La semaine dernière, comme annoncée, James Blake a tiré sa révérence au monde du tennis après une défaite au 1er tour de l'US Open face au Croate Ivo Karlovic. L’occasion de revenir sur dix belles anecdotes qui ont marqué ses 33 premières années de vie Entre dreadlocks, Harvard et des troubles auditifs. Hommage.
1/ « Mais tu as vraiment l’air d’un con »
Yonkers. C’est dans cette ville pauvre du sud de l’Etat de New-York que James Blake a eu la bonne idée de naître le 28 décembre 1979. Comme Ella Fitzgerald et DMX avant lui, comme personne d’autre depuis. C’est son père, Thomas Blake, directeur des ventes d’une grosse entreprise locale, qui lui glisse à 5 ans sa première raquette entre les mains. Les débuts sont prometteurs. Mais chétif, pleurnichard et colérique - « Nous les Américains à cette époque, nous avions tous comme héros John McEnroe » - pour son jeune âge, Blake met du temps à éclore. Une année, il pousse de 22 centimètres. Son talent prend alors une autre mesure. Malheureusement, atteint d’un cancer, le paternel vit déjà ses dernières années et décède en 2004. Le stress et la peine causent à James Blake l'apparition d'un zona qui provoque une paralysie faciale temporaire, des troubles auditifs du côté gauche et… de grands moments de rigolade. « Un jour, un ami est venu me voir à l’hôpital. Il était hilare : ‘Désolé mon pote, mais tu as vraiment l’air d’un con comme ça’, m’a-t-il dit. Je ne le remercierai jamais assez pour ça. L’humour fut ma meilleure thérapie. »
2/ Rome, scoliose et fracture des cervicales
Talent précoce, James Blake est victime à 13 ans d’une grave scoliose qui le rend prisonnier d'un corset jusqu'à 18 heures par jour : « Toute ma croissance, j’ai porté des attelles pour protéger mon dos. Je ne me sentais un gamin comme les autres que lorsque je sortais du court et qu’on me libérait de ce carcan ». En 2004, lors d’un tournoi à Rome, il heurte un poteau maintenant le filet lors d'une séance d'entraînement, se fracture une vertèbre cervicale et débarque à l’hôpital en tenue de sport. Encore recouvert de terre battue. « Je pue, c’est horrible », lâche-t-il désorienté aux infirmières. Avant d’admettre : « Tout le personnel hospitalier avait envie de se foutre de ma gueule. Je les comprends : putain, c’est tout de même ridicule pour un joueur de mon niveau de se prendre un poteau de filet en pleine tête ! Personne ne fait ça, si ? »
3/ Etudiant à Harvard
Outre cette scoliose et cette étonnante succession de pépins physiques, James Blake se différencie des autres champions de tennis par son parcours scolaire : des études brillantes menées de front avec une vie de sportif de haut niveau. Deux ans passés sur les bancs de la prestigieuse université d’Harvard. Là-bas, l’étudiant en économie est hébergé dans une « Maison », la Mather House, comme le veut la tradition dans les grandes universités anglo-saxonnes. Ces « Maisons » ont chacune leur blason, leurs chants, leurs légendes, leurs équipes de sports et quelques midinettes. « On a traumatisé quelques filles », s’amuse Blake dans son autobiographie, rappelant au passage le peu de sérieux que lui accordaient certains professeurs. « Au lycée, j’avais des tresses, et ma coiffure était folle et incohérente. Quand je suis arrivé à Harvard, j’ai commencé à porter un chapeau. J’ai alors tout de suite été connu comme le ‘type au chapeau’, poursuit-il. Puis j’ai tout coupé, enlevé mon chapeau… Et tout le monde m’avait oublié. Certains profs me demandaient alors ce que je foutais là. »
4 / « Bizutage Surprise »
À Harvard, James Blake a le privilège de faire partie d’un « final club » : ces sociétés secrètes qui constituent une forme d’élite sociale et intellectuelle estudiantine de certaines facultés US, créant par la suite un réseau d'influence et d'entraide maintenu d'une génération à l'autre. Dans ces institutions, les filles sont interdites. Les étudiants masculins doivent être cooptés par un membre du club. Blake est parrainé par son grand frère Tom. Le rite de passage ? « Un bizutage surprise, explique l’Américain. Vous savez, la nuit, ils viennent vous réveiller complètement bourrés et saccagent votre chambre pour vous signifier que vous venez d’être accepté par la confrérie. Eh bien moi, j’avais l’habitude de me réveiller tous les jours au beau milieu de la nuit. J’avais toujours peur qu’ils débarquent à ce moment-là. Or, si vous êtes debout, ça ne fonctionne pas. Si vous saviez le nombre de nuits horribles que j’ai pu passées. A faire semblant de pioncer. » De longue périodes d’insomnie jusqu’à ce qu’une bande de soulards vienne le réveiller au petit matin : « Par chance, ils avaient fait la fête jusqu’au bout de la nuit. Il était 5 heures du matin. J’avais eu le temps de me rendormir ».
5/ Spectateur arbitre à Roland-Garros
Mai 2006, court numéro 1, à Roland Garros. Lors d’un match opposant James Blake à Gaël Monfils, l’Américain arrête l’échange sur une balle litigieuse annoncée faute pour le Français. Il montre la trace en question, tout de suite confirmée par l’arbitre Carlos Ramos. Mais soudain, en tribunes, un spectateur s’y oppose. « Moi j’étais juste en face. Instinctivement, j’ai crié très fort : ’Nooon’ », se souvient Pascal Dugenne, ledit spectateur. Surpris, James Blake invite alors l’anonyme à se présenter sur le court pour le mettre face à ses responsabilités. Un duel de traces, pour un instant de tennis savoureux : « Je ne me suis pas démonté, je suis entré et j’ai montré la trace que moi j’avais vue. Sur ce coup-là, Monfils s’est fait avoir. Mais il a gagné le match quand-même ». Ouf.
6/ Le coup droit le plus rapide du monde
Panache, générosité et jeu de jambes de boxeur. Telles étaient les qualités essentielles d’un joueur qui ne savait jouer que de façon spectaculaire. Un air rieur pour pallier la rudesse du terrain, lui qui aimait la baston, les longues batailles en fond de court et les accélérations fulgurantes. Mais la principale arme de James Blake ? Le coup droit le plus rapide jamais enregistré dans l’histoire du tennis, lors de l’US Open 2011. Un missile calculé à 201 km/h en retour de service, sur une balle de match. Qui dit mieux ?
7/ « Le poker m'a même aidé au tennis »
Amateur de golf et de basket-ball, James Blake est surtout, en dehors des courts, un mordu de poker. En 2010, la prestigieuse écurie Full Tilt Poker annonce même son arrivée parmi son équipe de joueurs sponsorisés. Quelques parties télévisées entre célébrités lui suffiront pour affirmer, en 2008 : « J'ai le sentiment que jouer au poker m'a même aidé au tennis. Si vous gagnez - ou perdez - un gros coup, vous ne pouvez pas laisser cela vous affecter outre mesure, il faut continuer à jouer intelligemment. Je pense que c'est quelque chose que j'ai incorporé dans mon tennis, faire face aux montées et descentes qui accompagnent chaque match ». Bluff ?
8 / Lleyton Hewitt raciste ?
US Open 2001. Lors d’une rencontre de deuxième tour face à James Blake, Lleyton Hewitt est mené deux manches à une lorsqu’il s’adresse à l'arbitre de chaise. Sa requête ? Changer un juge de ligne afro-américain qui ne cesse de lui compter des fautes de pied. « On ne m'en compte que d'un côté, explique-t-il d'un ton agacé, pointant du doigt la personne en question. Regarde-le. Regarde-le ! Dis-moi quelle est la similitude ! ». Comprendre : l’arbitre avantagerait Blake pour des raisons de couleur de peau. Enorme scandale dans la presse. Mais pas parmi les joueurs. Blake n’est pas choqué et Ivanisevic, ami proche de Blake, défend même quelques jours plus tard l’Australien : « Cette histoire est grotesque. Quand je dis que j'ai joué comme une tapette, je risque d'offenser les milieux homosexuels. Quand je dis que j'ai joué comme une femme, c'est la gent féminine qui n'est pas heureuse. Alors qu'est-ce qu’on peut encore raconter ? »
9 / « L’afro de service »
Aucun scandale, aucune saillie publique, aucun vice connu. Mais le cadet de la famille Blake serait-il le gentleman parfait ? « Ce type est pétri d’humanisme », dit de lui son compatriote Andy Roddick. Pour preuve, montée en épingle par la presse américaine, la polémique avec Hewitt sera éteinte par James lui-même, pas heurté d’un iota, et qui déclare à cette occasion n’avoir finalement jamais souffert de racisme. Mieux, il s’en est même parfois amusé : « Un jour, j’en avais marre de jouer ‘l’afro’ de service alors je me suis de nouveau rasé la tête. Conséquence : j’ai perdu 1 million de dollars de mes sponsors ».
10/ « Le match de ma vie »
Lauréat de 10 tournois durant sa carrière, Blake dispute en 2005, un an après la mort de son père, un match dantesque face à Andre Agassi sur le court Arthur Ashe – son idole - à l’US Open. Rencontre au terme de laquelle il s'incline au tiebreak du 5e set après avoir mené deux manches à rien. Spectacle, sueur, qualité des échanges et odeurs d’hamburgers : plus de 20 000 personnes assistent à se scénario hollywoodien. « Je suis un gars de New York et tout au long du tournoi, je me suis senti comme un négligé parce que devant moi, il y avait un grand champion, confesse Blake. Mais c’est le match de ma vie. L’ambiance était tellement incroyable que gagner ce match n’aurait pas été un sentiment plus agréable. Il n’y a que le tennis pour vous offrir de telle jouissance ».
