DANS LA TETE DE DJOKOVIC

29 mai 2013 à 00:00:00

Novak Djokovic est serbe de naissance et de vocation. Le patriotisme, ce n’est pas qu’une façon de se grimer le visage. Pour Novak, être serbe, c’est aussi une manière de forcer le destin.

Novak Djokovic est serbe de naissance et de vocation. Le patriotisme, ce n’est pas qu’une façon de se grimer le visage. Pour Novak, être serbe, c’est aussi une manière de forcer le destin.

 

Il faut en taper des balles pour réaliser son rêve. Alors quand le grand jour arrive enfin, il y a ceux qui pleurent, ceux qui sautent, ceux qui embrassent le sol et puis ceux qui le mangent. Le 4 juillet 2011, Novak Djokovic n’imite personne, sourit à peine, se signe, s’accroupit sur le Central Court et puis attrape quelques pousses du gazon de Wimbledon, les porte à sa bouche et les avale. En battant Rafael Nadal en finale, Novak réalise deux rêves d’enfant à la fois : « Quand je m’entraînais, je rêvais tellement de remporter Wimbledon que j’avais une petite coupe en plastique et le soir, en rentrant, je la soulevais et je disais en anglais ‘Hello my name is Novak Djokovic and I am a Wimbledon winner’ ». Un rêve d’enfant réalisé ne s’avale pas si facilement : « Juste après la balle de match, c’est cette image qui m’est revenue (…) En deux jours, j’ai réalisé mes rêves d’enfants : remporter Wimbledon et devenir numéro 1 mondial.  ». Et en quelques mois le jeune gamin un peu énervé se calme et remporte dix titres en onze finales (dont trois de Grand chelem) et frôle le record de 42 victoires consécutives de McEnroe datant de 1984 (41 en 2011 mais 43 si l’on compte les deux victoires en finale de Coupe Davis par BNP Paribas). Novak devient Djoko. La Serbie tient son héros.

 

Le rêve des autres

Mais réaliser son rêve est une tâche homérique : « Dans mon cas, on peut vraiment dire que rien n’est impossible. Quand j’avais sept ans, la Serbie était dans une situation très critique. Quand je disais qu’un jour je serai numéro 1 mondial, les gens se marraient. Il y avait 1% de chance que j’y arrive. Et je l’ai fait ». Le destin de ce gamin qui s’entraîne tous les jours malgré les bombardements sur Belgrade en 1999 ressemble beaucoup à celui de son pays. Quand le dernier obus a explosé sur la Serbie, plus rien n’existe dans le pays. Il y avait peu de chance que le petit Novak devienne un jour Djoko. Entassés dans leurs caves, les Serbes attendent le jour où ils pourront à nouveau être fiers de leur drapeau. « Nous sommes un peuple qui a beaucoup souffert et qui doit faire plus que les autres pour réussir, raconte Nole en 2012. À cause de notre histoire, nous devons faire plus que les autres pour qu’on nous regarde ». Mais à force de porter le rêve des autres sur ses épaules, à force de voir le petit Novak remporter les tournois juniors, avaler les étapes et être le plus jeune à peu près partout (d’abord dans le top 100, puis le top 20, puis le top 10), le destin se complique. Le petit n’y arrive pas. Ce n’est pas si facile d’être un héros.

 

Si proche et si loin

Pendant trois ans, le génie stagne. Il est à quelques mètres du but et à quelques coups droits d’en finir avec la déception et d’arriver enfin au bout de son rêve. Mais Roger Federer et Rafa Nadal n’en finissent pas de l’éliminer en demi-finale. « Il y a eu des moments, explique Nole, où arriver dans les derniers tours d’un tournoi et les croiser devenait presque frustrant ». Le monde ne s’intéresse pas à ce héros de 22 ans. La Terre n’en a que pour le gentleman helvétique ou le taureau méditerranéen. Quand ce n’est pas Roger qui met fin à ses illusions, c’est Rafa qui l’achève (Rome, Madrid, Cincinnati en 2009). « Je crois que je suis né à la mauvaise époque », regrette-t-il même. Djokovic est au mieux un espoir, au pire un loser. François Ducasse est préparateur mental : « Pour un sportif, la dernière étape est la plus difficile à franchir parce que si une partie de moi veut atteindre l’objectif, il y a toujours une autre partie qui ne veut pas. Ça s’appelle l’inconscient ». Pour atteindre son objectif il faut se l’autoriser et se sentir légitime : « Au fond de la personne, il y a toujours cette question : est-ce que je suis assez bon pour jouer cette place-là ? ». Pour Djoko, il va falloir un grand coup de destin pour renverser l’histoire.  Celle avec un grand H.

 

« J’ai perdu la peur »

Rien de tel qu’une bonne trouille pour se remettre les angoisses en place. La peur de gagner, c’est le moment où le bras devient fébrile, où lorsqu’il faut conclure, la balle termine dans le bas d’un filet. C’est le moment où « le joueur pense à l’enjeu plutôt qu’à son jeu ou même son je », reprend Ducasse. Avoir peur de gagner, c’est avoir peur des conséquences d’une médaille olympique, d’un titre en Grand chelem, d’une victoire homérique. Après sa victoire à Wimbledon et son incroyable série en 2011, Djoko explique comment il est devenu un monstre : « J’ai perdu la peur (…) après la victoire en Coupe Davis par BNP Paribas en 2010, je me suis rempli de vie, d’énergie, d’envie de revenir sur les courts, de jouer encore plus, de gagner de nouveaux tournois. Je n’avais plus peur ». Que s’est-il passé à Belgrade pour qu’un jeune talentueux mais un peu foufou se transforme en super-héros capable de porter le destin d’un pays sur son dos et d’enchaîner cinq titres de Grand chelem et un Masters sans trembler ?

 

Super-Djoko

Belgrade, 4ème match de la finale contre la France. Djoko mène 2 sets à 0. 3-3, balle de break contre lui. Sur un coup droit croisé mais un peu court, Monfils dégaine un drive surpuissant. Nole est congelé. Hors de lui, il fracasse sa raquette trois fois sur le béton de Belgrade. Dans un cerveau normal, ce point aurait pu faire basculer la finale. Dans celui de Djokovic, c’est le contraire qui se passe. Nole ne perd pas sa concentration. Ce jeu sera le dernier remporté par le Français en finale. Novak met fin à l’espoir, 6-4. Quelque chose vient de se passer. Novak remporte ses deux simples et fait gagner le plus important trophée de sport à la nation de son père, sur son sol. Rien dans sa vie ne sera jamais à la hauteur de cet exploit. Cette Coupe Davis par BNP Paribas, c’est le destin d’une nation, pas un objectif de carrière. Le psy explique : « Pendant la finale, on voit que c’est le patriotisme qui l’habite qui l’a rendu invincible, parce qu’il a les épaules et l’égo pour le supporter. Ce n’est pas le cas de tous les joueurs. Certains s’effondreraient dans ce genre de cas. Llodra, lui, dans le cinquième match décisif, est complètement écrasé par l’enjeu ». Cette finale est un tournant parce qu’aucune autre défaite n’aurait été pire que celle-ci. Le saladier remporté et le rêve des autres enfin réalisé, Djoko n’a plus peur. Il peut maintenant gagner tranquille et déguster le gazon.

 

Par Thibaud Leplat

 

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