Le service-volée, retour vers le passé

12 juil. 2022 à 06:00:00 | par Steven Oliveira

Maxime Cressy
Abandonné à l’aube des années 2000, le service-volée semble revenir à la mode depuis quelques mois et pas seulement parce qu’un nouvel héros - Maxime Cressy, 41e joueur mondial - en a fait sa marque de fabrique.

Le calendrier est formel : nous sommes bien en 2022. Pourtant, les spectateurs au bord du court n°3, à Wimbledon, le 28 juin dernier, ont, pendant quatre heures et quatre minutes, fait un bond dans le passé en voyant jouer Maxime Cressy. Vainqueur de Félix Auger-Aliassime, tête de série numéro six du majeur londonien, l’Américain de 25 ans a écoeuré son adversaire du jour en venant constamment lui coller la pression au filet (134 montées pour 95 points remportés), réveillant ainsi des souvenirs du tennis des années 90, dont le point d’orgue a été la finale 2000 de Wimbledon entre Pete Sampras et Patrick Rafter. Deux hommes qui ont fait au cours de leur vie du service-volée une arme redoutable avant que celle-ci ne disparaisse au profit des pralines du fond de court. C’était sans compter sur Cressy, né à Paris, qui a tout de suite voulu redonner ses lettres de noblesse au service-volée. Cela lui réussit plutôt bien, puisqu’il a atteint les huitièmes de finale du dernier Open d’Australie après pas moins de 283 enchaînements service-volée lors de ses trois premiers tours, dont 123 face à John Isner. Plus que ses succès, le plus grand bonheur de celui qui a confié à Courts vouloir « devenir n°1 en pratiquant le service-volée » est d’avoir remis au goût du jour un style envoyé aux oubliettes. C’est ce qu’il a notamment confié après avoir dompté Auger-Aliassime à Wimbledon : «  J’ai travaillé si dur et tant d’heures pour arriver à ce point, j’ai dû prouver que beaucoup de gens avaient tort, que le service‐volée n’était pas mort. Je devais rester résilient avec cette tactique et c’est ce que j’ai fait aujourd’hui – c’est grâce à tout ça que j’ai pu l’emporter.  » Au point de faire des émules ? 

Au départ, la chute

Pour mesurer l’évolution des approches entre le tennis pratiqué lors des années 80-90 et celui vu depuis le début des années 2010, il n’y a qu’à jeter un œil à l’état de la pelouse du Centre Court de Wimbledon à la fin du tournoi. Après la victoire de Novak Djokovic face à Nick Kyrgios dimanche, le fond du court avait changé de couleur, virant au marron, tandis que les zones proches du filet étaient toujours verdoyantes. Tout le contraire de l’époque des McEnroe, Rafter et Becker. Les chiffres accompagnent d’ailleurs l’impression visuelle puisque lors de l’édition 2021 de Wimbledon, le service-volée représentait moins de 4% des points joués chez les hommes contre… 37% en 2001. Plusieurs éléments expliquent ce changement. Il y a d’abord l’évolution des raquettes et l’apparition de cordages en polyester utilisés par la plupart des joueurs, ce qui favorisent la puissance et les longs échanges. Il y a aussi le ralentissement de l’ensemble des surfaces. Ainsi, on a vu Kyrgios poussé une colère en plein match il y a quelques jours : « Pourquoi c’est si lent ? C’est du gazon. Arrêtez d’arroser le gazon, arrêtez de le rendre si lent. Pourquoi c’est si lent ? Il ne devrait pas y avoir de rallyes sur gazon, arrêtez de le ralentir, mon dieu ! » 

Bingo : c’est justement pour voir un plus grand nombre d’échanges que tous les courts ont été ralentis. « Quand on jouait à l’intérieur sur les tournois indoor où à Wimbledon, il y avait peu d’oppositions de style car les surfaces étaient très rapides. Ça favorisait forcément les joueurs offensifs, pose Loïc Courteau, qui a disputé quatre Roland-Garros dans les années 80 avant de devenir entraîneur de plusieurs têtes françaises (Mauresmo, Benneteau, Pouille). On avait quasiment que des matchs avec deux échanges par point et c’était inintéressant. Aujourd’hui, on peut gagner Wimbledon en ne montant pratiquement pas au filet. » Finaliste en 2021, l’Italien Matteo Berrettini n’a, par exemple, pas effectué le moindre enchaînement service-volée du tournoi.

Novak Djokovic en lanceur d’alerte

Peu de membres du circuit ont pour idole John McEnroe ou Patrick Rafter. Logique, d’abord, car la plupart des joueurs n’étaient pas nés lorsque les deux hommes ont arrêté leur carrière. Ensuite, car tous ne se sont pas fait une culture tennis en avalant les vidéos sur YouTube et ont davantage regardé évoluer Rafael Nadal, Roger Federer et Novak Djokovic pour piocher. « Naturellement, désormais, l’ADN des joueurs est de frapper fort du fond de court, de créer des points du fond de court, mais pas d’aller vers l’avant, confirme Loïc Courteau. L’ADN des joueurs d’il y a 20 ou 30 ans ce n’était pas de frapper fort du fond, mais d’aller vers l’avant. Le tennis a changé. » Les trois mastodontes ne sont pour autant pas allergiques au service-volée. Novak Djokovic a notamment sorti cette arme pour surprendre et renverser Daniil Medvedev en finale du dernier tournoi de Paris-Bercy. Pour autant, Courteau ne croit pas vraiment le rêve de Cressy de devenir numéro 1 mondial ainsi possible : « Les joueurs retournent tellement bien aujourd’hui que c’est difficile. Il peut surprendre par moment mais quand il va affronter les meilleurs joueurs au monde, qui sont les meilleurs relanceurs au monde, ce sera difficile pour lui. Je pense qu’il va avoir du mal à intégrer le Top 20 du fait des surfaces qui sont plus lentes. »

La WTA comme lieu de retour en grâce ? 

En WTA, le service-volée n’est pas plus à la mode, loin de là : en 2018, à Wimbledon, ce reste représentait moins de 1% des coups. Loïc Courteau est malgré tout convaincu qu’un retour en grâce du service-volée est plus probable chez les femmes et pas seulement parce que l’Allemande Tatjana Maria, une grande adepte, vient de s’offrir un voyage dans le dernier carré à Londres : « Si on avait des joueuses capables de faire souvent des services-volées en indoor ou sur gazon,  ce serait vraiment embêtant pour les adversaires. Les filles sont souvent gênées quand on leur joue des slices ou quand on abrège les échanges. Elles n’aiment pas du tout. » Courteau sait de quoi il parle, lui qui a entraîné Amélie Mauresmo pendant six ans et à qui il a demandé de monter plus au filet. « Elle avait un jeu prédestiné pour aller vers l’avant et elle aimait ça, mais elle a été élevée sur terre battue et habituée à jouer du fond de court. Elle montait déjà au filet de temps en temps mais elle pouvait le faire plus. » 

Le finaliste de Roland-Garros junior en 1982 met le doigt sur un point important : la formation, car même si celui qui va devenir entraîneur principal de Diane Parry en août prochain compte bien demander à sa future joueuse de faire des services-volées, il sait qu’il ne peut pas modifier l’ADN de celle qui a battu la tenante du titre Barbora Krejčíková lors du dernier Roland-Garros : « Diane a déjà son jeu en place. On ne crée pas une joueuse service-volée aujourd’hui à 20 ans. On peut l’amener plus vers le filet, la faire progresser dans ce domaine mais on ne peut pas lui dire d’un coup : “Tu vas faire service-volée”. Par contre, on peut les former depuis le plus jeune âge, vers 12-13 ans, à les amener beaucoup plus vers l’avant afin qu’elles développent ce jeu en catégorie de jeunes, afin qu’elles soient mûres lorsqu’elles arrivent sur le circuit principal. » Un avis que partage Maxime Cressy qui a raconté à L’Équipe sa formation au centre de Boulouris, un pôle de la FFT réservé aux Espoirs français : « Les gens étaient plutôt d'accord que je fasse service-volée, mais j'ai senti qu'ils n'étaient pas non plus à 100 % convaincus. C'était alors à moi de me convaincre tout seul car c'était juste un style de jeu que j'aimais. J'ai dû développer une croyance énorme en moi-même. Je n'étais pas vraiment poussé. Dans le milieu fédéral, on voulait plutôt un style qui fasse gagner tout de suite, au sein d'un système où il fallait à tout prix rentrer à l'Insep, puis au CNE. C'est un système qui demande des résultats immédiats. Du coup, dans un tel système, avoir un "nouveau" style de jeu qui prenne du temps à se mettre en place n'est pas forcément l'idéal. » Actuellement 45e mondial, Maxime Cressy n’a “plus que” 44 places à gravir pour atteindre son rêve et pprouver qu’il est encore possible de régner sur le tennis en usant du service-volée. En attendant, il peut déjà se satisfaire de redonner du plaisir aux nostalgiques.

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