L’écran du téléphone portable d’Iga Świątek doit être un tantinet collant. Prise la main dans le pot de confiture, elle a dû tapoter sur son clavier pour se fendre d’un tweet en réponse à une polémique grandissante. “Félicitations à Donna Vekić, et désolée d’avoir agité mes mains au filet”, a-t-elle écrit peu après sa victoire en finale du WTA 500 de San Diego. La pomme de la discorde ? Un geste visant à pousser la Croate à manquer une balle “facile”, sur un passing à bout portant. En vain. Elle a paumé le point. Peu importe. Plus grand tribunal du monde, le réseau social de l’oiseau bleu s’est mis à piailler et agiter ses ailes. Sans voler très haut, parfois
.
Derrière leurs écrans, épitoges par-dessus la robe de chambre pour en faire une robe de juge ou d’avocat, nombreux passionnés de tennis ont débattu. La Polonaise était-elle coupable de triche ? Et de récidive ? Face à Lauren Davis au troisième tour de son parcours victorieux lors de l’US Open, entre autres, elle avait usé de la même “astuce”. Sans succès, déjà. “Je ne suis pas sûr de ça (de la règle), mais je ne crois pas que ce soit légal, avait alors réagi John McEnroe. C’est un peu un coup en dessous de la ceinture.” Seul hic, le règlement est assez vague au sujet des “gênes”.
Faire du bruit volontairement, crier est sanctionné. En finales des US Open 2011 Open d’Australie 2015, respectivement face à Sam Stosur et Maria Sharapova, Serena Williams en avait fait l’amère expérience. Sur une gifle de coup droit alors qu’elle faisait face à une balle de break contre l’Australienne et sur un service qu’elle imaginait sans doute gagnant mais relancé par la Russe, les points lui ont été donnés perdus pour cause de puissants “COME ON !” lâchés un peu trop tôt. Fourberie bien connue des amateurs et joueurs du dimanche les plus roublards, faire du bruit en tapant volontairement sa raquette contre le sol est également puni. Si Stéfanos Tsitsipás était passé au travers des mailles du filet face à Denis Shapovalov à Miami en 2020, Maria Kirilenko avait été prise par la patrouille contre Sharapova à Indian Wells en 2012.
En revanche concernant les gestes, flou total. “Toute gêne causée par une joueuse étant jugée comme délibérée sera sanctionnée de la perte du point”, est-il stipulé dans le règlement WTA. “Toute distraction (intentionnelle ou non) causée par un joueur peut être jugée comme délibérée et causer la perte du point”, est-il indiqué dans celui de l’ATP. Enfin, “si un joueur est gêné dans l’exécution de son coup par un acte délibéré de son adversaire, le joueur gagne le point”, est-il rédigé dans celui de l’ITF, faisant foi pour les tournois du Grand Chelem, la Coupe Davis et la Billie Jean King Cup. L’ennui étant que la notion de “gêne”, notamment par des gestes, n’a pas été précisément définie.
Elle a été laissée à l’appréciation des arbitres, chargés d’allumer les feux antibrouillards pour conduire les matchs dans ces situations. Or la frontière entre le geste jugé de “perturbation” et la feinte est aussi épaisse qu’un sandwich SNCF, comme dirait Renaud. Lorsque notre Gaël Monfils national se mue en toupie en plein échange ou fait mine de se désintéresser totalement d’un point avant de sprinter comme un dératé, n’est-ce pas tout aussi déroutant pour l’opposant que d’agiter les bras ? Toutes considérations éthiques mises à part et propres à chacun, sur le plan purement pragmatique du règlement, si ces facéties ingénieuses ne sont pas incriminées, pourquoi les mouvements de bras ou autres devraient-ils l’être ?
Voilà sans doute ce que se disent les arbitres. Car dans les faits, les gestes “tactiques” de perturbation ne sont généralement pas châtiés. Ma mémoire a peut-être subi l’effet gommant du temps, mais je n’ai pas le souvenir d’avoir vu un joueur ou une joueuse perdre le point pour avoir tenté de déstabiliser son adversaire par la gestuelle. Offrant son joufflu à Roger Federer en guise de cible (imposante) lors du Masters 2017, Jack Sock avait empoché son jeu de service. Huit ans plus tôt, contre son bon compère Tommy Haas à Wimbledon, le Suisse avait connu une mésaventure cocasse similaire. Ivo Karlović, maître de la gesticulation avant smash adverse, avait quant à lui poussé Juan Martín del Potro à la faute à Miami en 2012.
Pratique antisportive ou tactique judicieuse et maligne dans une situation désespérée, chacun verra midi à sa porte en fonction de sa propre philosophie. Mais qualifier cela de “tricherie” est, si ce n’est faux, très abusif. Parce que la réglementation n’indique pas précisément ce qui peut être considéré comme “gêne” manifeste et, visiblement, les arbitres considèrent ces agitations de bras comme légales. Iga Świątek pourrait donc très bien continuer à s’adonner à son péché mignon, et laisser clabauder les inquisiteurs de Twitter tout en s’en lavant les mains.
Plus d’informations sur
Les joueurs
Serena Williams
Iga Swiatek
Donna Vekic
Roger Federer
Stefanos Tsitsipas
Denis Shapovalov
Ivo Karlovic
Jack Sock
Maria Sharapova