MAUREEN CONNOLLY, LA PETITE FILLE AUX ALLUMETTES

22 mai 2013 à 15:25:15

Il y a 60 ans, bien avant Margaret Court et Steffi Graf, elle signait le premier Grand chelem calendaire de l’histoire du tennis féminin. Maureen Connolly est pourtant rarement citée dans les débats sur la ou les plus grande(s) joueuse(s) de tous les

Il y a 60 ans, bien avant Margaret Court et Steffi Graf, elle signait le premier Grand chelem calendaire de l’histoire du tennis féminin. Maureen Connolly est pourtant rarement citée dans les débats sur la ou les plus grande(s) joueuse(s) de tous les temps. La faute à une vie trop vite consumée : championne précoce à la carrière tragiquement interrompue dès l’âge de 20 ans, son existence s’est achevée à 34. Sortie d’oubli.

 

« J’ai longtemps cru que l’excellence sur un court de tennis était mon destin, un destin sombre où le court devenait ma forêt inextricable, et dans laquelle j’étais un chasseur solitaire terrifié. J’étais une étrange petite fille armée de haine, de peur, et d’une raquette en or. » La vie de Maureen Connolly, qu’elle décrit par ces mots dans son autobiographie, Forehand drive parue en 1957, trois ans après l’arrêt de sa carrière, a tout du conte. Mais un conte tragique, au dénouement terrible, plus proche d’Andersen que des frères Grimm.

Comme dans tout récit de ce type, il y a d’abord un contexte familial difficile : le père abandonne le foyer quand la petite fille n’avait que quatre ans, la mère est une marâtre qui se demande avant tout par quel moyen sa fille pourrait bien lui rapporter un peu d’argent. Elle lui fait tâter du chant, de la danse… La gamine peut bien rêver de chevaux et d’équitation, son terrain d’expression à elle sera le court de tennis. Maureen a à peine 10 ans qu’elle ramène déjà quelques dollars à la maison en tant que ramasseuse au tennis-club local. Dans ses moments de temps libre, elle tape la balle contre le mur et copie à blanc les gestes des adhérents du club.

Sa coordination tape dans l’œil d’Eleanor « Teach » Tennant, femme à poigne de l’Amérique d’après-guerre, prof de tennis des stars d’Hollywood comme Clark Gable, Errol Flynn et Marlene Dietrich, qui connaît son heure de gloire en tant que coach d’Alice Marble et Bobby Riggs, lauréats des épreuves du simple à l’US Open de 1939. Tyrannique, Tennant transforme la petite gauchère en droitière, au prix d’innombrables heures passées à répéter des gammes du fond de court, la prive de sorties et surveille étroitement son alimentation. Surtout, Tennant conditionne l’esprit de son élève et lui apprend la haine de l’adversaire : la joueuse en face est une ennemie, et rien ne doit la détourner de son entreprise de démolition. Elle réussit au-delà de toute espérance : « Tout ce que je voyais sur le court, c’était mon adversaire, note par la suite Connolly. Vous auriez pu faire exploser de la dynamite sur le court voisin que je ne l’aurais pas remarqué. »

 

La tueuse à nattes et l’USS Missouri

Douée, l’apprentie championne enregistre très vite de bons résultats en compétition : premier tournoi remporté à 13 ans, titre junior à l’US Open à 14… Si son service est perfectible, son jeu de fond de court, éreintant pour l’adversaire à force d’essuie-glaces et de variations d’effets, jette déjà les bases de ce qui fera le succès d’une autre enfant chérie de l’Amérique vingt ans plus tard : Chris Evert. Cette véritable machine à gagner, sans émotions apparentes sur le court, remporte son premier tournoi du Grand chelem à l’US Open 1951, à seulement 17 ans, puis fait le doublé Wimbledon – US Open l’année suivante.

La réussite venant, la créature de Teach Tennant affirme son caractère et s’émancipe : elle renvoie sa coach à ses leçons hollywoodiennes et fait preuve de résolution en se liant à un Australien, Harry Hopman, futur éleveur des Laver, Rosewall, Court, Emerson ou Hoad… Avec lui, elle s’apprête à réaliser une prouesse jusque-là réservée au seul Donald Budge en 1938 : le Grand chelem calendaire. Mieux, elle y parvient en dégageant une impression de facilité, ne concédant qu’un seul set de toute l’année, contre la Britannique Susan Partridge (future Mme Philippe Chatrier) en quart de finale de Roland-Garros. « Little Mo » est née dans les médias américains. Comprendre : la petite sœur de « Big Mo », soit l’USS Missouri, cuirassé sur lequel fut signée la capitulation du Japon le 2 septembre 1945. Toujours plus délicat que le sobriquet de « tueuse à nattes », attribué lors de ses premières années. Allison Danzig, célèbre journaliste du New York Times, à qui l’on doit le terme « Grand chelem », est dithyrambique : « Avec son timing parfait, fluide, son équilibre et sa confiance, Connolly a développé les coups les plus puissants que ce jeu ait connu. »

A 19 ans, « Little Mo » est devenue un véritable phénomène de société, une vedette comme le tennis n’en avait plus connu depuis Suzanne Lenglen. Jeune, jolie, fine, invincible… La success story s’écrit aussi au fil de ses accès d’humeur, comme cette finale de double dames à Roland-Garros où, associée à Neil Hopman (la femme d’Harry), elle s’agace après sa partenaire et finit par lui ordonner d’engager ses coups de service… et de s’écarter aussi vite pour mieux la laisser jouer seule contre ses deux adversaires ! Et elle gagne, évidemment. Personne n’est en mesure de l’arrêter, et elle signe un nouveau doublé Roland-Garros – Wimbledon en 1954. A 20 ans, elle est au sommet. La chute va être brutale.

 

« Je n’ai pas de bons souvenirs liés au tennis »

Le succès a permis à Maureen Connolly d’assouvir sa passion pour les chevaux. L’été suivant sa troisième victoire à Wimbledon, elle effectue une sortie sur Colonel Merryboy, l’étalon que la ville de San Diego lui a offert après sa seconde victoire à l’US Open. C’est là que la cavalière et sa monture sont renversées par une bétonneuse en manœuvre : la jambe droite de Connolly est brisée, l’artère et les tendons sectionnés. Sa carrière de sportive de haut niveau s’achève ainsi, broyée entre l’étau d’un engin de chantier et un flanc de cheval. Malgré une rééducation forcenée, jamais la jeune femme ne retrouvera le plein usage de sa jambe.

Elle stoppe là une carrière aussi météorique qu’éblouissante, riche de 9 titres en 11 participations à des tournois du Grand chelem, et seulement 4 défaites enregistrées en autant d’années au sommet. Personne n’aura trouvé la clé face à cette championne qui a ouvert une nouvelle ère en tennis féminin, définissant de nouveaux standards de jeu par son style métronomique et sa capacité à attaquer côté revers, et ramenant le tennis féminin à une popularité plus vue depuis Suzanne Lenglen et Helen Wills Moody.

Regrette-t-elle cette violente fin de carrière ? Peut-être moins qu’on pourrait le croire. « Je n’ai pas de bons souvenirs liés au tennis, avoue-t-elle à un journaliste qui s’étonne de sa gravité sur le terrain. Le tennis peut être quelque chose de pesant quant vous y consacrez toute votre vie comme je l’ai fait. Cela peut vous rendre aigri si vous n’avez rien d’autre que l’entraînement et les matchs dans la tête. Le tennis est un jeu fantastique mais je le quitte sans regrets. J’ai eu une vie de championne, remplie de voyages, de rencontres… Maintenant j’aspire à une vie plus paisible de femme au foyer. J’en suis heureuse. » Un décès très jeune l’empêchera malheureusement de profiter de cette deuxième vie : elle s’éteint en juin 1969, victime d’un cancer à l’estomac. Elle n’avait que 34 ans. Cruel jusqu’au bout, le conte n’aura pas de morale : la plus oubliée des géantes, c’est elle.

 

Par Guillaume Willecoq

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