A force de vivre toute l’année ensemble, forcément, les tennismen créent des affinités et certains deviennent même “amis pour la vie”. Mais lorsque le sort décide de les faire s’affronter, comment ça se passe dans la tête des uns et des autres ? Tentative de réponse, entre amis.
Des quatre demi-finales de Grand Chelem qu’il a disputées (toutes perdues), Sébastien Grosjean peut en regretter une en particulier: sa défaite face à Arnaud Clément lors de l’Open d’Australie 2001. S’il peut se consoler en se disant que c’est son pote qui a eu la chance d’affronter André Agassi en finale deux jours plus tard, le Marseillais peut également se demander si ce n’est pas justement sa trop grande proximité affective avec son adversaire du jour qui l’a fait flancher. Menant deux sets à rien et avec un break d’avance dans la troisième manche, Grosjean s’est liquéfié, a perdu de son agressivité au moment de conclure, au point de laisser l’Aixois revenir dans le match et braquer la rencontre en cinq sets. Comme si l’amitié l’avait paralysé. Qu’il se rassure : il n’est pas le seul. « Jouer un match officiel face à un très bon ami, ce n’est pas compliqué, c’est quasiment impossible. Je déteste ça. Ca m’est arrivé à quelques reprises, et je ne suis quasiment jamais arrivé à mettre l’affectif de côté. Je n’ai livré pratiquement que des matchs pathétiques », se souvient Julien Boutter, pro jusqu’en 2004. Très ami avec Thierry Ascione et Olivier Mutis, l’actuel directeur de l’Open de Moselle note quand même que ce n’est pas le cas de tout le monde : « Olivier Mutis, c’est l’inverse : il est motivé une fois sur dix, mais quand il joue contre un pote, par respect, il s’applique et il fait des bons matchs. Il m’a pulvérisé deux fois ». Avec Ascione, également parrain de son fils, Boutter avait l’habitude de tout partager : dîners, chambres d’hôtels, séances d’entraînements. Autant dire que quand le sort leur réservait un affrontement, on n’était loin de la partie de plaisir. « On pouvait se tirer des bourres mémorables à l’entraînement le matin du match puis afficher un niveau catastrophique sur le court deux heures plus tard. Avant une rencontre, lors du protocole, il est de coutume de se souhaiter “Bon match” entre adversaires. Avec Thierry, c’était plutôt “Bon courage” », explique Boutter.
Etablir des règles de bonne conduite
La loi du tennis étant implacable – un match débouche toujours sur un vainqueur et un vaincu -, mieux vaut donc aborder ce genre de duel dans l’unique but d’en sortir gagnant. Mais comment faire abstraction de l’adversaire ? « L’approche d’une rencontre face à un ami ne change pas radicalement. On se concentre sur la finalité, qui est de gagner, mais on peut très bien passer la soirée ensemble la veille. En revanche, on établit quelques règles de bonnes conduites. Par exemple, sur dur, lors des balles litigieuses, on décide de ne rendre aucun point et de se plier strictement aux décisions de l’arbitre pour éviter tout malentendu après la rencontre du style : “Celui-là, t’aurais pu proposer de le rejouer” », précise Florent Serra, dont les liens avec Gilles Simon, Marc Gicquel ou Nicolas Mahut vont au delà du monde de la balle jaune. Pour éviter tout risque de brouille, d’autres s’interdisent les célébrations trop démonstratives. « Face à un Josselin, par exemple, je ne vais pas serrer le poing en le fixant du regard après un joli coup, ou crier “Allez !” après chaque point gagné. Il y a plus de pudeur que lorsque je joue un étranger », note David Guez, ami avec le jeune Ouanna. Et après le match ? « On n’en parle pas. On discute d’autre chose. De nos histoires, de nos copines », complète t-il. Enfin, si jouer un ami s’avère mentalement délicat, cela peut-être une aubaine d’un point de vue technico-tactique : « A force de s’entraîner ensemble, on connaît les points forts et les points faibles du copain d’en face. Et donc la tactique à adopter », estime Florent Serra. Mais attention à ne pas s’y méprendre : tous les joueurs se passeraient bien de ce type de rencontres, comme l’avance David Guez : « Inconsciemment, vous savez que l’un des deux va perdre et donc quitter le tournoi. Et donc qu’une fois seul, si vous gagnez, la semaine va être plus longue. »
Par Marc Hervez
