“Les souvenirs d’un homme constituent sa propre bibliothèque”, a dit Aldous Huxley, auteur, notamment, de Le Meilleur des mondes. Un livre, rangé parmi les grands classiques de la dystopie d’anticipation au même titre que 1984 de Georges Orwell, qui a, par exemple, inspiré le son Soma à Disiz. Voilà de quoi étaler sa culture pour régaler avec une belle tartine lors d’un repas entre potes. Ou de passer pour le crâneur qui aurait mieux fait laisser tomber sa Cracotte du mauvais côté ; ou du bon, en se plaçant du point de vue des amis sauvés d’un moment de somnolence. Pour Daniil Daniil Medvedev, les souvenirs d’Indian Wells n’ont jusqu’à présent jamais trouvé place au rayon “épopée”.
Avant sa victoire marathon - 6/7⁵ 7/6⁵ 7/5 en 3h17 - contre Alexander Zverev mardi, le Russe n’avait jamais dépassé les huitièmes de finale du BNP Paribas Open. Le seul Masters 1000, hors terre battue, où il n’avait pas encore franchi ce cap. Même sans briller autant qu'il l'aurait souhaité sur la scène californienne, le natif de Moscou a offert quelques frasques difficilement oubliables. À l’instar de celle qui a fait le buzz pendant sa victoire 6/2 3/6 6/1 contre Ilya Ivashka dimanche. Après la perte du deuxième set, l’ancien numéro 1 mondial avait décidé de quitter le court pour soulager sa vessie. Et sa frustration envers la vitesse de la surface, en se muant en génie de l’absurde pour improviser un dialogue digne d’Eugène Ionesco. Sans Cantatrice chauve, mais avec une logique personnelle un poil “capilotractée”.
“Je vais rester aux toilettes aussi longtemps que ce court est lent, donc ça pourrait prendre 25 minutes” - Daniil Medvedev
- Daniil Medvedev, à Mohamed Lahyani, l’arbitre : Je vais rester aux toilettes aussi longtemps que ce court est lent, donc ça pourrait prendre 25 minutes.
- Mohamed Lahyani : Non, haha !
- Daniil Medvedev : Non, non, le court est lent, j’y vais lentement. Je prends tout mon temps.
- Mohamed Lahyani : S’il te plaît, accepte ça. Tu dois l’accepter Daniil, tu es un professionnel.
- Daniil Medvedev : Je ne l’accepte pas. Sur la fiche du tournoi, ils disent que c’est du dur. Ce n’est pas du dur. Ils me mentent, donc…
- Mohamed Lahyani : Le court est le même pour tout le monde (sourire).
Une répétition avant d’enrichir sa performance face à Zverev. “Je vais aux toilettes, donne-moi un avertissement, cinq avertissements pour dépassement de temps, je m’en fous, je vais prendre autant de temps que ce court est lent, a-t-il envoyé à Renaud Lichtenstein, l’homme de chaise, après avoir cédé l’acte initial. Si on nous autorise à jouer sur un tel court, je peux m’autoriser à faire ce que je veux. L’ATP ne vérifie pas assez bien les courts. Ce n’est pas du dur. Ils devraient le catégoriser comme ‘dur très lent’. Il y a des micros, je veux que les gens le sachent : ils font mal leur boulot. Je sais ce qu’est du dur, je suis un spécialiste.” Si le discours est resté sensiblement le même que lors du tour précédent, il a ajouté un petit jeu d’acteur du meilleur effet. En allant tâter le terrain avec ses semelles, sous l’œil d’un Zverev mi-blasé, mi-rigolard.
En 2021, il nous avait proposé un autre type de talent comique. Plus proche du stand-up, en alliant punchline dont il a le secret, et du théâtre de boulevard par sa gestuelle. Après avoir mené 6/4 4/1 en huitième de finale, le surnommé “Danya” s’était finalement incliné contre un Grigor Dimitrov retrouvant le niveau qui l’avait porté jusqu’au 3e rang de la hiérarchie planétaire en 2017. Une qualité de jeu que le Bulgare a plus rarement produite depuis, comme l’a fait remarquer Medvedev. À sa façon. En plein match. “Ce n’est pas possible de jouer comme ça, a-t-il lâché, en français, à son entraîneur Gilles Cervara tout en faisant zigzaguer ses grands bras pour illustrer les fluctuations du tennis de Dimitrov. Ton niveau bas (celui de Dimitrov) est ici (il descend sa main presque au niveau du sol), ton niveau haut est ici (il monte sa main très haut) et tu le joues une fois dans l’année. Pourquoi aujourd’hui ?” Pour gagner, sans doute.
17 victoires de suite pour Medvedev
L’an passé, ce fut en duo que l’actuel 6e du classement ATP avait permis à l’assemblée de se délecter de quelques cocasseries. Avec Gaël Monfils. Vaincu 4/6 6/3 6/1 par un Français maniant ruses et tactique, le vainqueur de l’US Open 2021 avait notamment encaissé deux services à la cuillère, dont un sur la balle de deuxième manche. Quelques instants plus tard, après la perte de son engagement dès l’entame du troisième round, il en avait brisé son outil de travail. Une perche tendue pour Monfils, qui en a profité pour amuser le public en allant déblayer l’endroit où la raquette fracassée avait laissé des débris. Une facétie redonnant aussi le sourire à son adversaire devenu, malgré lui, partenaire de sketch.
Ce revers contre “la Monf’” lui avait coûté sa place de numéro 1 mondial, occupée durant deux semaines. Une descente qui s’était poursuivie jusqu’à une sortie du top 10 - intégré en juillet 2019 - pour se retrouver 12e début février 2023. Depuis, Daniil Medvedev a redressé la barre pour remettre le cap vers les sommets. Avant de débarquer États-Unis, il a aligné trois titres consécutifs : les ATP 500 de Rotterdam et Dubaï, l’ATP 250 de Doha. “Je veux obtenir mon meilleur résultat ici (à Indian Wells)”, a-t-il alors lâché, la confiance boostée, à l’occasion de la conférence de presse d’avant-tournoi. Objectif d’ores et déjà atteint. En restant fidèle à lui-même, capable de faire le spectacle avec ses coups et sa verve, pour porter sa série d’invincibilité à 17 rencontres de suite. Et se donner l’opportunité d’ajouter un nouveau chef-d’œuvre à sa bibliothèque personnelle.
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