Ce sont les invisibles. Les « ballos », comme ils se surnomment, sont pourtant un maillon essentiel de la mécanique Roland Garros. Parmi eux : Joseph, Savoyard, 14 ans, 1m37, une gueule d’ange et une punchline par phrase. Vivez grâce à lui une journée type dans la peau d’un ramasseur de balles. Top chrono.
9 heures – Roland Garros – Court numéro 1
Ils ont l’air à peine réveillés. Normal, ce sont les premiers arrivants sur le site de Roland Garros. Ils sont petits, affutés, ont entre 13 et 17 ans, et prennent immuablement la direction du court numéro 1. Dans le lot : Joseph Condemine, 14 ans, l’élocution parfaite, les yeux bleus revolver et la bouille truffée de taches de rousseur. « Une petite frimousse, très dynamique, avec la banane », résume David Portier, responsable en chef des ramasseurs de balle. Du haut de son mètre 37, le plus chétif (30kg) des 250 sélectionnés n’a eu besoin de personne pour passer la journée de sélection organisée dans sa Savoie natale : « Les années d’avant, ma mère ne voulait pas que je fasse Roland. Cette année, j’ai profité que mes parent soient séparés pour le demander à mon père ». Un papa vétérinaire que cet excellent élève de 4ème voudrait bien copier plus tard. Encore faudrait-il se calmer en classe, qu’il déserte exceptionnellement pour la quinzaine : « Je fais plus le con à l’école qu’ici. Parce qu’ici, j’ai plus de chance de me faire virer ».
9h45 – Dans les allées – Réveil du stade
Sur le court, on ne les entend jamais. Pourtant, avant que les portes du site s’ouvrent, les « ballos » entament un rituel quotidien : le réveil du stade. Un footing en chanson sur l’air de la bande originale du film Le plus beau des combats. L'espace de 10 minutes, Roland-Garros leur appartient. Un privilège qui se mérite. Chaque année, ils sont triés sur le volet parmi plus de 2 500 candidats répartis dans toute la France. Et un privilège qui implique des devoirs : il est « interdit de prendre parti, d’applaudir ou de demander des autographes », relève David Portier. « Le niveau de tennis, on s’en fout ! Le ramassage est un sport à part, note Kevin Le Calvez, évaluateur de Joseph, dont c’est le 7ème Roland Garros. A mon époque, quand j’étais moi même ramasseur, on se chambrait tout le temps ! C’est une véritable famille, une bande de potes ».
10 h – Devant l’entrée du stade
En compagnie de Joseph, ils sont quinze autres ramasseurs assignés sur le court numéro 2. Ils n’en changeront pas et se relaieront la journée entière, toutes les 25 minutes, pour 3 à 4 heures de ramassage chacun, en fonction de leur état de fatigue. De son côté, Joseph, coqueluche du groupe, se fait photographier par des touristes chinois et japonais, l’appareil toujours bien pendu. Un autre superviseur passe par là : « T’es sur le 2 Joseph ! T’as pas arrêté de foutre le bordel hier avec ton pote Basile ». A qui le gamin répond du haut de ses 14 ans : « Pas tant, cher ami ». Rire collectif. Les étirements et les courses s’intensifient : les voilà tous en rang d’oignon, face au mur, à s’étirer les mollets. « Ils vont les fusiller », chuchote un passant à sa compagne.
11 h – Court numéro 2 – Début du premier match
« Come on ! Yeah, yeah ». Sous les applaudissements et les civilités d’un Britannique survolté, Joseph entre sur le court pour le match qui oppose David Ferrer au Slovaque Lukas Lacko. Souriant, pas stressé, ou du moins en apparence, il file se positionner. Il endosse alors le rôle de ces piles électriques que l’on voit à la télévision accroupies et concentrés de chaque côté du filet, prêt à jaillir si besoin est. « Je n’ai pas le droit de tourner la tête pour regarder le match, mais je le fais du coin de l’œil ».
11 h 35 – Cantine – Heure du repas
Après une petite demi-heure en action, aussi appelée « rotation », Joseph a le droit d’aller manger. Dans ce grand réfectoire, le plateau bringuebalant, il rejoint alors son meilleur pote Basile : « Il fait le con, mais il est discret. Moi c’est l’inverse ». Un groupe de jeunes filles en fleur, placé à la table voisine, ne peut s’empêcher d’écouter leur conversation. Or, Joseph les a repérées : « Ici, les filles sont chiantes, restent entre elles et ne sont pas très jolies ». Il profite également du dessert pour tacler les joueurs, français en l’occurrence. « Ils sont horribles. Certains t’insultent même en te disant : ‘Donne-moi la serviette petit c..’ ». Basile tempère légèrement : « Ils sont gentils mais lourds ». Sauf que Joseph n’en démordra pas : « Ils parlent français, c’est très chiant. Les étrangers t’insultent sûrement mais, au moins, tu ne les comprends pas ».
12 h – Court numéro 2 – Reprise
Après un bon repas, riche d’enseignements, Joseph, retourne sur son court pour une après-midi de dur labeur, sans lunettes de soleil ni écran total, sous le soleil de la porte d’Auteuil.
16 h 00 – Vestiaire des ramasseurs – Heure du goûter
Point à la mi-journée. Kevin juge la prestation de Joseph : « Ça c’est bien passé pour lui. Enfin c’était mieux qu’hier où ça ne pouvait pas être pire ». Joseph, lui, se permet quelques divagations sur le match du deuxième tour auquel il assiste : « Un petit peu grincheux ces deux-là. Surtout Benoit Paire, qui affronte en ce moment Albert Ramos. Il réclame beaucoup de choses à l’arbitre alors qu’il sait qu’il a tort ! »
20 h 45 – Fin des matchs - Départ
Après un bon diner et une ultime rotation, Joseph déambule plusieurs minutes dans les allées de Roland Garros, seul, éreinté, mais content de sa journée. Il ne ramassera plus aujourd’hui. « Ça ne m’étonnerait pas que je progresse et que je monte au court numéro 1 demain », lâche-t-il tout fiérot, en attendant son frère. L’équipe d’encadrement lui annoncera le lendemain matin qu’il descend finalement au court numéro 6. Rieur, Joseph le prend bien et ambitionne même le court Philippe Chatrier pour la deuxième semaine. David Portier relativise : « Comme je leur dis à tous. Si vous avez réussi à enchainer trois semaines en tant que ramasseurs de balles à Roland Garros, mentalement et physiquement, vous êtres prêts pour faire de très belles choses dans la vie ». Par Victor Le Grand, à Roland Garros