19 mars 1998. Quatre jours après son sacre à Indian Wells, Marcelo Ríos traverse les États-Unis et débarque à Miami pour y disputer le second Super 9 - ancien nom des Masters 1000 - de la saison. Même s’il n’a jamais fait mieux qu’un troisième tour en Floride, le Chilien espère bien surfer sur son succès californien et repartir avec le trophée. En revanche, la place de n°1 mondial ne trotte pas dans sa tête. Déjà, car Pete Sampras, bien que contrarié par des problèmes physiques, enchaîne sa centième semaine consécutive sur le trône. Mais aussi car Pat Rafter, Petr Korda et Greg Rusedski sont mieux placés que lui en embuscade. Sauf que les planètes s’alignent : Rafter perd au deuxième tour, Sampras au troisième Korda et Rusedski tombe dès les huitièmes de finale. Pour Ríos, la donne est simple : en cas de victoire à Miami, la place de numéro 1 mondial sera pour lui. Sur son nuage, “El Chino” récite son tennis et écrase André Agassi en finale (7-5, 6-3, 6-4) pour s’offrir le Sunshine Double (victoire à Indian Wells et Miami) et une place tout en haut du classement ATP. Et ce, même s’il n’a pas encore remporté le moindre tournoi du Grand Chelem. Seul Ivan Lendl avait réussi cet exploit avant lui. Devenu le premier sud-américain n°1 mondial, Marcelo Ríos devient alors une véritable star au Chili. Il faut dire que le pays sort de dix-sept ans de dictature militaire sous Augusto Pinochet et n’a jamais eu l’occasion de voir un sportif briller dans le monde. Alors le peuple chilien s’enflamme pour le tennisman et ils seront même des milliers dans les rues de Santiago lorsque Ríos est reçu au palais présidentiel par le chef d’État Eduardo Frei. Problème, le gaucher répond à cet amour à sa manière. Soit par un coup de poing, comme lors de cette soirée post remise de trophée où il frappe au visage un fan qui hurlait « Chi-chi-chi, le-le-le ». La raison de ce coup ? « Il m’énervait. »
Prix Citron, catogan et punchlines
Les Chiliens ne sont pas les seuls à être tombés sous le charme de son catogan. Tous les fans de la petite balle jaune ne pouvaient pas rester insensible au jeu proposé par El Chino : gaucher, revers sauté, contre-puncheur, capacité à trouver des angles improbables, variations, effets, amorties slicées. Bref, Marcelo Ríos avait une palette technique complète. Loin, très loin des standards de l’époque qui voulaient que les tennismans soient tous des golgoths qui envoient des sacoches du fond de court. Que ce soit donc par son jeu, son catogan, sa nationalité, ou par sa taille - il est devenu avec ses 175 cm le plus petit n°1 mondial de l’histoire -, celui qui révélera en 2018 au journal La Tercera avoir le syndrome d’Asperger - “Sur les 60 symptômes mentionnés, j’en ai identifié 59 chez moi” - était donc bien différent des autres joueurs du circuit. Mais si les fans adoraient le personnage, c’était moins le cas de ses adversaires et de la presse. Il faut dire que celui qui a été désigné à cinq reprises Prix Citron de Roland-Garros (attribué au joueur au caractère le plus désagréable du tournoi) n’était pas connu pour son amabilité. Et ce n’est Monica Seles à qui il a lancé un « tu as un trop gros cul pour jouer au tennis » dans les travées de Wimbledon - un tournoi qu’il disputera qu’à trois reprises car « l’herbe, c’est pour les vaches, pas pour les joueurs de tennis » - qui dira le contraire.
Parmi ces ennemis, on retrouve le Roumain Ilie Năstase : « Ríos est le pire connard que j’aie jamais rencontré. Demandez à tous les joueurs ce qu’ils pensent de lui, vous aurez la même réponse. » Pourtant, tous sont unanimes sur le talent du Kyrgios des années 90. Thomas Enqvist ? « Il devançait la balle, c’était surnaturel. » Mariano Zabaleta ? « C’est le Maradona du tennis. Un style unique, un toucher de balle exceptionnel. Tu tombais immédiatement amoureux de son jeu ! » Roger Federer ? « J’étais un grand admirateur de Marcelo. Je pense que c’est le joueur qui possédait le plus grand talent. Lui et Pete Sampras étaient mes joueurs préférés. » C’est donc ça Marcelo Ríos. Un homme capable de lancer un « fille de pute » à une fillette de 12 ans qui voulait un autographe, de jouer de la main droite dans un tournoi juniors en Floride alors qu’il mène 2 sets à 0, de snober Nelson Monfort qui voulait une interview, mais aussi de faire lever les foules sur un geste dont il a le secret.
Nouveau look pour une nouvelle vie
C’est donc dans la peau du n°1 mondial que Marcelo Ríos se rend en Argentine pour y disputer une rencontre de Coupe Davis. S’il s’impose face à Hernán Gumy, le Chilien se blesse au coude et ne peut ainsi pas aller défendre son titre à Monte Carlo. Résultat, il ne dispute que trois matchs en tant que n°1 mondial, une place qu’il ne gardera que six semaines au total. Seuls Carlos Moyà et Pat Rafter ont fait moins dans l’histoire de l’ATP. Le début de la fin pour celui qui remportera tout de même le Super 9 d’Hambourg un an plus tard. En revanche, il ne soulèvera pas le moindre Grand Chelem, restant à ce jour le seul n°1 mondial sans titre suprême à son actif. Même s’il a tout fait pour rafler le titre à l’Open d’Australie 98 - sa seule finale en Grand Chelem - qu’il a perdu face à Petr Korda, contrôlé positif à la nandrolone lors du Wimbledon de la même année et suspendu un an. Mais le Tchèque n’a pas été destitué de son titre, son contrôle antidopage après sa victoire face à Ríos étant négatif. Une décision confirmée par l’ITF en 2015 lorsque le Chilien a fait une demande d’attribution rétroactive. Une bataille juridique qui fait peine à voir, à l’image de la fin de carrière d’El Chino qui, miné par les blessures, ne peut plus faire oublier ses nombreuses frasques par son génie sur le court.
Parmi elles, un match au tournoi de Vina Del Mar où il a fait exprès de servir dans le mauvais rectangle ou cette soirée de 2003 où il est sorti en boite de nuit à la veille d’un match de Coupe Davis, a uriné sur un individu, terminé dans le mur avec sa voiture et raté ainsi l’avion pour se rendre en Équateur disputer la rencontre. Et c’est donc dans l’anonymat du Challenger de San Luis Potosi (Mexique), sur un abandon au deuxième tour que Ríos prend officiellement sa retraite en 2004. À 28 ans. Deux ans plus tard, il devient n°1 mondial du Senior Tour - devenant ainsi le seul joueur à l’avoir été chez les juniors, chez les pros et chez les séniors - et tentera un come-back en 2019 au Challenger de Columbus mais sa wild-card lui a été refusé alors qu’il voulait devenir le plus vieux joueur à remporter un tournoi pro. Désormais, Marcelo Ríos vit en Floride, roule en corvette immatriculée “M.RIOS”, fait du jet ski et passe son temps entre la salle de sport, se transformant en un véritable culturiste, et les réseaux sociaux, où il continue de dire n’importe quoi. Le Chilien a fait du botox, possède plein de tatouages et a son lot de haters. Mais ça, ça ne le change pas de sa carrière de tennisman.