Vie et anecdotes d’une photographe sur les courts

15 nov. 2022 à 06:00:00 | par Florian Cadu

Présente sur le circuit depuis 1990, Corinne Dubreuil traverse les terrains aux quatre coins de la planète et enchaîne les clichés à tour de doigts pour les médias ou la Fédération Française de Tennis. Entre quelques bises à Rafael Nadal et des milliers de kilomètres parcourus à pied, elle se raconte.

Vendredi 4 novembre 2022, quart de finale du Rolex Paris Masters. Opposé à Félix Auger-Aliassime, Frances Tiafoe entre en scène et s’appuie sur une sorte de frigo contenant, entre autres, quelques serviettes et des bouteilles d’eau. Malheureusement, la porte de cette glacière se casse… et vient cogner la tête d’une Française posée à un endroit stratégique et souhaitant profiter des lumières particulièrement intéressantes du show pour réaliser quelques clichés dont elle a le secret. “J’étais en sang, j’ai dû être évacuée pour qu’on me fasse des points, rigole Corinne Dubreuil, la victime de cet incident improbable. Le lendemain, il était complètement navré et m’a adressé quelques mots d’excuse.” Ainsi va (parfois) la vie d’une photographe sur le circuit, pourtant grande habituée des courts de tennis ces deux dernières décennies.

En effet, cela fait maintenant près de 33 années que la quinquagénaire traverse chaque année la planète entière avec son matériel sur le dos pour offrir aux différents médias ou à la Fédération Française de Tennis des images de tournois. Femmes, hommes, joueurs et joueuses, balles, lieux, filets, ATP, WTA, Grands Chelems, joies, soulagements, fatigues, sourires, étreintes, chutes, sauts, services, coups droits, revers, larmes, pleurs, cris, tristesses, frustrations, colères, déceptions… Rien n’a échappé à cette freelance hyper expérimentée qui a, elle aussi, manié la raquette durant son adolescence et qui a commencé son œuvre vers la vingtaine. Même un peu avant, raconte-t-elle : “Cette histoire démarre en réalité en 1987, quand je suis allée pour la première fois à Roland-Garros. J’avais seize ans et lorsque je suis arrivée, j’ai vu Chris Evert sur le court numéro un. Là, ça a fait tilt. Je me suis dit : ‘J’adore cette joueuse, j’adorerais la rencontrer.’ Je suis donc allée à son hôtel, pour avoir un autographe… et j’ai fini par récupérer son numéro de téléphone de Floride ! Puis, avec mon anglais pourri, j’ai commencé à l’appeler et elle me donnait des billets pour les grandes compétitions.” Déjà passionnée de photo, Corinne s’est alors mise à voyager.

Douze à quinze kilomètres par jour

Très vite, les missions professionnelles se sont enchaînées. Jusqu’à aujourd’hui, et grâce à un corps qui ne l’a jamais laissé tomber : contrairement à un match de football qui dure seulement 90 minutes, le boulot est beaucoup plus long au tennis puisqu’il dure toute la journée. Ainsi, pour être sûre de ne rien rater, Corinne parcourt entre douze à quinze kilomètres par jour avec une quinzaine de kilos de matos à transporter. Les yeux rivés à la fois sur son téléphone pour suivre la programmation ou le déroulé des rencontres en direct et sur son appareil pour capturer le moment présent, ses jambes galopent partout. Sans pour autant fatiguer son esprit, qui doit rester lucide afin de ne pas rater des fins de rencontres importantes ou des secondes pouvant s’avérer exceptionnelles. “Avec le temps, on apprend à connaître les emplacements intéressants à shooter. Mais surtout, il faut apprendre à connaître les joueurs et leurs habitudes, décrypte la pro. On sait notamment que neuf fois sur dix, un joueur qui gagne un point ou un match va se retourner vers son clan. Si on a un Corentin Moutet-Rafael Nadal et que Moutet a une balle de match, je ne vais pas rester aux alentours du clan de Nadal : je vais évidemment aller vers le clan de Moutet. Enfin, si je peux… Parce que souvent, nous avons des places qui nous sont attitrées. Notamment à Wimbledon, où c’est très compliqué d’aller où nous voulons et où nous sommes assignés à une zone précise. Je fais aussi des calculs, quelquefois : s’il y a 5-5, il peut y avoir un tie-break et le joueur qui sert là va alors repasser de l’autre côté… Tout ça s’anticipe, c’est une gymnastique qui s’acquiert au fur et à mesure. Si bien que je ne m’en rends même plus compte, ce sont des automatismes.”

Des techniques qui lui ont permis de remporter le Grand prix du Festival International Sportfolio avec un cliché des jumeaux Bob et Mike Bryan en 2015, de sortir un livre condensé de photos de Roger Federer intitulé Federer for ever ou encore d’avoir une exposition Roland Garros lui étant consacrée à l'espace Nikon Plaza en 2018. Parmis ses chefs d’oeuvres préférés, elle en retient deux en priorité : une en noir et blanc qui montre les mains bandées de Nadal posées sur le trophée de Roland en 2012 - “qui doit trôner dans les bureaux de l’entourage de l’Espagnol”, selon Corinne -, et une autre de Federer après son dernier Open d’Australie glané en 2018, où le Suisse est pris au naturel confortament installé dans un canapé dans un décor victorien en train de passer un coup de téléphone avec sa coupe au premier plan - “une photo forte, qu’on voit peu”, estime-t-elle -. À force de les côtoyer, Corinne est d’ailleurs reconnue par ces stars avec qui elle a créé une relation de confiance (pour ne pas dire amicale). “C’est sûr qu’avec les années, les joueurs et joueuses s’habituent à ta présence au bord des terrains, confirme-t-elle. Il y a forcément des liens sympathiques qui s’installent, bien sûr que les grands champions nous saluent et sont très courtois. Il s’agit d’une relation de respect mutuel, de travail tout simplement !” Même si le coronavirus est passé par là : les bises de Rafa, c’était donc autrefois ! 

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