Faut-il être absolument coaché par une légende du jeu ?

13 sept. 2022 à 06:00:00 | par Steven Oliveira

Faut-il être absolument coaché par une légende du jeu ?
Novak Djokovic et Goran Ivanisevic
Juan Carlos Ferrero avec Carlos Alcaraz, Conchita Martínez avec Garbiñe Muguruza, Carlos Moya avec Rafael Nadal ou encore Goran Ivanišević avec Novak Djokovic : nombreux sont les meilleurs joueurs et joueuses du circuit à s’être entourés d’une ancienne légende du tennis pour les accompagner. Pour autant, ceci est-il obligatoire pour régner sur le tennis mondial ? Rien n'est moins sûr.

Carlos Alcaraz est le nouveau visage du tennis mondial. Devenu à 19 ans, 4 mois et 6 jours le plus jeune numéro 1 mondial de l’histoire après sa récente victoire en finale de l’US Open face au Norvégien Casper Ruud, l’Espagnol a célébré son premier Grand Chelem en grimpant dans son box dès la balle de match remportée. Dans celui-ci se trouvait sa famille, ses amis et, bien sûr, son entraîneur : un certain Juan Carlos Ferrero qui, lui aussi, était devenu numéro 1 mondial en septembre 2003 à l’issue d’une finale de l’US Open (perdue face à Andy Roddick). Coach du prodige espagnol depuis ses 15 ans, l’ancien vainqueur de Roland-Garros est donc passé de l’autre côté du terrain une fois sa retraite sportive annoncée. Comme bien d’autres avant lui. 

Tony Roche comme précurseur

Carlos Alcaraz n’a pas révolutionné le tennis en s’appuyant sur une ancienne légende de ce sport comme entraîneur. Parmi les meilleurs joueurs mondiaux on retrouve par exemple Thomas Enqvist avec Stéfanos Tsitsipás, Conchita Martínez avec Garbiñe Muguruza, Carlos Moya avec Rafael Nadal ou encore Goran Ivanišević avec Novak Djokovic, qui a également déjà eu par le passé comme entraîneur Boris Becker et Andre Agassi. Une mode qui n’est pas nouvelle puisque l’Australien Tony Roche, vainqueur de Roland-Garros en 1966, a eu à l'époque sous ses ordres Ivan Lendl avec qui il a remporté sept Grand Chelem, Patrick Rafter (deux US Open gagnés pendant leur collaboration) ou encore Roger Federer (six Grand Chelem glanés). Si l’on ajoute les réussites de Michael Chang avec Kei Nishikori ou encore de Ivan Lendl avec Andy Murray, qui a alors remporté ses deux premiers titres de Grand Chelem, on pourrait croire que s’entourer d’une ancienne légende est la clé pour briller sur les courts de tennis. Pour Julien Boutter, ancien 46e mondial et vainqueur de Gustavo Kuerten alors numéro 1 mondial, s’entourer d’anciennes légendes est un plus non négligeable : « Il y a des spécificités que le joueur s’est approprié, des astuces qu’il pourrait donner, dans la gestion d’un Grand Chelem, par exemple. On peut prendre l’exemple de Davydenko qui s’est envoyé des Masters 1000, 500 et 250 à la pelle, mais dont la gestion des Grand Chelem a posé un peu plus problème. Pareil avec Nalbandian. Là, effectivement, avoir l’expérience d’aînés, de personnes qui ont gagné des Grand Chelem, bien sûr que cela a un sens. » Cela a aussi un coût que seuls les meilleurs mondiaux peuvent se permettre, le tennis étant l’un des seuls sports où le joueur paye lui-même son entraîneur. De quoi expliquer que tous et toutes ne sont pas dans la même démarche. D’autant plus que c’est loin d’être une recette miracle. 

Les échecs Connors et Wilander

Respectivement vainqueurs de huit, sept et six tournois du Grand Chelem, Jimmy Connors, Mats Wilander et Stefan Edberg n’ont pas forcément réussi à faire passer un cap à Marat Safin, Andy Roddick, Maria Sharapova et Roger Federer. D’ailleurs, leurs collaborations avec eux n’ont pas duré longtemps et n’ont pas forcément été suivies par d’autres expériences dans le coaching. Car oui, avoir été une légende du tennis ne fait pas forcément de vous un bon entraîneur. Une évidence pour Julien Boutter, qui a fait sa carrière avec « un enseignant qui était 15/1 et un préparateur physique qui venait de la boxe et qui ne savait pas dans quel sens on tenait la raquette » : « Demandez à un joueur les invariants pour avoir un bon service ou un bon coup droit, je ne sais pas s’ils seront capables de les donner. Ce n’est pas parce que l’on a été numéro 1 mondial que l’on est capable de les savoir et de les maîtriser. Être capable de le faire ne veut pas dire que l’on est capable de l’enseigner. C’est totalement différent. Quand j’étais à la fac, je galérais sur un ou deux domaines en maths et j’avais un cousin brillant qui avait fait maths sup, maths spé. Et bien il n’a jamais été capable de m’expliquer un truc. Il me disait : “Tu fais comme ça, tu mets ça”, mais c’était du singe pour moi. Il était capable de résoudre l’équation mais incapable de me l’enseigner. » 

Pour l’actuel directeur du Moselle Open, un entraîneur qui n’a pas fait parti des meilleurs mondiaux a même un avantage sur les autres : « J’ai joué une heure et demi avec mon gamin tout à l’heure et c’est vrai que parfois on explique des choses qui sont évidentes pour nous et on peut donc avoir moins de compréhension ou de patience pour l’expliquer car c’est évident. Et puis à un moment donné, l’ancien joueur va raisonner par rapport à lui, son passé, son niveau de jeu. Alors que quelqu’un qui n’a pas eu une carrière, lui, son savoir il l’a appris, il l’a examiné de plusieurs joueurs, plusieurs situations. Ce qui n’est pas le cas d’un ancien champion de haut niveau. » Ce ne sont pas Toni Nadal ou Patrick Mouratoglou, qui n’ont pas eu besoin de tutoyer les sommets du tennis mondial pour faire gagner des Grand Chelem à leurs protégé(e)s, qui vont dire le contraire. 

Et si la solution se trouvait au milieu ? 

Daniil Medvedev, coaché par le Français Gilles Cervara qui n’a jamais été tennisman pro, a aussi prouvé qu’on n’avait pas besoin d’avoir une légende comme entraîneur pour remporter un Grand Chelem et devenir numéro 1 mondial. Pour autant, la bonne solution serait peut-être un mélange des deux. Soit un entraîneur classique qui suit son joueur au quotidien tel un manager, et une ancienne star de la petite balle jaune qui vient de temps en temps ajouter son expertise. C’est en tout cas l’avis de Julien Boutter : « Je suis convaincu que dans le monde du tennis un entraîneur ne peut pas avoir l’expertise globale. C’est impossible. Par contre, certains ont une approche spécifique de la technique de terre battue, de gazon, du coup droit, de la volée, peu importe. Je pense que ça peut être l’avenir de dire : “Moi j’ai une expertise au niveau de ci ou de ça et mon expertise je la mets à disposition”. Ma vision serait donc d’avoir un manager général et puis à chaque difficulté rencontrée d’aller trouver les expertises. C’est ce que j’ai fait par exemple en allant voir Laurent Raymond pour m’expliquer comment jouer sur gazon. » Ainsi, à l’avenir on pourrait voir un joueur gagner un Grand Chelem avec dans son box son entraîneur de toujours assis à côté de Rafael Nadal, son expert de la terre battue, Roger Federer, son expert du revers à une main, Novak Djokovic, son expert de retour de service, Andy Murray, son expert mental, et John Isner, son expert service.

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