas toujours tout de suite. Il faut être patient, continuer, travailler, être persévérant »
« Oui, le travail a payé, a-t-il répondu en conférence de presse après son troisième tour sur l'ocre de la porte d'Auteuil. C’était parfois dur de travailler, dans la tête, dans tout. Les entraînements étaient beaucoup plus intenses du fait d’avoir ce handicap. Ça a été une période compliquée, mais mon équipe m’a soutenu. On a traversé cette tempête tous ensemble. Mais c’était dur, parce qu’on remettait mes choix en questions. Les gens avaient oublié que j’avais ce handicap. Quand je perdais un match, que je redescendais au classement, ça ne leur paraissait pas normal, alors que je devais faire mon revers à une main. »
Une année difficile, dans laquelle il a su puiser du positif. « Je suis content, ça m’a forgé, a-t-il confié. Je croyais en moi. L’objectif était de retrouver cette deuxième main. Ça m’a pris plus de temps que prévu. Le travail paye toujours. Je savais qu’on faisait du bon boulot, et que c’était une question de temps. Ce n’est jamais linéaire. On a beau travailler dans l’ombre, ça ne paie pas toujours tout de suite. Il faut être patient, continuer, travailler, être persévérant. » Un chemin de labeur l’ayant conduit jusqu’à la deuxième semaine de « Roland » pour la première fois, pour affronter Sinner. Le numéro 2 mondial. Le vainqueur de l’Open d’Australie, et terreur du circuit depuis fin 2023. Mais pas de quoi effrayer Moutet outre mesure.
« Chaque match est une épreuve depuis le début, les joueurs jouent très bien, et Sinner est évidemment un plus gros client encore, mais je crois en mes chances, a déclaré le Tricolore de 25 ans sur le plateau de France TV samedi après-midi. J’ai fait tous ces efforts pour être là. En tout cas, je suis super ambitieux pour ce Roland-Garros. J’ai envie de garder la tête froide, c’est important parce que plus on avance, plus il y a de bruits autour, de sollicitations. Mais c’est aussi important d’être ambitieux, sinon on ne peut pas espérer faire de grandes choses. »
Tenter des coups qui peuvent être perturbants pour l’adversaire, c’est qui me rend spécial. Mais le fond de jeu, c’est le plus important.
Après avoir embrasé les courts Simonne-Mathieu et Suzanne-Lenglen pour cuire ses opposants - dont Nicolás Jarry, 16e mondial et finaliste du Masters 1000 de Rome - lors deux trois premiers tours, le natif de Neuilly-sur-Seine devrait cette fois avoir droit aux honneurs du Philippe-Chatrier. Une marmite plus grande encore à chauffer, jusqu’à la transformer en chaudron pour espérer pouvoir cuisiner l’Italien au sang froid à toute épreuve, aux veines dans lesquelles il coule de la glace. Pour ce faire, il peut aussi compter sur son style de jeu. Allumette capable de mettre le feu aux poudres pour enflammer le public, son tennis peut aussi entrer dans la tête de ses adversaires au point de mettre leurs cerveaux en surchauffe.
Du haut de son mètre soixante-quinze, le protégé de Petar Popović n’a pas la puissance des colosses du circuit. Mais depuis toujours, comme expliqué dans un portrait signé Eurosport, il a une qualité innée : la créativité. Celle qui, couplée à une main bénie des dieux, lui permet de sortir des coups en toucher venus d l'Olympe, de varier effets, rythmes et trajectoires comme peu en sont capables. Pour lui, c’est surtout dans un autre domaine qu’il a fallu progresser. « Ce que je travaille au quotidien, c’est renforcer mon jeu de fond, plus ‘basique’, a-t-il expliqué, toujours sur France TV. C’était très important. Quand j’étais jeune, je n’étais pas assez bon dans les choses simples. »
« Trouver l’équilibre (entre simplicité et créativité) n’a pas été facile, a-t-il ajouté. Tenter des coups qui peuvent être perturbants pour l’adversaire, c’est qui me rend spécial et me fait gagner des matchs. Mais le fond de jeu, c’est le plus important. C’est ce qui fait remporter le plus grand nombre de rencontres. Il faut trouver le juste milieu entre les deux, ce qui n’est pas toujours évident. » Une harmonie, lorsqu’elle est atteinte, qui lui donne l’espoir de pouvoir soulever des montagnes. Comme celle, nommée Jannik Sinner, qui se dresse désormais devant lui alors qu'il cherche à rallier un sommet où il n’est encore jamais allé : les quarts de finale de Grand Chelem.
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