Plus grand cycliste de tous les temps, Eddy Merckx n’a pas toujours pédalé gros braquet. Footballeur en culotte courte, le Cannibale s’est aussi intéressé au tennis. Un sport qu’il estime et ausculte comme l’expert...
Plus grand cycliste de tous les temps, Eddy Merckx n’a pas toujours pédalé gros braquet. Footballeur en culotte courte, le Cannibale s’est aussi intéressé au tennis. Un sport qu’il estime et ausculte comme l’expert du haut niveau qu’il n’a jamais cessé d’être…
Quel est votre premier souvenir de tennis ? Gamin, je pratiquais plusieurs sports (cyclisme, foot, basket, ndlr) et je m’intéressais à d’autres. Mes parents n’avaient pas la télé et je suivais le tennis à la radio en écoutant Luc Varenne (commentateur et homme mythique de la RTBF, ndlr). Le premier souvenir, c’est un match de coupe Davis entre la Belgique de Jacky Brichant et Philippe Washer et l’Italie de Nicola Pietrangeli (vainqueur des internationaux de France en 1959 et 60, ndlr). La radio c’était un voyage dans l’imaginaire puisqu’on savait à peine à quoi pouvait ressembler un grand stade de tennis et Luc Varenne s’y entendait pour nous faire vibrer. Mes premiers souvenirs sont liés à sa voix et à ce qu’elle projetait…"Quand j’ai arrêté de courir (fin 1978, ndlr), j’avais toujours besoin de me dépenser. Je n’avais fait que ça depuis l’âge de cinq, six ans et le tennis m’a semblé idéal."Une légende tenace prétend que vous-même avez beaucoup joué au tennis… Quand j’ai arrêté de courir (fin 1978, ndlr), j’avais toujours besoin de me dépenser. Je n’avais fait que ça depuis l’âge de cinq, six ans et le tennis m’a semblé idéal. Je m’entraînais avec Paul van Himst (grand footballeur belge, ndlr), Roger DeCoster, le multiple champion du monde de moto-cross ou des coursiers de la Molteni (l’équipe cycliste italienne mythique à laquelle Eddy a appartenu, ndlr). La fin de ma carrière correspond à la démocratisation du tennis : ce n’était plus un sport aristocratique, tout le monde y avait accès. Cela se manifestait comment ? Les courts se sont mis à fleurir un peu partout en Belgique et dans toute l’Europe. Auparavant, les enfants se dirigeaient vers le cyclisme et le football. L’urbanisation de la Belgique et la civilisation des loisirs ont poussé les gamins vers des sports indoor moins difficiles et vers des hobbies. On y a laissé quelques champions. Sinon, à l’époque, il y avait aussi des champions charismatiques auxquels le public s’identifiait : Connors, Stan Smith, Orantès, Panatta, Kodès, Nastase, Borg, Mc Enroe, Gerulaitis… Après les Australiens de la décennie précédente, c’était comme un deuxième âge d’or. La Belgique avait-elle une tradition tennistique ? Notre pays a toujours été dynamique en matière de tennis. Il n’y avait pas de grands joueurs mais des infrastructures et beaucoup de tournois pour progresser. Maintenant, c’est l’inverse on a les joueurs mais plus les tournois. Je suivais toute cette évolution à travers le travail de mon gendre, Eduardo Masso (ex-professionnel argentin naturalisé belge, ancien capitaine de coupe Davis, ndlr) qui travaillait à l’académie de Mons… Il y a des analogies à faire entre tennis et cyclisme ? Ce n’est pas physiquement comparable. Au tennis, ce qui fait la différence au plus haut niveau, c’est la concentration. Vitas Gerulaitis, un surdoué, pouvait mener deux sets à zéro : ses démons pouvaient le rattraper et tous les autres joueurs savaient que le match n’était pas terminé. Si on devait faire une comparaison, ce serait avec la piste, notamment la vitesse où la capacité à se concentrer est essentielle. L’effort sur la route est beaucoup plus long, on peut parfois se déconnecter l’esprit (sic) alors qu’au tennis en cinq sets, sous le soleil, ce n’est même pas la peine d’y penser. Récemment, le tennis belge a connu deux stars féminines - Kim Clijsters, Justine Hénin - et attend l’éclosion d’une troisième - Yanina Wickmayer - alors que les hommes plafonnent. Vous avez une explication ? D’abord, Justine et Kim sont des championnes exceptionnelles. Qu’elles aient jouées à la même époque et qu’elles soient originaires du même pays l’est encore plus. Leur talent a pu exploser grâce aux structures du pays, à leurs entraîneurs respectifs et à la réussite qui accompagne les grands destins. Après, pourquoi les filles et pas les garçons… je ne suis pas assez impliqué pour savoir. La différence entre un top 5 et un cinquantième mondial doit se situer dans la volonté, dans le refus absolu de la défaite, de repousser ses propres limites coûte que coûte et dans le fait d’être constant au plus haut niveau, année après année… C’est ce qui explique, par exemple, que Filip Dewulf, demi-finaliste à Roland-Garros en 1997, issu des qualifications, ait disparu des radars presque aussitôt après son exploit… Je ne saurais dire mais au tennis, comme au cyclisme, il y a des comètes qui apparaissent très haut avant de disparaître. Il y a eu des champions du monde cyclistes comme ça, des vainqueurs de classique qui ne sont plus parvenus à répéter ce niveau. Les explications sont multiples. Filip Dewulf avait de grosses capacités mais la concurrence dans le tennis est incroyable. Il y a aussi le stress, la tension et la capacité à se remettre en question, à interroger ses propres méthodes d’entraînement. C’est un cliché, je sais, mais se hisser dans l’élite un instant n’a rien à voir avec y rester longtemps… Yanina Wickmayer, 22 ans, était demi-finaliste de l’US Open en 2009 et depuis elle semble marquer le pas. Sera-t-elle un éternel espoir qui ne concrétisera pas ? J’espère que non mais il est facile de se perdre au tennis. Vous voyagez sans cesse, vous n’êtes jamais chez vous et vous vivez en vase clos. Après, il y a les blessures, inévitables dans ce sport, où il faut être concentré à 100% sur le sportif. Yanina est très douée mais elle n’a pas encore prouvé comme l’ont fait Justine et Kim qui sont deux icônes de l’histoire du jeu. A propos de l’histoire du jeu, vous considérez comment les Djokovic, Nadal et autres Federer ? On vit une période exceptionnelle. Qui aurait pensé, il y a un an et demi, que Novak Djokovic passerait devant Nadal et Federer ? L’Espagnol tire la quintessence de ses moyens et j’adore son mental, cette façon de dire aux autres qu’il ne renoncera jamais. Désormais, le tennis est aussi tactique et technique qu’affaire de puissance. Ces trois-là combinent dans l’excellence. Federer est le plus grand champion de tous les temps, il dure, il a le record de grands chelems et il a vaincu le signe indien à Roland-Garros, quoi d’autre ? Propos recueillis par Rico Rizzitelli