LES QUATRE FANTASTIQUES SONT-ILS VRAIMENT CHIANTS ?

5 juin 2013 à 00:00:00

La première semaine de Roland-Garros a été (notamment) marquée par le pavé dans la flaque d’eau (de pluie, forcément) lancé par le fantasque Ernests Gulbis. Le Letton a accusé Federer, Nadal, Djokovic et Murray d’être « chiants ».

La première semaine de Roland-Garros a été (notamment) marquée par le pavé dans la flaque d’eau (de pluie, forcément) lancé par le fantasque Ernests Gulbis. Le Letton a accusé Federer, Nadal, Djokovic et Murray d’être « chiants ». A-t-il dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas ou exagère-t-il ? Eléments de réponse.

 

« Le tennis actuel manque cruellement de caractères. Je respecte Roger, Rafa, Novak et Murray mais pour moi, ce sont tous les quatre des joueurs ennuyeux. Honnêtement, ils sont chiants. » S’il devait un jour partir à la guerre, sûr qu’Ernests Gulbis rejoindrait le front armé d’un bazooka. Interrogé par le quotidien L’Equipe avant son match du deuxième tour joué – et perdu – contre Gaël Monfils, le Letton a sorti l’artillerie lourde. Sa cible : les quatre fantastiques du tennis masculin actuel, et notamment Roger Federer, celui qui d’ordinaire ne récolte que des éloges. « Je vais souvent sur YouTube pour regarder des interviewes, a-t-il expliqué. Pour le tennis, j’ai vite arrêté. C’est une plaisanterie. C’est Federer qui a lancé cette mode. Il a une superbe image de gentleman suisse parfaite pour lui. Je répète, je respecte Federer, mais je n’aime pas que les jeunes joueurs essaient de l’imiter. » Avec de telles paroles, Gulbis a le mérite de lancer un débat impossible de ne pas reprendre de volée. Alors, les champions d’aujourd’hui, vraiment chiants ?

 

Oui, ils sont chiants

 

Si le spectacle qu’offrent Federer et ses meilleurs rivaux raquettes en main depuis quelques années est difficilement critiquable, leur comportement en dehors des courts peut effectivement susciter l’ennui, voire l’agacement. Un garçon comme Djokovic, par exemple, va systématiquement sortir les mêmes phrases en conférence de presse d’après-match, qu’il ait gagné dans la douleur ou très facilement. Son adversaire aura toujours très bien joué, ça aura toujours été compliqué, blabla.

 

Des paroles mièvres qui dégoulinent tellement de bons sentiments qu’elles finissent par sonner de manière hypocrite. « Djokovic, c’est faux, il aime juste se montrer et jouer », a d’ailleurs accusé le Polonais Jerzy Janowicz, autre grande gueule du circuit ATP, en début d’année. Quant à Federer, il serait « plutôt imbu de sa personne, il a quelque chose qui n’est pas naturel ». Des propos qui font échos à ceux de Serguei Stakhovsky, qui avait critiqué l’an dernier le comportement trop lisse de Roger en tant que président du conseil des joueurs : « C’est une bonne personne mais trop neutre à mon goût. Trop Suisse (…). Il ne veut pas abimer son image. » Ne surtout pas faire de vagues, tel est le crédo du champion helvète, qui préfère évidemment les rives calmes du lac Léman aux mers agitées : la même copine – devenue sa femme et mère de ses enfants – depuis ses 19 ans, toujours un mot gentil pour les adversaires et les fans, des tenues toujours appropriées, aucune frasque nocturne, un engagement caritatif… Miss Univers ne ferait pas mieux.

 

 

Idem avec Nadal, Murray et Djokovic, ce dernier se distinguant seulement par quelques plaisanteries très politiquement correctes, entrant notamment sur certains courts grimés d’un masque pour amuser la galerie.

 

On est effectivement loin, très loin des tribulations d’un Ilie Nastase, des coups de gueule permanents d’un John McEnroe, des regards noirs et sans concession d’un Marcelo Rios ou des tenues bariolées d’un André Agassi première époque…

 

Non, ils ne sont pas chiants

 

Gulbis est bien gentil à dégommer à tout va, mais il doit prendre conscience que pour durer au top niveau, un champion ne peut pas se permettre trop d’écarts extra-sportifs. D’ailleurs, le Letton le reconnaît lui-même : s’il n’est encore jamais parvenu à vraiment inquiéter les meilleurs malgré un incontestable talent, c’est à cause de son goût immodéré pour la fête et une hygiène de vie incompatible avec le très haut niveau. La remarque vaut aussi pour Gaël Monfils par exemple.

 

 

Alors c’est sûr que vous ne verrez jamais Rafael Nadal faire la Une des journaux à scandales, mais la manière qu’il a eu de revenir cette année en haut de l’affiche après une grave blessure force l’admiration. Et ça n’en fait pas pour autant quelqu’un de si « chiant », n’en déplaise à Ernests. Car l’Espagnol ne fait pas toujours dans la langue de bois et ne se gêne pas pour dégainer lui aussi parfois face aux médias. En 2009 par exemple, les organisateurs du tournoi de Madrid en avaient pris pour leur grade avec leur idée de teindre la terre battue en bleu. Et avaient même pris un tweet en novembre 2011 suite à la décision de l’ATP d’accorder le droit aux organisateurs de tenter l’expérience en mai 2012.

 

 

Cette année, c’est SON tournoi de Roland-Garros auquel il ose s’attaquer, avec des intempéries qui auraient été mal anticipées par l’organisation et des horaires de match ne lui convenant pas. En match aussi, l’Espagnol peut dégoupiller. Comme lors de ce deuxième tour perdu à Wimbledon en 2012 face à Lukas Rosol.

 

Andy Murray aussi peut se faire « bad boy » à l’occasion, si le match prend une tournure qui lui déplait. Et ne parlons pas de Djokovic.

 

Même Federer avait, dit-on, une réputation de mauvais perdant dans sa jeunesse… Et pas que durant sa jeunesse. La preuve.

 

 

Et puis si les quatre fantastiques font généralement tout pour embellir leur image, c’est aussi parce que ce sont de redoutables businessmen qui savent jouer les gentlemen et coller à la réputation du tennis, considéré comme le sport des gentils par excellence. En cela, ils opèrent une stratégie semblable à celle qu’employait un Zidane dans le monde du football : monsieur propre en surface, tête de gondole idéale pour les annonceurs mais parfois capables de quelques coups bas en coulisse…

 

Conclusion

 

En définitive, Ernests Gulbis a eu le mérite avec cette interview fracassante de soulever une question intéressante. Mais la réponse est bien plus complexe qu’elle n’y paraît. Déjà, parmi les quatre joueurs visés, certains paraissent moins lisses que d’autres : Nadal n’est pas si langue de bois face à la presse, Murray cache difficilement un sale caractère et Djokovic a le mérite de bousculer parfois quelques protocoles trop bien soignés. Des quatre, c’est certainement l’image de Federer qui peut le plus énerver à force d’être trop parfaite : toujours bien mis, poli, polyglotte, respectueux des adversaires, des fans et des journalistes, quitte à user d’une bonne dose d’hypocrisie. Mais que Gulbis le sache : on ne règne pas pendant plus d’une décennie sur le tennis mondial avec pour seule qualité le talent. Il faut aussi avoir l’hygiène de vie et le comportement adéquat. Gagner le respect des adversaires et de l’audience, c’est déjà une part de la victoire acquise.

Par Régis Delanoë

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