Le tennis est sans doute le sport le plus éprouvant de tous les jeux. Nerveusement, c’est certain. Difficile d’éluder le jeu, l’attitude ou le trucage de l’adversaire, le climat, le public ou la jolie fille au chapeau rouge. Comment je suis sorti de mon match ? Cédric Pioline, finaliste de Wimbledon en 1997, se souvient.
Un peu d’histoire : avez-vous le souvenir précis d’être un jour sorti mentalement de votre match ?
Oui, en 1998. Je joue contre Marat Safin en 8ème de finale de Roland Garros, l’année de la Coupe du monde de football en France. Toute l’équipe du Brésil vient sur le Central assister à notre match, avec Ronaldo, qui, à ce moment-là, est la mégastar ! Dès leur arrivée, tous les photographes tournent leurs objectifs sur eux : « Clac, clac, clac ». Il y en a 30 ou 40, ça fait beaucoup de bruit. Sauf que quand la balle est en jeu, c’est le silence, hein ! Là tu vois d’un coup les gens hurler. Tu te dis : « Mais qu’est-ce qu’il se passe quoi ? ». Tu sais que c’est ni pour toi, ni pour ton adversaire. Cela m’a énervé et je suis sorti de mon match…
Mais tout s’est bien terminé…
Je me suis remis aux affaires et fort heureusement, j’ai gagné, oui. Mais c’est vrai qu’il faut toujours un élément un peu perturbateur, hors contexte, pour troubler le sens du jeu. Pour casser la concentration.
Quand vous étiez gamin, avec l’immaturité ou même la pression des parents, ce devait être une torture psychologique pour ne pas se disperser ?
Alors là, on sortait très facilement de notre match (Rires) ! Plus jeune, en deux ou trois mois, vous avez des différences de niveau énormes. Dans le jeu, tout va plus vite mais dans la tête, on ne reste pas très fort en termes de concentration. Et puis il n’y a pas d’arbitre… Donc les parents qui contestent, il y en a plein, plein, plein…
En clair, c’est plus facile de sortir de sa rencontre que d’y entrer…
C’est vrai, mais normalement on n’en sort pas facilement. Je dirais que moins vous jouez sur les grands courts, plus c’est simple de rester dans son match. Il y a moins d’éléments extérieurs : les tribunes sont plus ouvertes, les gens sont moins concernés, le téléphone portable aussi sonne un peu moins. Mais alors en Italie, à Rome, c’est l’enfer, ça sonnait sans arrêt. Un coup, c’était la musique de James Brown, un autre c’est Mickaël Jackson, certains mêmes décrochent : « Mama, la pasta è pronta ». Incroyable.
Le changement de côté n’est-il pas un espace-temps préjudiciable à votre concentration ? La pression retombe, vous matez le public, baladez votre regard… N’est-ce pas là que se joue une rencontre en réalité ?
Tu regardes le public d’une manière distraite comme vous pourriez le faire en marchant dans la rue ou en prenant le métro. On observe mais l’instant d’après, on a tout oublié. C’est quelque chose de très répétitif. On pense à tout et à rien : de la tactique au score, à ses proches, à son entraineur, etc. Il n’y a pas de vérité. Faut pas croire, il y a des milliers de choses qui nous traversent la tête. Lors des changements de côté, on peut avoir l’esprit qui vagabonde. Mais c’est bien, cela nous permet de relâcher !
Selon vous, peut-on aller jusqu’à comparer votre état d’esprit en match avec celui d’une journée de travail d’un employé de bureau lambda ? Comme tout le monde, vous avez vous aussi vos moments d’absence où vous pensez à vos proches, à la famille, à votre quotidien hors-court ?
Quelqu’un qui va au bureau a les horaires qui vont avec. Ok. Si un moment dans la journée, il s’évade, ce n’est pas grave. La personne peut s’arrêter de travailler, faire une pause, fumer une clope, boire un café, envoyer une blague à son voisin, puis tout reprendre ! Cela n’a pas de conséquences. Nous, c’est une continuité. A partir du moment où l’on met un pied sur le court, le match démarre et se finira quand on l’aura quitté. Chaque absence aura sa conséquence.
Sur toutes vos défaites, combien en attribuez vous au mental, au physique ou à la tactique ?
Beaucoup plus de défaillances physiques que mentales ! Pour moi, en tout cas. Mais les deux sont intimement liées : est-ce que si je plonge physiquement, le mental suivra, ou l’inverse ? C’est très difficile de répondre et d’apprécier cette question. Mais quand il y en a un qui est en train de flancher, l’autre n’est souvent pas très loin.
Propos recueillis par Victor Le Grand