L’un a le même prénom qu’un personnage de BD dessiné sous les traits d’un matou, l’autre celui du canidé doté de la parole auquel Robin Williams prête sa voix dans Absolutely Anything. Selon certaines théories développées par des sociologues, notre patronyme influerait sur notre apparence physique - l’”effet Dorian Gray” - ou encore nos choix de vie. Néanmoins, Félix Auger-Aliassime et Denis Shapovalov sont loin de s’entendre comme chien et chat. Ils sont amis. N’ayant qu’un an d’écart, les deux Canadiens se connaissent depuis leurs premiers pas dans le tennis.
En début de saison, grâce à “leur alchimie incroyable”, décrite par le surnommé “Shapo”, les deux hommes ont permis à leur pays de glaner son premier titre par équipe : l’ATP Cup. Dimanche, après avoir chacun gagné leur simple face à l’Australie, ils ont offert le deuxième : la Coupe Davis. “On se connaît depuis nos 7, 8 ans, a commenté “FAA” lors de l’interview sur le court, après son succès 6/3 6/4 contre Alex De Minaur pour apporter le point du sacre. On rêvait de jouer les plus grands tournois, de gagner des matchs comme ceux-ci et de remporter la Coupe Davis.” “On en rêvait depuis les juniors”, a confirmé son acolyte.
“La première fois que j’ai vu Denis, j’avais 8 ans, et il m’avait impressionné” -Félix Auger-Aliassime
La première fois qu’ils se sont rencontrés, ils étaient à peine plus hauts que le filet. Gomme à mémoire, le temps a effacé les souvenirs exacts de l’esprit du gaucher. Mais dans celui du droitier, ils sont inscrits à l’encre indélébile. “La première fois que je l’ai vu, je pense que j’avais 8 ans, s’est rappelé Auger-Aliassime, avant sa joute, gagnée, contre Shapovalov lors de l’Open d’Australie 2021. C’était lors d’un rassemblement entre les meilleurs joueurs de moins de 12 ans du pays. Il jouait déjà avec une raquette adulte et un revers à une main, à 9 ans ! Je me souviens que c’était assez impressionnant. Et je suis toujours impressionné par ce qu’il fait.”
Ne se voyant alors que ponctuellement, ils n’ont pas tout de suite noué une relation d’amitié. Il a fallu que les aiguilles du temps en tissent les liens. “On n’a pas trop grandi ensemble, a expliqué le protégé de Frédéric Fontang et Toni Nadal, lors d’un direct Instagram avec Nicolas Mahut pour We Are Tennis fin mai 2021. Il est de Toronto, je suis de Montréal. On ne se voyait que quelques fois par an, lors de regroupements ou des championnats canadiens. La première fois qu’on s’est joués, on avait 8, 9 ans. Mais jusqu’à l’adolescence, on ne se connaissait pas très bien.”
“J’ai fêté ma victoire contre Nadal (en 2017) avec Félix, sa mère et sa sœur” - Denis Shapovalov
Puis les joies des premiers succès avant le passage en professionnel ont cimenté leur relation. “Après, on a joué ensemble en double chez les juniors, a-t-il ajouté. On a gagné l’US Open très tôt (en 2015, Auger-Aliassime avait 15 ans, Shapovalov 16 ans), on est allé en finale à Wimbledon (2016, défaite contre Kenneth Raisma et Stéfanos Tsitsipás), on a eu de bons résultats (victoire en Coupe Davis junior 2016). Partagé tout ça sur le court, ça nous a rapprochés. On a vraiment passé de bons moments. On a de très beaux souvenirs ensemble.” À Londres en 2016, pour Open Court, Shapovalov décrivait même son compère comme “un petit frère” faisant “partie de [s]a famille.”
Lors du Masters 1000 de Montréal 2017, le natif de Tel-Aviv, alors 18 printemps et 143e mondial, a réussi son premier grand exploit en s’imposant devant Rafael Nadal. Une perf’ retentissante, célébrée avec les Auger-Aliassime. “J’étais hébergé par la famille de Félix pendant ce tournoi, c’est un frère pour moi, a-t-il révélé pour l’ATP. Quand je suis revenu du match contre Rafa, il était entre 1h et 2h du matin. J’ai fêté ça avec sa mère et sa sœur dans la cuisine, en essayant de ne pas faire trop de bruit parce que Félix dormait, il devait s'entraîner à 6h ou 7h le lendemain. Mais il nous a rejoints, et nous avons fêté ça tous ensemble. (...) C’était un super moment.”
“Chaque fois qu’on se joue, il y a ce petit truc spécial où tu veux gagner” - Félix Auger-Aliassime
Excepté pour défendre les couleurs de leurs pays, lorsqu’ils se sont retrouvés sur un même terrain en compétition officielle depuis leurs trophées chez les jeunes, c’était pour se défier. En se partageant les victoires : trois chacun sur le circuit principal. Des duels aux saveurs particulières. “Chaque fois qu’on se joue, il y a ce petit truc spécial, a confié le Québécois, toujours en répondant à Mahut pour We Are Tennis. Lorsque j’affronte un autre gars de son niveau ou de son classement, ce n’est pas pareil. Entre nous, il y a ce truc spécial où tu veux gagner. Mais notre rivalité est très saine, parce que ça nous pousse à donner le meilleur de nous-mêmes.”
Avec chacun leur style dans l’attitude. S’ils sont tous deux habités par la volonté de ne jamais rien lâcher, Shapovalov nous a habitués à extérioriser ses émotions, positives comme négatives, alors qu’Auger-Aliassime a adopté un faciès plus calme et impassible. Des témoins de leurs caractères respectifs. “Est-ce que je rappe avec lui (Shapovalov notamment sorti un morceau en featuring avec Corentin Moutet) ? Non (rires), a répondu le Montréalais à Mahut. Dans ce qu’on aime faire, dans le style vestimentaire ou autre, nos personnalités sont très différentes.” Reste à savoir si celles-ci ont été influencées par leurs prénoms.