Roger Federer ou l’éloge du beau

3 oct. 2013 à 00:00:00

Roger Federer ne gagnera sans doute plus de tournoi du Grand Chelem, mais qu’importe. Le Mag We Are Tennis lui a rendu hommage.

Il faut se rendre à la triste évidence, Roger Federer ne gagnera sans doute plus de tournoi du Grand Chelem. Qu’importe, il sera encore le plus beau et fascinant joueur du circuit. Et pour toujours.

 

Un choc que de voir Federer ainsi se saborder face à Tommy Robredo en huitièmes de finale du dernier US Open. Une souffrance. Même si la saison du Suisse n’augurait pas vraiment du meilleur (entre problème de dos et pause de sept semaines après Indian Wells), personne n’avait vu venir une telle désillusion. Car voir perdre Roger est toujours une désillusion. Littéralement :  quand l’illusion s’arrête. La grande illusion : celle qui laisse à croire que la beauté sauvera le monde.

                       

En sport, on dit souvent que l’on ne se rappelle que des vainqueurs. Ceci est une sombre connerie. Records, palmarès et autres livres d’histoire finissent toujours par tomber dans l’oubli. Pas les gestes. Oui, Federer a effectivement passé 302 semaines tout en haut du classement ATP (un record) et accroché 17 trophées du Grand Chelem (un autre record) au-dessus de sa cheminée, il n’empêche, on se rappellera surtout de sa gestuelle. Davantage que les exploits subsistera la beauté de ce mouvement du bras et du corps. Il faut l’écrire et le répéter : Roger Federer est l’incarnation parfaite du beau geste.

 

Platon, Zidane et Marat Safin

 

Avant d’être le meilleur, le plus grand, le plus couronné, le plus célébré, Roger est d’abord et avant tout le joueur le plus fluide que le tennis n’ait jamais connu. Chaque coup, chaque revers (à une main, bien sûr), chaque volée, chaque pas, chaque mouvement du corps est à montrer dans toutes les écoles de tennis. Voire dans tous les salons où l’on parle de style. Chaque ondulation de Federer est une explication de texte, écrite par la plus belle des plumes, de ce que devrait être chaque geste de quiconque se dit tennisman. La pureté dans ce qu’elle a de plus éblouissant, quand elle cogne aussi simple que juste. En un mot : la perfection. Si Platon était encore parmi nous, il expliquerait volontiers que Roger Federer est l’idée même du tennis, et que tous les autres ne font que reproduire.

 

Ce qui rend Roger encore plus beau, c’est que lui-même a dû lutter contre le poids de cette beauté, casser des raquettes et péter des plombs, avant de pouvoir la dompter, l’apprivoiser, et son tennis avec. D’ailleurs, quand il n’y parvient pas ressurgissent ses vieux démons. Jet de raquette à Miami en 2005 contre Nadal, en 2009 contre Djoko, engueulade avec l’arbitre en finale de l’Open d’Australie 2009 contre Del Potro… Ainsi, Roger aurait pu demeurer une éternelle une étoile filante à la Marat Safin, capable du meilleur comme du pire, et rester au grand jamais un joueur dont on parle en commençant généralement ses phrases par « et si ».

 

Quelque part, et quand il était dans un bon jour, le Russe était aussi beau que le Suisse. Mais Roger, lui, a réussi à associer cette beauté à la maitrise (de ses nerfs, de son talent) pour devenir à la fois le meilleur et le plus beau. Fini la nonchalance de celui qui joue pour la beauté du geste, Roger a choisi de sublimer la beauté pour la mettre au service du résultat, de l’efficacité et de la stabilité. Ce qui, par exemple, différencie un Pastore d’un Zidane. De la même manière que Zinedine Zidane était le joueur de football le plus collectif qui soit (ce qui le rendait individuellement plus fascinant encore) Roger est le tennis comme on aurait tous aimé le jouer. Au vrai, il a tout simplement révélé un tennis qui n’avait jamais été représenté de manière aussi pure. En cela, Federer a tout simplement changé notre vision du monde. Ou, au moins, celle d’un court de tennis.

 

Federer, créateur de souvenirs instantanés

 

Ce qui distingue encore, et distinguera toujours, le Suisse des autres joueurs, c’est son rapport au temps, unique. Déjà, parce que sa fluidité laisse à croire que le temps s’arrête quand il joue ; comme si le présent lui-même voulait en profiter. Ensuite par sa capacité à créer du souvenir en temps réel. A peine un coup joué que l’on sait, que l‘on sent : on s’en rappellera dans plusieurs semaines, mois, années. Au moment même où on le voit, immédiatement (littéralement sans média, sans personne), on comprend que l’on vient d’assister à quelque chose d’aussi unique que beau, d’aussi spécial qu’éphémère. Les coups de Roger sont autant d’instants de vie dont nous sommes les témoins privilégiés. Alors, instinctivement, on fait tout pour les graver dans notre mémoire, collective comme individuelle, pour ne jamais oublier et surtout pouvoir, plus tard, s’en rappeler. Comme s’ils venaient de se dérouler, comme si tout cela ne devait jamais s’arrêter.

 

Roger est le plus beau, car il nous fait sentir le temps qui passe, nous donne envie de le retenir le long de ses coups droits, nous le fait regretter pendant qu’il monte à la volée et nous montre quoi faire avec celui qui reste : vivre le temps comme lui joue au tennis. De manière belle, pure, victorieuse. Bref, triomphale. Rien ne nous empêche à notre tour d’essayer, d’autant que Roger va maintenant avoir la courtoisie de moins gagner.

 

Par Simon Capelli-Welter

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