Le fantassin, le diplomate et le franc-tireur. Faussement désordonnée, la communication de Rafael Nadal et de son équipe obéit en réalité à des figures imposées. Décryptage.
Clan : « Groupement de personnes ayant entre elles un rapport de parenté soit du point de vue du père, soit du point de vue de la mère. Désigne aussi un groupe de personnes se soutenant mutuellement, par passion ou intérêt. » Selon la définition du Larousse, les Nadal sont un clan dans les deux acceptions du terme. Dans l’entourage du recordman de victoires à Roland-Garros, chaque membre prend bien soin de rester à la place qui lui est attribuée… A l’image, en quelque sorte, du placement de chacun dans le box réservé à l’entourage pendant les tournois : les hommes au premier rang, les femmes au second. Il en va de même dans la communication menée par le clan : il existe une hiérarchie parmi les gens autorisés à s’exprimer, et chacun possède un rôle bien défini…alors même que le personnage central, celui qui gagne sur le terrain, s’avère par ailleurs peu loquace, hors exercice imposé de la conférence de presse.
Cette manière de faire se situe pile à mi-chemin de ce qui se pratique chez les deux grands rivaux du Majorquin : ni le bazar soigneusement orchestré de la tribu Djokovic, où tout le monde – joueur, entraîneur, famille et même sparring-partners – peut s’exprimer à condition de rester dans les rails préalablement définis, ni la relative opacité du staff Federer, où chaque collaborateur est soumis par contrat à un devoir de réserve vis-à-vis des médias, et où la seule figure amenée à prendre la parole régulièrement est celle du patron en personne.
La communication des Nadal, elle, s’organise autour de deux voies : l’officielle d’abord, celle portée par Rafael en salles d’interviews ou, plus sûrement, par Benito Perez Barbadillo, l’homme des communiqués de presse pesés, soupesés, enrubannés et résolument positifs. Et puis, à côté, il y a la communication informelle, celle de l’oncle Toni, marquée du sceau de la polémique. Sous ses dehors d’ours grognon, l’entraîneur de « Rafa » est un lettré, historien par son cursus universitaire et passionné par le monde de l’information. Très vite, Toni a compris comment il fallait « nourrir » la presse, et surtout à quel moment : à la manière d’un entraîneur de football qui dérape (contre l’arbitre le plus souvent) pour mieux protéger ses joueurs, Toni allume les contrefeux quand son neveu est dans l’œil du cyclone.
« Pire que le supporter français, il y a le supporter parisien »
Exemple type, en 2009 : « Rafa », exténué par un calendrier mal géré et par son refus de s’arrêter afin de soigner un genou en lambeaux, craque sous les coups de boutoir de Robin Söderling à Roland-Garros. Réaction de Toni Nadal, en mode paratonnerre : « Le public parisien est assez stupide. Il n'y a qu’un type de supporter pire que le supporter français, c’est le supporter parisien, qui démontre bien l'idiotie d'un peuple qui se sent supérieur. Selon moi, les Français ne supportent pas qu’un Espagnol gagne. » Jackpot ! Claviers, microphones et caméras s’emballent dans l’heure et épiloguent au sujet des encouragements qui ont accompagné Söderling à l’heure de faire trébucher le quadruple tenant du titre. Et les Nadal, rentrés en leur île de Majorque, ont pu dresser au calme le bilan des erreurs commises. Pour revenir plus forts encore.
Difficile évidemment de s’y retrouver entre deux organes d’expression aussi opposés, dans le ton comme sur le fond. Dernier sujet « chaud » en date, l’étrange suggestion de Guy Forget – repoussée depuis par la direction du tournoi - de revoir à la hausse la tête de série de Rafael Nadal (probablement 5ème ou 4ème) à Roland-Garros, afin d’éviter de possibles chocs entre cadors dès les quarts de finale. Réaction officielle du team Nadal, via Perez Barbadillo : « C’est aux organisateurs du tournoi de décider ce qu’ils veulent, ensuite on pourra être d’accord ou pas. C’est une chose que Wimbledon fait déjà mais que Roland-Garros ou les autres Grands chelems n’ont jamais fait. Je travaillais avant à l’ATP et, si j’y travaillais encore, je ne serais pas d’accord avec cette idée. On a beaucoup lutté contre des arrangements de ce genre. Mais maintenant, je travaille pour Rafael Nadal, donc je travaille pour l’intérêt de mon joueur. Or pour l’instant, je ne sais pas quel est son intérêt là-dedans. » Soit une volonté affichée de la jouer modeste, d’assurer que l’on a bien compris la position de tous les partis concernés, sans pour autant oublier de renvoyer la balle dans le camp d’en face, soulignant que l’enjeu dépasse le strict cadre des intérêts de Rafael Nadal… et que les grands gagnants de l’opération seraient peut-être plus à chercher du côté des organisateurs parisiens. Ou comment détourner l’attention, en douceur.
La version maintenant de Toni Nadal : « S’ils décident de bouger les têtes de série, ce serait bien pour Rafa. Il a gagné sept fois Roland-Garros, et a perdu son classement parce qu’il a passé sept mois écarté des courts. Cela n’arriverait pas si les classements tenaient compte des résultats sur deux ans. Ce n’est pas logique que Juan Martin del Potro ait été blessé un an et soit retombé à la 700e place avant de refaire son retard. Ce n’est ni bon pour le tennis, ni pour le spectacle ». Et hop, Tonton monte au front, baïonnette au canon : il tire sur tout ce qui bouge, et profite même de l’occasion pour en remettre une couche sur son cheval de bataille, le classement ATP sur deux ans.
Sport et business, les deux mamelles d’une entreprise florissante
Vous avez dit « contradictoire ? » Complètement. Mais ce flou artistique est voulu, et entretenu, car ne s’adressant pas au(x) même(s) destinataire(s). Selon la communication officielle, tout va toujours très bien dans le meilleur des mondes, afin de rassurer les fans... mais surtout les sponsors, puisqu’on parle là d’un joueur appartenant à cette petite élite gagnant largement plus d’argent en contrats publicitaires divers qu’en prize money.
Avec Toni le franc-tireur, au contraire, on frise systématiquement la catastrophe : si les suiveurs l’avaient écouté, la carrière de son neveu se serait terminée dès novembre 2005, et la première blessure au pied de Rafael. Puis encore en 2009. Puis encore en 2012. Toujours ériger chaque match, chaque tournoi, chaque retour, comme un exploit hors normes. Et ainsi ôter un maximum de pression des épaules de son neveu, lequel du haut de ses 11 Grands chelems affiche une (feinte ?) humilité tranchant avec l’ego habituel de tout champion de cet acabit. On se rappelle de Pete Sampras en début d’US Open 2002 : « Même retombé au classement, je me sentirai toujours favori à l’US Open. Ici, c’est chez moi. » Cette même certitude qui habitait Jimmy Connors dix ans avant lui, ou Federer aujourd’hui quand il remet les pieds à Wimbledon.
Rafael Nadal, lui, a fini par intégrer le discours de son oncle, considérant chaque match comme un piège potentiel et ne se sentant jamais favori nulle part. Quitte parfois à friser le ridicule, en réfutant cette étiquette devant Jarkko Nieminen ou Gianni Mina à Roland-Garros, des joueurs, au choix, « très talentueux et très expérimenté » ou, « très talentueux et très prometteur. » No, realmente ?
Par Guillaume Willecoq
