Il paraît que les Américains n’aiment pas la terre battue. Les chiffres le prouvent puisque les États-Unis n’ont raflé que quatre titres chez les hommes à Roland-Garros depuis le début de l’ère Open (Michael Chang en 1989, Jim Courier en 1991 et 1992, Andre Agassi en 1999) contre quatorze à l’Open d’Australie, quinze à Wimbledon et dix-neuf à l’US Open. Né et formé en Floride, Jim Courier, armé de sa casquette et de son bras droit surpuissant, n’avait, a priori, aucune raison de déroger à cette règle. Reste que l’Américain a réussi au fil de sa carrière à nouer une relation particulière avec la terre battue française et pas seulement parce qu’il parle français. Cet amour avec l’ocre parisien a débuté en 1987, lors d’un Roland-Garros junior remporté en double avec Jonathan Stark, avec qui Courier a également remporté la Coupe Davis huit ans plus tard. Puis, il s’est renforcé en 1989, année de la première victoire du bonhomme sur un top 10 (Andre Agassi, battu au 3e tour). Formé comme Jim Courier à la Nick Bollettieri Tennis Acadamey, le Kid de Las Vegas prendra sa revanche lors des huitièmes de finale en 1990 avant une belle lors de la finale de l’édition 1991, grattée à la surprise générale par Courier, alors vainqueur de son premier Grand Chelem. Le dernier ? Non : le début d’une domination de deux années sur le tennis mondial, avec en point d’orgue un deuxième titre Porte d’Auteuil en 1992, soulevé au bout d’un tournoi façon bulldozer (un seul set perdu et un Agassi dévoré en finale). Retour sur quinzaine à part.
Un début d’année stratosphérique
Quand Jim Courier débarque à Paris pour disputer son match d’ouverture au printemps 1992, il se rend rapidement compte que sa cote a grimpé auprès d’un public parisien qui semblait le découvrir un an plus tôt. Logique : “The Rock” est tenant du titre et vient de choper la première place mondial à Stefan Edberg, qu’il a dominé quelques semaines plus tôt en finale de l’Open d’Australie. La quinzaine de Melbourne n’a été qu’un avant goût : 1992 va être l’année du grand Jim. Atomisé lors des huitièmes de finale en Australie, Marc Rosset se souvient : « Je me prends une branlée. Il n’était pas injouable cette année-là puisque je le bats en Coupe Davis et aux Jeux Olympiques mais en Australie, il était vraiment beaucoup plus fort que moi, ça, c’est sûr. J’aimais bien jouer contre lui. J’aimais bien ce défi qu’il imposait. Il frappait fort. En Australie, je me rappelle que dès l’échauffement, quand j’étais au filet, il frappait fort sur moi. Vous sentiez vite qu’il était là. » Que le Suisse se rassure : à l’époque, il n’a pas été le seul à subir la loi de Courier, qui n’a perdu que deux sets lors de l’Open d’Australie avant de filer conserver son titre sur la terre battue de Rome. C’est donc un homme en confiance et invaincu depuis seize rencontres consécutives qui pose ses valises en France pour y défendre son titre.
Un set perdu pour conserver sa couronne
Un premier tour de Grand Chelem n’est jamais une mince affaire, même lorsque l’adversaire - ici Nicklas Kroon - vient de sortir des qualifications. Si Jim Courier dispute pour la première fois Roland-Garros avec l’étiquette de favori, la pression ne va se faire ressentir que lors d’un premier set où le Suédois pousse l’Américain au tie-break. Tie-break que Courier remporte avant d’achever son adversaire en trois sets. Kroon ne le sait pas encore, mais il sera le seul à emmener “The Rock” au tie-break au cours de cette édition 1992. Il faut dire que la suite a été une promenade de santé pour le natif de Sanford : de Thomas Muster - pourtant demi-finaliste en 1990 et vainqueur de Monte-Carlo quelques semaines plus tôt - à Andreï Medvedev - vainqueur chez les juniors un an plus tôt - en passant par Alberto Mancini, tout le monde tombe sous les coups d’un Courier déchaîné. Seul Goran Ivanisevic a su (très) légèrement faire trembler la bête lors des quarts de finale. Même la demi-finale face à Andre Agassi n’a été qu’une formalité alors que la planète tennis attendait une bataille. Et la finale, alors ? Rebelotte : face à Petr Korda, le suspense n’a été que de courte durée (7-5, 6-2, 6-1).
Alors, où placer ce succès de Jim Courier ? Première chose : l’Américain n’est pas le seul joueur qui a réalisé un doublé Open d’Australie-Roland-Garros sur la même année dans l’ère Open puisque Rod Laver l’a également fait en 1969, tout comme Mats Wilander en 1988. Novak Djokovic l’a également signé à deux reprises (2016, 2021). “The Rock” n’est pas non plus le seul joueur ayant réussi l’exploit de boucler sa quinzaine avec un seul petit set concédé puisque Björn Borg (1978, 1980), Ilie Năstase (1973) et Rafael Nadal (2008, 2010, 2017, 2020) ont même fait mieux en ne concédant aucun set Porte d’Auteuil. Pour autant, ce Roland-Garros 1992 reste dans toutes les mémoires car Courier aura réussi à atomiser sept adversaires pesant 32 Masters 1000 et 11 tournois du Grand Chelem à la fin de leur carrière.
Une fin de carrière précoce
Derrière ce succès majeur, Courier va connaître une légère période de creux durant l’été avec une élimination dès le troisième tour à Wimbledon et dès les huitièmes de finale des Jeux Olympiques de Barcelone contre Marc Rosset. Puis, l’Américain va repartir de l’avant avec une demi-finale à l’US Open, signe d’une année 93 aussi prometteuse. Confirmation par la preuve avec une nouvelle belle série : victoire à l’Open d’Australie, finale à Roland-Garros, finale à Wimbledon. Ce que ne sait en revanche par Jim Courier, c’est qu’il s’agit là de son dernier Grand Chelem. La faute à l’éclosion de Sergi Bruguera et à la montée en puissance de Pete Sampras. Pour autant, l’homme à la chevelure rousse n’en perd pas moins son sourire en dehors des cours, comme le confirme son ami Marc Rosset : « On se retrouvait souvent à son hôtel. Il ne donnait jamais son nom lors de sa réservation. Il était toujours sous des noms basés sur le film de Quentin Tarantino, Reservoir Dogs. C’était M.Pink ou Mr. Brown. C’était sympa. Il parlait français en plus car il avait une copine française à l’époque. Je me souviens aussi d’une discussion aux Jeux Olympiques de Barcelone en attendant les transports. C’était sympa. »
Ce personnage souriant et avenant tranche avec celui du mur qui lance des pralines et des regards sombres sur le court. « Tout le monde avait envie de gagner, il avait un fort caractère et était mauvais perdant, mais je n’ai eu aucun problème avec lui sur le terrain, replace celui qui a battu Roger Federer en finale du tournoi de Marseille en 2000. Il était quand même fair play. Moi, quelqu'un qui a une personnalité, qui a envie de gagner et qui vous le fait sentir, ça ne me dérange pas du tout. Au contraire, ça fait des bons fights. » Malgré ses 23 ans en 1993, Jim Courier semble déjà sur le déclin. Physiquement, déjà, son jeu axé sur la puissance et les mines de fond de court faisant moins mal à ses adversaires, mais aussi mentalement, l’Américain semblant perdre de sa motivation, à l’image de ce match face à Andreï Medvedev au Masters de fin d’année 1993 où Courier lit un livre à chaque changement de côté. Pas une surprise pour Marc Rosset : « J’ai parfois eu l’impression que ça lui demandait beaucoup. C’est pour ça qu’il n’a peut-être pas duré aussi longtemps qu’un Sampras. Il était vraiment axé sur le tennis mais il avait aussi d’autres centres d’intérêts dans la vie. Sur le terrain, il donnait une impression de machine et de rouleau compresseur mais en-dehors, ça lui arrivait de jouer de la batterie, de la guitare, de lire. Il n’y avait pas que le tennis pour lui. »
Un héritier qui tarde à arriver
Retraité depuis mai 2000, Jim Courier reste à ce jour le seul Américain à avoir remporter deux fois Roland-Garros dans l’ère Open. Un statut qu’il devrait garder pendant encore de longues années malgré une nouvelle génération américaine qui débarque sur le circuit ATP (Taylor Fritz, Frances Tiafoe, Sebastian Korda, Jenson Brooksby, Tommy Paul, Brandon Nakashima). Loin, très loin de celle qui a dominé le tennis mondial dans les années 90. « Quand on a perdu la finale de Coupe Davis 92 contre les États-Unis, il y avait Sampras, Agassi, Courier et McEnroe, se rappelle Marc Rosset. Michael Chang n’était pas pris et Sampras ne jouait que le double. C’était la Dream Team, c’était injouable. » Pour autant, si celui qui a été sélectionneur des USA en Coupe Davis entre 2011 et 2018 ne trouvera peut-être pas son héritier au pays de l’Oncle Sam, de nombreux joueurs se sont inspirés de son jeu à écouter Marc Rosset : « Il y a de plus en plus de frappeurs de fond de court désormais. Des joueurs qui peuvent s’apparenter à son style de jeu, il y en a quelques-uns, mais l’aura qu’il avait, le personnage que c’était, c’est plus difficile à trouver. » Désormais commentateur, Jim Courier, qui ne porte plus sa casquette, n’a pas tiré un trait sur le tennis même s’il n’a jamais disputé le fameux Trophée des Légendes à Roland-Garros. Cela ne l’empêche pas d’être une véritable légende Porte d’Auteuil.