Althea Gibson, la pionnière

30 août 2013 à 00:00:00

Althea Gibson, la pionnière
En 1950, Althea Gibson devient la première athlète de couleur à participer à l’US Open, et ainsi à un Grand Chelem. Découvrez son incroyable destinée…

La première star noire du tennis et du golf. Saxophoniste, actrice mais aussi figure de proue de la lutte contre la ségrégation raciale américaine, Althea Gibson est la première athlète de couleur à avoir participé à l’US Open, en 1950. Avant d’en remporter le titre quelques années plus tard, tout comme 56 autres tournois durant sa carrière. Portrait d’une immense championne, morte sans le sou, entre racisme et Harlem Globetrotters.

 

« Ne tournons pas autour du pot. Il se trouve que je bronze facilement en été, mais je doute que l’on ait déjà remis en cause mon droit de jouer au tennis à cause de cela… » Dans une lettre adressée en 1950 au très sérieux magazine American Lawn Tennis, Alice Marble est d’humeur moqueuse. L’ancienne joueuse yankee des thirties, mascotte des médias, fait le tour des rédactions et met la gomme sur le lobbying. Son objectif ? Défendre une amie, Althea Gibson, 23 ans, joueuse de tennis de couleur noire, auprès de la Fédération des Etats-Unis pour que celle-ci puisse participer cette année-là aux United States National Championships, l’ancêtre de l’US Open. Insultes, pressions politiques et même cambriolage à son domicile : cette bataille menée de front par Marble et quelques officiels du tennis féminin est une besogne. Mais après des mois de rudes négociations, le résultat est là, historique : Althea Gibson devient la première athlète noire à fouler les courts d’un tournoi du Grand Chelem. Un beau pied de nez aux ségrégations raciales en vigueur à cette époque.

 

Pour ses grands débuts, cette jeune fille adoptive d’Harlem n’a que quelques stations de métro à parcourir. Entre la maison familiale et le stade ? Une petite vingtaine de minutes de sous-terrain, sous une chaleur écrasante, au milieu du mois de juillet. Sa famille s’est réfugiée à New York après la crise économique de 1929, affectant majoritairement le sud rural du pays. « Ils me disent que je suis née le 25 août 1927, dans une petite ville appelée Silver, en Caroline du Sud. Je ne me souviens de rien de cette Caroline. Tout ce dont je me souviens, c'est de New York », raconte-t-elle dans son autobiographie. L’appartement familial est situé sur la 143ème avenue, dans un lieu où pour des raisons de sécurité, la police barricade l’entrée afin que les enfants puissent pratiquer du sport en journée. La nuit, les rues sont interdites d’accès. A la maison, l’ambiance n’est pas plus chaude. « Papa me battait, dit-elle, et je ne parle pas de fessées ». Sur les courts, pour son premier tournoi majeur, Althea est éliminée de justesse au deuxième tour. Suffisant pour faire remarquer sa grande taille, son service incroyable, sa félinité et une certaine finesse tactique. Malgré la défaite, sa participation reçoit une large couverture médiatique internationale. Sur place, 2 000 personnes se ruent en tribunes. Quelques échauffourées obligent même les Pinkertons, une agence privée américaine de détectives et de sécurité, à fermer les portes. « Apercevoir une joueuse noire était comme une attraction », écrit David Eisenberg, journaliste pour le New York Journal-American. Au-delà de l’engouement et du résultat, la certitude d’un lendemain meilleur se dresse devant elle. « J’ai pratiqué le tennis car cela me permettait de sortir de mon quartier, précise-t-elle. Sur les courts, la majorité des mecs s’arrêtait de jouer pour me regarder. Pas parce que j’étais jolie, mais parce que je me débrouillais drôlement bien ».

 

Première Afro-américaine à remporter un Grand Chelem

 

Elève assidue à l’école buissonnière, Althea Gibson quitte le système scolaire à l’âge de 13 ans – seulement - pour travailler dans les services sociaux d’Harlem. Une période délicate, durant laquelle un proche de la famille, le champion de boxe Sugar Ray Robinson, lui offre ses premières leçons de tennis. Les débuts sont prometteurs. « Mon premier tournoi, la fille que j'ai battue en finale était une blanche. Je ne peux pas nier que la victoire fut d'autant plus jouissive pour moi, écrit-elle. Puis j'ai commencé à comprendre que vous pouviez marcher sur le court comme une dame du monde, toute habillée d’un blanc immaculé ; être polie avec tout le monde, puis jouer comme un tigre quand il s’agissait d’être sur un court. » A ses côtés, un musicien lui offre sa première raquette, un couple de physiciens lui finance sa reprise d’études. Résultat : diplômée en éducation physique de l’Université de Lincoln, dans le Missouri, elle s’amourache d’un officier de l’armée de l’air avant de se fixer un objectif un peu fou, celui de remporter un tournoi majeur. Chose faite en 1956 lors de sa première et unique participation à Roland Garros, devenant du même coup la première joueuse afro-américaine à remporter un Grand Chelem. Au passage, Althea emporte les Internationaux des Etats-Unis et Wimbledon l’année suivante, considéré à cette époque comme « le championnat du monde de tennis ». Cerise sur le gâteau, la reine Elisabeth II remet pour la première fois de son règne le trophée au vainqueur. Un instant historique. « La Reine m’a serré la main, s’émoustille-t-elle alors. Que de chemin parcouru depuis la Caroline du Sud, où j’étais forcée de m’asseoir dans le bus avec les autres noirs, et où les blancs refusaient eux de me tendre leur main ».  

 

A son retour à New-York, une marée humaine l’attend. Depuis Jesse Owens et ses médailles d’or aux Jeux de 1936 à Berlin, jamais une foule ne s’était autant déplacée pour acclamer une sportive de couleur. En tribunes, le maire de la ville fond en larmes. Mais dans la tête de l’Américaine, l’instant n’est pas aux célébrations. Malgré ses 56 victoires en tournois, dont 11 en Grand Chelem en double, double mixte et simple, Gibson lâche au monde son secret : complètement ruinée, elle est contrainte de prendre sa retraite du monde amateur pour devenir professionnelle. Nous sommes en novembre 1958 : « La vérité, pour le dire crûment, c’est que le tennis ne permet pas de bouffer. Et je peux vous dire que j’ai très faim. » Oui, avant 1968 et l’invention de l’ère Open, le monde du tennis est scindé en deux camps. D'un côté les joueurs amateurs, de l'autre les professionnels, sous contrat avec des promoteurs, qui gagnent leur vie en organisant des matchs de tennis, un peu comme dans la boxe. Les premiers ne reçoivent aucun cachet pour leur participation aux tournois, la Coupe Davis par BNP Paribas et les matchs du Grand Chelem. Les joueurs professionnels n'ont pas accès à ces compétitions, mais eux, comme l’explique Althea, « ont la chance de remplir quotidiennement leur frigo ».

 

Harlem Globetrotters, crise cardiaque et balles de golf

 

En 1959, Gibson signe un juteux contrat pour une série d’exhibitions organisée à chaque mi-temps des matchs de l’équipe de basket des Harlem Globetrotters. Dans un même temps, très bonne saxophoniste, elle enregistre un album de standards américains, puis une compilation de chansons de Noël. Les ventes déçoivent. Direction alors le cinéma, dans Les Cavaliers (1959) de John Ford, où elle interprète le rôle d’une esclave mais refuse les dialogues et le dialecte imposé par le script, trop stéréotypés « nègre » à son goût.  Et le tennis dans tout ça ? « Quand j'ai regardé autour de moi, je n’ai vu que des joueuses de tennis blanches, dont certaines que j’avais déjà rossées auparavant, recevoir des offres de matchs et des invitationsTout à coup, j’ai compris que mes succès n'avaient pas détruit les barrières raciales, comme je l’avais - peut-être naïvement – espéré. » En 1964, à l’âge de 37 ans, Gibson tente un coup de folie. Et devient une nouvelle fois la première femme afro-américaine à rejoindre le circuit des joueuses professionnelles… de golf ! Un environnement où la discrimination raciale n’a jamais été aussi vive. Surtout quand ses concurrentes lui volent ses balles avant chaque tournoi et… les repeignent en noir, pendant qu’elle se prépare dans sa voiture puisque la plupart des clubhouses lui refusent l’entrée des vestiaires. Séparation des couleurs oblige. Avec l’avènement de l’ère Open, elle essaie un ultime retour dans le tennis, mais la quarantaine passée, les jambes ne suivent plus. Les seventies seront ses années politiciennes, durant lesquelles Althea mène la politique sportive de quelques villes du pays, entre plusieurs publicités Pepsi Cola et un mariage loupé.

 

Les vingt années suivantes restent la période des soucis de santé. Un soir d’hiver 1995, son ancienne partenaire de double, Angela Buxton, une juive britannique, reçoit un coup de fil à son domicile : « Angie bébé, c’est Althea. Je ne peux pas rester beaucoup plus longtemps, je vais me suicider, je n'ai pas d'argent, je suis très malade, je n'ai pas de médicament parce que je ne peux pas payer les factures, je ne peux pas payer le loyer ». Buxton lance tout de suite un appel aux dons, et avec l’aide de nombreux médias, récolte tout de même un million de dollars. Ce geste ne fait que repousser l’inévitable. En 2003, après avoir survécu à une crise cardiaque, Althea Gibson décède à l’âge de 76 ans des suites d’une infection respiratoire, après 10 ans de maladie et sans le sou. Quatre ans plus tard, lors de la cérémonie célébrant le 50ème anniversaire de sa victoire à l’US Open, Alan Schwartz, président de la Fédération américaine de tennis, lit ici quelques mots d’un discours prononcé par Alice Marble avant sa mort. Celle sans qui, en somme, rien n’aurait été possible : « Qui aurait pu imaginer ? Qui aurait pu penser ? Ici se tenait devant nous une femme noire, élevée à Harlem, qui allait devenir une joueuse de tennis... En fait, la première championne noire de ce monde. »

 

Par Victor Le Grand

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