Andrea Jaeger, la mante religieuse

5 juil. 2013 à 00:00:00

Andrea Jaeger, la mante religieuse
Finaliste de Wimbledon au début des années 1980, Andrea Jaeger s’est aujourd’hui reconvertie comme bonne sœur dans une église dominicaine aux Etats-Unis. Récit d’une trajectoire audacieuse, entre prières, Mercedes, coups de ceintures et Cindy

Finaliste de Wimbledon et de Roland-Garros au début des années 1980, détestée du circuit pour son insolence et son tempérament de feu, Andrea Jaeger s’est aujourd’hui reconvertie comme bonne sœur dans une église dominicaine aux Etats-Unis. Sa mission divine ? Venir en aide aux enfants malades du cancer à travers sa propre fondation. Sœur Andrea, où le récit d’une trajectoire audacieuse, entre prières, Mercedes, coups de ceintures et Cindy Crawford.

 

Noël 2012, quelques enfants atteints du cancer se chamaillent dans les couloirs d’une immense propriété de 90 hectares, dans le Colorado, aux Etats-Unis. Comme un rituel, dans chacune des chambres, les plus téméraires entonnent l’air de Over The Rainbow, l’une des chansons américaines les plus connues de la fin des années 1930. La mélodie plaintive et les paroles simples racontent le désir d’une adolescente de s’échapper du « désordre sans espoir » de ce monde, de la tristesse des gouttes de pluies, vers un nouveau monde plein de couleurs, « par-delà l’arc en ciel ». Cette histoire, c’est aussi celle de Sœur Andrea, propriétaire des lieux et directrice de la Fondation Silver Linning, qui, depuis une vingtaine d’années, s’occupe au quotidien de ces jeunes êtres malades. L’histoire étonnante d’une religieuse née le 4 juin 1965 à Chicago au sein d’une famille férocement athée, qui attînt durant sa jeunesse la finale de Roland-Garros en 1982 et celle de Wimbledon en 1983, battue par Martina Navratilova lors de ces deux rendez-vous. A cette époque, aucune joueuse n’est aussi précoce. 14 ans et huit mois, et déjà parmi les vingt premières mondiales. « J’avais l’insolence de la jeunesse », explique alors Andrea Jaeger, de son nom complet. Effectivement, quand la joueuse ne se brouille pas avec les arbitres et les spectateurs, Andrea s’en prend directement à ses ainées. En 1982, celle que ses adversaires surnomment « la gosse » accuse même en conférence de presse Martina Navratilova d’avoir reçu des conseils techniques de la part de Renée Richards, son entraîneur, pendant sa fameuse finale de Roland-Garros. Chose interdite par le règlement. A cet instant, Andrea n’a que 17 ans. C’est une lycéenne fière de ses longues couettes blondes, plutôt bonne élève, s’amusant à provoquer les jeunes garçons. Son truc ? Leur répéter à tous « que même une fille est capable de les massacrer au sport, révèle-t-elle dans une interview donnée à Tennis Magazine deux ans auparavant. Je dois admettre que j’aime ça, mais j’ai eu beaucoup d’ennuis : des bagarres, des insultes, ce genre de choses. Mais maintenant je ne peux plus faire ce genre de choses, car j’ai quinze ans. Je suis une grande personne ».

 

Wimbledon, soutien-gorge et coups de ceintures

 

Grande personne ou non, cette adolescente, qui ne sourit pas beaucoup, semble sous tension. Son père, Roland, maçon allemand et ancien boxeur, en est pour quelque chose. Roland Jaeger, un personnage pour le moins bourru. « Mon père est né en Allemagne avant la guerre, c’était un autre temps, une autre éducation, une autre discipline, explique-t-elle en 2003 dans les colonnes du Daily Mail. Il a grandi avec des coups de ceinture, il voulait à mon tour m’enseigner sa conception étrange de la morale et des valeurs ». Pour ce faire, le paternel corrige sa fille au moindre excès, notamment quelques minutes avant sa finale perdue à Wimbledon en 1983 : « Dans mon d’hôtel, mon père a vu un paquet de chips vide qui trainait à terre. Je pensais qu’il allait attraper sa ceinture. Alors je me suis excusée, j’ai attrapé mon soutien-gorge, mon portefeuille et j’ai couru dehors ». Dans le couloir de son hôtel, Andrea cherche désespérément un refuge. Elle frappe à la chambre voisine de la sienne. Un coup de sonnette, puis deux, jusqu’à tambouriner et réveiller tout son étage. Finalement, quelqu’un finit par ouvrir : Nancy Lieberman, coach de Navratilova. « Martina est restée là dans son salon sans bouger. Elle me jeta un bref regard très froid pour me signifier que j’avais interrompu sa préparation. Tout de suite je me suis dit : ‘Merde, j’ai cassé sa routine et je l’ai perturbée’. Avant la rencontre, une personne est venue me tendre une serviette et j’ai répondu : ‘Non merci, je ne vais pas transpirer aujourd’hui’. Bref, par respect ou quelque chose dans le genre, j’ai laissé mon adversaire remporter le titre ». Après la rencontre, la championne tchécoslovaque parade fièrement sous les crépitements des photographes et les applaudissements du public. « Mais Dieu connaît la vérité, contre-attaque la vaincue. J'ai écrit à Martina il y trois ans (en 2000, ndlr) pour lui raconter cette histoire, mais je n’ai jamais eu de réponse. Si j’avais tenté pleinement ma chance, aurais-je gagné ? Là encore, je n'ai pas la réponse ». L’aventure sportive d’Andrea bascule définitivement sur le Central de Roland-Garros lors d’un match du premier tour contre Jamie Golder, une autre Américaine. Alors qu’elle n’a que 19 ans, elle se blesse à l’épaule sur un revers anodin, abandonne le match et arrête sa carrière. Un total de sept opérations n’y changera rien : « Cette blessure a été la plus belle chose qui me soit arrivée. C’est le choix de Dieu qui m’a guidé vers les enfants malades ».

 

Prières, Mercedes et Cindy Crawford

 

Après sa blessure, ses relations avec son père deviennent détestables. Andrea Jaeger finit même par couper les ponts, jusqu’à sa mort. « Mais nous avions fait la  paix avant son départ », précise-t-elle. Toute jeune retraitée, elle fait aussi le bonheur de nombreux manuels de psychologie sportive qui la citent comme une éternelle dépressive, accablée par un étrange complexe d’infériorité. En réalité, Andrea n’a tout simplement jamais apprécié l’univers et la compétitivité du sport de haut niveau : « Le deuxième tournoi pro que j’ai joué de ma carrière, j’avais 14 ans et j’ai battu quelques têtes de série dont l’une, Wendy Turnbull, m’a offerte une bouteille de vin pour me féliciter de ma victoire, et m’a demandé un tire-bouchon. J’ai pensé : ‘Oh, elle se fiche de moi ? Peut-être l’ai-je contrarié ? Qu’ai-je fait de mal ?’ Ce manque de confiance en soi, c’était pathétique ». Ses soucis de santé précipitent l’arrêt de sa carrière, mais lui laissent désormais tout le temps nécessaire pour mener à bien son nouveau combat caritatif, bien aidée par ses premiers donateurs : John McEnroe, Mohamed Ali, Monica Seles ou l’ancien top model Cindy Crawford, devenue une amie depuis. « J'ai eu des millions de dollars. J'ai eu une Mercedes Benz à 17 ans. Qui a besoin d'une Mercedes Benz à 17 ans ? Je l'ai vendue à 19, gardé l'argent de côté et l'ai utilisé pour acheter des jouets pour les enfants dans les hôpitaux ». Depuis 20 ans donc, Andrea offre tout à sa cause, en commençant par elle-même. C’est ainsi, le 16 septembre 2006, à 41 ans, qu’Andrea entre dans les ordres au sein d’une église dominicaine aux Etats-Unis. Or, comme au tennis, pour enregistrer le message de Dieu, mieux vaut s’entrainer dur : lever tous les jours à 4 heures du matin, cinq heures de prière quotidienne et interdiction de prendre les transports en commun. « Il m’arrive de porter l’habit religieux mais tout dépend de ce que je fais, raconte-elle. Car c’est inconfortable, et ça se salit très vite. Une fois, je suis sortie du bus et la moitié gauche de ma robe est restée coincée dans la porte. Un joli cadeau pour le chauffeur ». Malgré ces quelques soucis logistiques, Sœur Andrea est toujours aujourd’hui à la tête de l’organisation caritative, qui s’occupe de 4 000 enfants à l’année. Et cet été encore, dans sa grande propriété d’Aspen, elle aura un programme chargé. Outre un soutien médical permanent, seront ouverts aux bambins des cours de soutien scolaire, des balades en rafting, des séances d’équitation et même de cours de tennis. Des cours de tennis ? « Quand les gens me demandent si le tennis me manque, ma réponse est toujours la même : aucun regret. Dieu voulait que je fasse quelque chose d’autre, et je suis donc venue en aide aux enfants malades. J’aime ce que je fais. Et Dieu aussi ».

 

Par Victor Le Grand 

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