Mais pourquoi donc les tennismen se parlent à eux-mêmes?

10 oct. 2013 à 00:00:00

Le tennis est un sport bavard. Un sport où certain usent beaucoup de salive entre deux points pour s'engueuler le plus souvent. Mais pourquoi ça ?

Le tennis est un sport bavard. Un sport où certains et certaines usent beaucoup de salive entre deux points (pour s’engueuler le plus souvent). Mais qu’est-ce qui peut bien les pousser à dialoguer avec eux-mêmes devant des milliers d’étrangers et des millions de téléspectateurs ?

 

« Aucun sportif ne se parle autant que nous. Le joueur de tennis ressemble à ces fous dans les jardins publics qui se parlent à eux-mêmes. » A priori, André Agassi est un homme saint d’esprit. Mais la légende du tennis américain a bien remarqué une particularité propre à son sport : cette propension à se parler à voix haute. Si un Roger Federer est devenu muet comme une tombe après un début de carrière passée à fracasser des raquettes et vitupérer en suisse-allemand, d’autres n’ont jamais cessé d’être des moulins à paroles. Ainsi un Gilles Simon est encore plus bavard qu’un film de Woody Allen, du genre à auto-commenter le moindre de ses points.

Mais d’où vient cette «folie» décrite par Agassi ? Psychologue de formation, Makis Chamalidis travaille depuis des années avec la Fédération Française de Tennis (FFT) et met en avant les temps morts, propres au tennis, pour expliquer ce phénomène : « Après chaque point, vous avez 20 à 25 secondes où il ne se passe pas grand-chose. C’est assez normal de se parler. On a des choses à régler, on a besoin d’analyser ce qu’il s’est passé ou d’évacuer sa frustration. Il n’y a pas ces pauses dans d’autres sports, ou alors elles interviennent avec une personne extérieure qu’est l’entraîneur. » Et ce temps avec soi-même, beaucoup l’occupent en monologuant. Julien Boutter a longtemps été l’un d’eux. « Je me parlais beaucoup en début de carrière, jusqu’à ce que je comprenne que c’était une perte de temps et d’énergie, estime l’ancien 46e joueur mondial. Mais il m’a fallu du temps et malheureusement pour moi, j’y suis arrivé relativement tard. Il n’y pas de hasard, c’est à partir de là que j’ai obtenu mes meilleurs résultats. »

Créer une routine plutôt que parler

 

Parler ne rimerait pas souvent avec gagner. « La majorité des joueurs ne se parle pas beaucoup quand tout va bien », juge Jean-Paul Loth. Pour l’ancien capitaine de l’équipe de France de Coupe Davis par BNP Paribas, parler tient surtout de l’aveu de faiblesse et d’impuissance : « Quand les choses tournent mal, les joueurs pensent que s’exprimer, râler, va leur apporter quelque-chose alors que c’est tout le contraire. » Julien Boutter confirme et détaille. « Pour moi c’était forcément une perte d’énergie. On montre à l’adversaire qu’on n’est pas en paix avec soi-même, on lui donne des indications, analyse l’actuel directeur de l’Open de Moselle. C’est une sorte de fuite en avant. Très souvent quand le joueur se parle, ce qu’il se dit est décalé par rapport à la réalité du match. On va mettre la responsabilité sur un faux problème. On va dire ‘’Je ne sens pas la balle’’, ‘’Mon coup droit est nul’’, ça ne fait pas bien jouer au tennis. »

En 1994, une étude américaine menée sur des juniors montrait qu’une parole négative augmentait les chances de mal jouer. Or, le tennisman a tendance à verser dans l’autodénigrement quand il va s’exprimer. « Marat Safin s’est flingué la moitié de sa carrière à cause de ça », rappelle  Boutter.  Faut-il alors chercher à bâillonner un joueur trop porté sur le langage négatif, comme l’avait fait le père et entraîneur de Chris Evert en début de carrière (avec le succès que l’on connaît) ? Makis Chamalidis ne croit pas à l’interdiction : « On ne peut pas dire à un joueur d’arrêter de se parler. Si je vous dis de ne pas penser à la couleur rouge, vous allez penser à la couleur rouge. » Le psychologue préfère préconiser un travail sur soi pour éviter cette dispersion mentale : « L’entraînement mental permet d’installer une routine entre deux points. Cette routine va lui permettre symboliquement de lui faire penser au point suivant. C’est pour ça que certains joueurs et joueuses font toujours la même chose pendant ce temps mort de 20 secondes. Qu’ils aient gagné ou perdu le point précédent. » Pour le coauteur de Champion dans la tête, ce travail qui peut paraître mécanique différencie les meilleurs de « ceux qui n’ont rien prévu pour canaliser leurs émotions. » Chamalidis cite en exemple le tic légendaire de Pete Sampras : « Quand il regarde son cordage, ce n’est pas de la superstition, c’est une création mentale pour donner du sens à ce qu’il doit faire et passer au point suivant. » Au risque de passer pour un fou. Mais un fou qui gagne à la fin.

Par Alexandre Pedro 

Avantages

Découvrez les avantages WE ARE TENNIS

En savoir plus