Aucun Américain dans le Top 15 du circuit ATP, aucune personnalité à se détacher depuis la retraite d’Andy Roddick, une décennie sans victoire en Grand Chelem, des résultats décevants en Coupe Davis par BNP Paribas… A l’heure où s’ouvre l’US Open, le constat est inquiétant et la crise du tennis masculin américain paraît durable. Explications.
Une méchante crise
Ne pas se méprendre : tout n’est pas si catastrophique pour le tennis américain pris dans sa globalité. Serena Williams bat tous les records de longévité sur le circuit WTA et les frères Bryan sont encore plus tyranniques en double. S’il est question de crise, elle concerne surtout le tennis masculin individuel américain, qui ne s’est jamais porté aussi mal. La défaite au premier tour du tournoi de Montréal de John Isner face à Vasek Pospisil, début août, l’a fait reculer de trois rangs au classement ATP. Le géant US s’est retrouvé à la 22e place mondiale. La première fois depuis la création du circuit ATP en 1973 qu’il n’y a pas un seul Américain dans le Top 20 ! Derrière, Sam Querrey figure au 28e rang. Quant au troisième Yankee du moment, Jack Sock, il occupe seulement la 87e position. Au niveau des victoires cette saison, le seul capable de réaliser quelques performances, c’est encore ce même Isner avec deux titres à son actif, obtenus à Houston et Atlanta, pour deux finales perdues à Washington et Cincinnati (il est intéressant au passage de constater qu’il réalise ses meilleurs tournoi à domicile). Problème : Isner a déjà 28 ans et ne paraît pas avoir le talent nécessaire pour faire mieux. Le dernier vrai grand joueur de tennis américain s’appelle Andy Roddick, vainqueur de l’US Open en 2003 et numéro 1 mondial dans la foulée. La décennie qui suit ressemble à une traversée du désert pour le tennis yankee, avec pour seul coup d’éclat une victoire en Coupe Davis par BNP Paribas obtenue en 2007 (4-1 en finale face aux Russes). Pour un pays qui, rien que sur les 40 dernières années, a vu passer des champions du calibre d’Arthur Ashe, Jimmy Connors, John McEnroe, Jim Courier, Pete Sampras, Andre Agassi et donc Andy Roddick, cette absence durable de résultats fait mauvais genre. Et inquiète, forcément.
Une concurrence interne…
« Il y a actuellement trop peu de jeunes sportifs talentueux américains à se consacrer au tennis, pointe Ben Rothenberg, journaliste au New York Times. Des ligues comme la NFL en football américain et la NBA en basket gagnent en popularité tandis que le tennis apparait en déclin. » Des propos qui font écho à ceux de Patrice Hagelauer, de la Fédération Française de Tennis (FFT), qui faisait remarquer récemment que « tous les gamins délaissent le tennis pour des sports qui font un tabac médiatique outre-Atlantique et où il y a de grosses stars ». S’il est facile pour un enfant d’admirer les exploits d’un LeBron James ou d’un Peyton Manning et de vouloir s’inspirer de leur réussite, c’est nettement plus rare de chercher à reproduire les exploits d’un John Isner ou d’un Sam Querrey. Question de charisme… « Pourtant, les structures de formation ne manquent pas dans le pays, poursuit Ben Rothenberg, mais s’y inscrire coûte cher. Résultat : beaucoup de parents préfèrent inscrire leurs enfants à des sports collectifs, moins coûteux et qui nécessitent moins d’heures d’entraînement pour réussir. »
… et externe accrue
Alors que les champions américains de tennis des années 80 étaient confrontés à une concurrence étrangère limitée aux Suédois, Tchécoslovaques, Australiens, Français et autres Allemands, il faut aujourd’hui composer avec l’émergence de champions venus de partout dans le monde : d’ex-satellites de l’URSS, d’Amérique du Sud, d’Asie… « Le niveau mondial s’est amélioré », constatait début août Pete Sampras dans une chronique du New York Times, ce que Ben Rothenberg reconnaît également : « Par exemple, la Serbie et l’Espagne n’étaient pas des nations historiquement présentes au plus haut niveau et le sont progressivement devenues ces dernières années. » La Serbie, tombeuse des Etats-Unis en quart de finale de la Coupe Davis par BNP Paribas cette année et l’Espagne, qui a éliminé cette même équipe au stade des demi-finales il y a un an et en demi-finale l’année d’avant.
Quel avenir ?
Le constat global est inquiétant mais Ben Rothenberg refuse de s’alarmer. « Quand on voit le réservoir de talents à émerger chez les femmes derrière Serena Williams, on peut raisonnablement penser que le problème de fond du tennis américain n’est pas structurel mais plus passager, pose-t-il. C’est juste qu’en ce moment, beaucoup de jeunes garçons préfèrent se tourner vers d’autres sports. » Ce serait donc juste une question de mode ? Pete Sampras n’est pas loin de le croire : « Les gens se demandent quand émergera un prochain Andre (Agassi, ndlr) ou un prochain Pete (Sampras, ndlr), mais ça n’arrive malheureusement pas tous les 10 ans. En étant optimiste, on peut néanmoins imaginer que des gamins vont arriver avec une faim de victoires et l’envie de bien faire. » L’idéal pour le tennis américain étant qu’au moins deux champions d’une même génération puissent émerger au même moment, comme à l’époque de Connors et McEnroe ou de Sampras et Agassi. Rien ne vaut une bonne émulation. C’est d’ailleurs ce qui a peut-être manqué à Roddick pour avoir une plus belle carrière encore, et qui aurait pu créer plus de vocations. A Jack Sock (20 ans, 87e mondial), mais aussi Ryan Harrison (21 ans, 102e) ou Denis Kudla (21 ans, 104e) d’essayer de se tirer la bourre et d’aller progressivement chercher les meilleurs.