Il est 14h00. Martina Hingis s’apprête à déjeuner dans une grande salle de réception de Roland Garros. « J’ai faim », répète-t-elle trois fois en dévorant une biscotte assaisonnée d’une crème en tube comestible. Affutée, souriante et fagotée d’une chique robe noire, la Suissesse n’a pas très envie de se raconter. « Mais en plus, tout le monde sait ce que je fais ». Vous le savez, vous ?
Le 1er novembre 2007, la voix tremblotante et les yeux rivés sur son communiqué de presse, Martina Hingis annonce qu’elle a été contrôlée positive à la cocaïne lors d’un test antidopage réalisé six mois plus tôt à Wimbledon. Humiliée, la petite princesse de Trübbach rejette en bloc ces accusations mais annonce in fine sa retraite sportive. A 27 ans. Détecté par un organisme non-officiel, ce taux de cocaïne mesuré à 42 nanogrammes par millilitre est si faible qu’il ferait presque passer Richard Gasquet et son non moins faible 151 ng/ml pour un gros junky. Quand le 9 mai 2009, le Français est lui aussi contrôlé positif au même psychotrope, le Fédération Internationale de Tennis (ITF) se range derrière la thèse d’une absorption accidentelle par french kiss lors d’une bringue à Miami. Résultat : aucune sanction, étant donné le « caractère exceptionnel » et « probablement unique » de l’incident. « Gasquet sait au moins comment la drogue est arrivée dans son corps», note non sans une pointe de sarcasme Martina, qui n’avait à l’époque pas choisi de se défendre. Le 4 janvier 2008, elle est suspendue deux ans par l’ITF : une sanction purement symbolique, la Suissesse s’étant retirée du circuit dès l’annonce de son contrôle. « Je n’avais même pas le droit de faire un concours hippique amateur, relève l’interdite de stade. Durant ma suspension, l’US Open avait organisé un genre de défilé avec tous les anciens vainqueurs, mais je n’ai pas eu le droit d’y aller ! Wimbledon a fait la même chose. Ma réputation a été salie ».
Bride, bombe et éperon
Une retraite en deux temps. De 2003 à 2006, Martina Hingis avait déjà pris congé du tennis professionnel suite à deux opérations aux pieds. « J’avais très mal, avoue-t-elle aujourd’hui. Ma première carrière, c’était énorme. Je me suis amusée, j’étais la plus jeune. Puis l’armada russe est arrivée et ça devenait très difficile physiquement. On ne peut pas jouer à moitié. Moi je devais jouer à 120% avec ma taille, hein ». La deuxième fois, c’est la bonne. Ou plutôt le bon : « La fois d’après, j’ai trouvé le temps pour me marier ». Le fruit défendu d’une longue recherche : petite amie du golfeur Sergio Garcia, fiancée du tennisman tchèque Radek Št?pánek et promise de l’avocat zurichois Andreas Bieri, l’ancienne numéro un mondiale convole finalement en justes noces avec le jeune cavalier français Thibault Hutin, 24 printemps et champion de saut d’obstacles. Un duo uni autour d’une passion commune : l’équitation. Depuis ses 11 ans, et surtout depuis sa retraite, Martina troque dès qu’elle le peut raquette et balle jaune contre bride, bombe et éperon. « Je vis en Suisse mais mon mari et moi venons un peu à Paris, où il s’entraine dans les Yvelines. Enfin, en ce moment, on passe surtout notre temps dans les avions et un peu partout dans le monde ». Il faut dire qu’elle est l’une des vedettes les plus demandées pour les matchs d’exhibition. Un sacerdoce qui lui prend tout son temps. Comme une troisième carrière. « Une quinzaine, une vingtaine d’exhibitions par an, c’est déjà beaucoup, soupire-t-elle. J’ai commencé par l’Australie, Doha, ici, à Paris. J’étais à Caracas, Taiwan… Bref, j’ai fait des miles (Rires) ». Le tennis garde donc une place primordiale dans le corps, le cœur et l’emploi du temps de la Saint-Galloise. Paradoxal, pour quelqu’un qui ne regrette en rien la routine du haut niveau : « J’ai aujourd’hui le luxe de choisir mon hôtel (Rires). Jouer des Grands Chelems, c’est la cerise sur le gâteau. Moi je connais ce qu’il faut donner à la maison, à l’entrainement. Et ça ne me manque pas du tout ». Peut-être, sauf que cette éternelle pérégrine s’infligerait presque un rythme de vie effréné : « Avec tout cela, je suis déjà bien occupée ! Mon mari me dit souvent : ‘T’as plus de temps pour moi. Il n’y a que le tennis, le tennis et le tennis’ ».
Petit pois, Helmut Newton et Playboy
En 2010, aux côtés de la sublime Gisele Bündchen, la Suissesse s’engage avec la prestigieuse agence suisse de mannequinat Option Model. Ce sourire mythique de la WTA pose alors pour les plus grands : Helmut Newton, Michel Comte ou Annie Leibovitz. Mais elle refuse les avances de Playboy : « On m’a proposé beaucoup d’argent, mais mon petit ami n’aurait pas apprécié ». Désormais mariée, elle possède sa propre ligne de vêtements, Tonic Tennis, et la cassette vidéo de son passage dans une télé-réalité anglaise, en 2009. Le très bon Beat the Star, émission durant laquelle un individu lambda se mesure à une célébrité lors de multiples défis physiques. L’occasion rêvée pour Hingis de conduire un buggy ou de courir sur des rondins de bois suspendus à plusieurs mètres de hauteur. « Oh, oui c’est vrai, je me souviens du petit pois vert que je n’arrivais pas à rentrer dans la bouteille ». Plus sérieusement, ou presque, elle est également consultante auprès de la célèbre académie française de tennis Mouratoglou. Cela lui permet de poser un regard avisé sur l’évolution du tennis féminin : « Il y a moins de personnalités dans le tennis actuel. Je ne suis pas la seule à le dire. Il y a beaucoup de joueuses qui frappent de la même manière, qui ont toutes le même look. C’est dommage, car avant vous aviez les Seles, les Davenport, les Williams, moi et Anna Kournikova. Il y avait des visages, plus d’émotions. Là, c’est très machinal ». Nostalgique la « Swiss Miss » : cette enfant star des années 1990 largement admirée pour son modèle de jeu précis, fluide et doté d’un sens aigu de la tactique. « Ça frappe, frappe, frappe… Ça me manque, oui, le vrai jeu de tennis ».
Tous propos recueillis par Victor Le Grand