Junior ascendant senior

19 avr. 2022 à 06:00:00 | par Quentin Ballue

Virginie Razzano
Briller chez les juniors ne rime pas forcément avec réussir chez les seniors. Comment réussir la transition ? Quelles différences entre les deux circuits ? Eléments de réponse avec Clément Morel et Virginie Razzano, qui ont connu des fortunes diverses en débarquant dans la cour des grands.

C'est une quinzaine comme les Français n'en ont plus connue depuis 1968. Il y a un an, à Roland-Garros, le tennis tricolore voit ses différents membres se prendre tour à tour une porte et aucun ne réussit à atteint le troisième tour en simple. Enzo Couacaud, Gaël Monfils et Richard Gasquet se sont même arrêtés dès leur deuxième rencontre, tout comme Caroline Garcia, Fiona Ferro, Harmony Tan et Kristina Mladenovic. Pour vibrer, la France s'en remet donc sur le double messieurs, remporté par Pierre-Hugues Herbert et Nicolas Mahut, mais aussi sur ses juniors, car là, il y a quoi se mettre à table avec un dernier carré du simple garçons 100% français. D'un côté, Sean Cunin et Luca Van Assche – le futur grand vainqueur -, et de l'autre, Giovanni Mpetshi Perricard et Arthur Fils. Des joueurs à peine majeurs, qui tenteront de reproduire cette performance dans les années à venir sur le circuit senior. 

Reste que la marche est haute et difficile à franchir. Ainsi, Julien Jeanpierre s'est révélé au grand jour en raflant le simple et le double garçons lors de l'Open d'Australie en 1998. Des titres et des succès contre David Nalbandian ou Roger Federer chez les juniors, mais au final, pas mieux qu'une 133e place au classement ATP. Clément Morel est lui aussi passé par là. Le Lyonnais a notamment porté un sac de promesses suite à son sacre à Melbourne, en 2002, après avoit dominé Jo-Wilfried Tsonga en demi-finale. Sa carrière professionnelle n'a cependant jamais décollé et à 23 ans, Morel a changé de voie. Il dit : « Aux yeux du public, quand on gagne un tel tournoi, on doit percer. Malheureusement, ça ne l’a pas fait. »

« La guerre dès le premier point »

Quitter l'ITF World Tour Juniors, le circuit dédié aux joueurs de 18 ans et moins, pour voler de ses propres ailes chez les seniors n’a rien d’une promenade de santé. Arriver sur le circuit, c’est se retrouver nez à nez avec des adversaires bien plus expérimentés et bien mieux armés. Parfois peu connus, aussi, ce qui est une différence nette avec la catégorie du dessous, où les mêmes têtes reviennent régulièrement. « Chez les juniors, on se connaît tous. On fait tous les mêmes tournois, une hiérarchie s’installe, expose Morel. Les premiers tours étaient assez faciles. Mentalement, certains partaient presque battus d’avance. En Futur et en Challenger, c’est la guerre dès le premier point, dès le premier tour. Il y a aussi des joueurs qui n’avaient pas la chance d’être dans les deux ou trois meilleurs de leur pays, qu’on voyait donc moins, mais qui étaient très forts. Quand on faisait des tournées en Espagne, c’était très dur, ils avaient tellement l’habitude de la terre battue… » 

À l'inverse, Virginie Razzano a réussi à percer dans les couloirs de la WTA après avoir remporté trois titres du Grand Chelem chez les juniors - l'Open d'Australie en simple et en double, Roland-Garros en double. Ses débuts chez les grandes n’en ont pas pour autant été faciles. « Je me sentais level 2 et les seniors étaient level 4, décrypte-t-elle. Les défaites étaient aussi de bonnes leçons. Le plus important, c’est d’avancer à son rythme, il ne faut surtout pas se stresser ou se dire que l’on prend du retard. Mon entourage m’a permis de positiver, même dans les moments plus difficiles. Ce n’est pas toujours évident de garder le moral quand on rencontre des obstacles. » Des obstacles, et des joueuses avec des caractéristiques athlétiques d’adultes, alors que les nouvelles arrivantes ne sont pas toujours matures physiquement.

« J’avais l’impression d’être toute fine à côté des autres. On voyait qu’elles étaient des femmes, et moi, j’étais une jeunette ! Il ne faut pas se faire déstabiliser parce qu’on n’a pas l’impression de jouer dans la même cour, poursuit l’ancienne 16e mondiale. Il m’a aussi fallu un temps d’adaptation pour faire moins de fautes car les autres jouaient à une autre cadence, avec une frappe de balle supérieure. Quand elles mettent de l’effet dans la balle, ce n’est pas comme vous puisque vous n’avez pas la même force musculaire, la balle tourne beaucoup plus vite. » Plus vite, plus haut et plus fort, comme a aussi pu le constater Clément Morel : « À 16 ou 17 ans, on n’est pas encore fini en termes de taille et de musculature, le service n’est pas encore à sa plénitude. Là, on rencontre de très gros serveurs, on a un peu moins de temps, tout va un peu plus vite. J’essayais de bien retourner, mais j’ai souvent buté sur des joueurs qui servaient fort, et il y en a beaucoup. C’est certainement un point qui a été un peu plus difficile pour moi entre les juniors et les seniors. » Une donne qui oblige donc les jeunes prétendants à se dépasser physiquement, mais aussi psychologiquement.

Wanna have fun

Pour Clément Morel, la « confiance en soi est primordiale », lui qui estime, avec le recul, ne pas avoir eu la bonne approche du monde professionnel. « J’arrivais en me disant que je devais absolument gagner, et ce n’est pas la bonne formule. Au bout d’un moment, on se pose des questions quand ça bute un peu et qu’on voit les autres qui y arrivent. Je m’interrogeais : "Qu’est-ce que je vais faire après si je ne réussis pas ?" Ce n’était pas la bonne approche mentalement, c’est peut-être aussi ce qui m’a manqué. » Devenu responsable commercial Europe pour Wilson, le Lyonnais a auparavant eu l’occasion de travailler dans la détection de jeunes talents pour l'équipementier américain. Un rôle dans lequel il a pu distiller quelques conseils. « Je les voyais tout jeune, dès 12 ans. J’ai souvent dit aux parents : "Attention, ne lui mettez pas trop de pression, qu’il se fasse plaisir, c’est le plus important". J’ai beaucoup parlé avec le papa de Stefanos Tsitsipas, par exemple. C’est un processus long, on est dans une sacrée machine à laver, donc il ne faut pas s’essouffler. Moi, le plaisir de jouer, je l’avais certainement perdu à un moment. »

« Continuer à avoir confiance en soi, ou ne pas perdre confiance en soi, et prendre du plaisir à jouer », c’est justement le conseil que Virginie Razzano tient à prodiguer. En glissant au passage une idée pour essayer de s’acclimater à ce nouveau palier : s’imprégner de qui se fait de mieux. « En fonction de mon emploi du temps, j’allais voir des matchs. Je regardais beaucoup ceux de Martina Hingis, c’était une référence du tennis pourcentage. J’avais aussi été impressionnée par Arantxa Sánchez, elle avait un jeu très complet. Face à elle, je voyais des joueuses qui mettaient en place un schéma tactique très intéressant. Je regardais un peu tout, j’essayais de prendre le plus d’informations possible pour mûrir. Rien qu’en regardant, vous apprenez beaucoup de choses. » Apprendre pour assimiler cette période de transition, et ensuite gravir les échelons. C’est tout le mal que l’on souhaite à Elsa Jacquemot, Luca Van Assche et au reste de la nouvelle génération. On s’était dit rendez-vous dans dix ans ?

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