Pour lancer sa saison, il n’était pas sorti des startings-blocks aussi vite qu’il l’espérait, mais il avait rapidement fini par trouver le rythme. Éliminé au premier tour de l’Open d’Australie, Félix Auger-Aliassime accélère ensuite en alignant deux finales consécutives, à Rotterdam puis Marseille. Deux semaines plus tard, sa course s’arrête nette. Telle la déchirure qui vient "faucher" le sprinter en plein vol - à l’image, triste, de l’ultime course d’Usain Bolt - le coronavirus stoppe la bonne dynamique du Canadien. Le tennis, le sport, la planète ne tournent plus. Tout est à l’arrêt. Face à cette situation, le jeune homme de 19 ans dégage une sagesse généralement caractéristique de ceux dont l’expérience grandit en même que les rides se creusent.
"Ma philosophie, c’est essayer de tirer le positif de chaque situation, explique-t-il. Normalement, tout au long de l’année, je ne vois pas beaucoup ma famille. Là, j’ai la chance de pouvoir passer beaucoup de temps avec mes proches. De renouer avec des choses simples comme les dîners en famille accompagnés de longues discussions, faire des jeux de société, pratiquer le piano avec ma maman… Ça peut sembler très anodin, mais pour moi ça fait toute une différence. Refaire ces choses dont j’avais l’habitude pendant mon enfance me fait beaucoup de bien. C’est important de passer du temps ensemble." Le 20e joueur mondial tient également à voir le verre à moitié plein en ce qui concerne sa préparation.
"Je cherche constamment à devenir plus 'fit', plus fort"
S’il ne dispose pas de court pour travailler son jeu, il n’est pas du genre à se laisser aller sur le plan athlétique. Au contraire. "On se plaint toujours de ne pas avoir assez de semaines, de mois (sans tournois) pour s’entraîner, explique-t-il. Là, c’est l’occasion de développer ce sur quoi on veut travailler. Mon préparateur physique a établi un programme et je suis en contact quotidien avec toute mon équipe, pour être sûr que je reste en forme. Je fais les exercices dans mon jardin. Je cherche constamment à devenir plus 'fit', plus fort. À la reprise, vous verrez peut-être une différence physique, je ne sais pas (sourire)." Malgré l’absence de match, il fait avec les moyens du bord pour garder un lien, essentiel, avec la compétition.
"J’essaie de rester connecté au jeu en regardant du tennis en vidéo, en faisant de l’analyse de match avec mes entraîneurs, confie le natif de Montréal. C’est aussi une façon de rester actif psychologiquement. Je pense que c’est déjà une bonne chose. Puis il faut accepter la situation, être réaliste, patient et simplement attendre le retour au jeu." Pour manier à nouveau la raquette à l’entraînement, il table sur la mi-mai. "L’idée, c’est de partir pour Monaco (où il réside et s’entraîne habituellement) le 10 mai", dévoile-t-il. Sur le Rocher, le début du déconfinement progressif est fixé au 4 mai. En France, il est prévu pour le 11.
Nicolas Peyrotte, son préparateur physique, étant Français, il espère que celui-ci pourra "rentrer avec [lui]" avant d’être rejoint dans les jours suivants par Frédéric Fontang, l’un de ses deux entraîneurs, actuellement confiné dans le Sud-Ouest de l’Hexagone. Pour retrouver le goût des matchs, de l’adversité, il envisage toutes les possibilités. Comme l’Ultimate Tennis Showdown, qui doit débuter le 16 mai et se dérouler en cinq week-ends sur les courts de l’Académie Mouratoglou près de Nice. "J’ai reçu une invitation, confirme 'F2A'. Dans des conditions sanitaires sécurisées, c’est une des compétitions envisageables. Thierry Ascione a aussi évoqué l’idée de lancer une tournée estivale sur terre battue dans le Sud de la France. Ce sont de belles initiatives, et des tournois que je pourrais jouer."
Aider les autres, une envie qui prend racine au Togo
Peut-être, aussi, l’occasion de poursuivre l’opération #FAAPointsforChange. Depuis le début de l’année, à chaque point gagné en match officiel, le Québécois donne 5 $ pour aider à financer le programme EduChange mis en place par l’ONG Care afin de favoriser l’éducation et la protection des enfants au Togo. Associé au projet, BNP Paribas complète en ajoutant 15 $ par point. Depuis l’annonce de l’arrêt du circuit, Félix calque l’argent récolté sur ses résultats 2019. "On avait planifié ça jusqu’au tournoi de Lyon (qui devait se tenir du 18 au 25 mai), détaille-t-il. On n’y est pas encore, mais je travaille actuellement pour voir de quelle façon continuer mon aide au-delà. Prolonger mon soutien en me basant sur mes résultats 2019 fait partie des idées."
Vouloir soutenir les autres, il le ressent dès ses 13 ans lors d’un voyage au Togo. "Là-bas, il y a eu un moment très marquant, se souvient-il. Sur la route allant de la capitale (Lomé) au village de mon père à 300 km au nord, on s’est arrêté pour acheter du pain que ma grand-mère adore. Une famille s’approche pour nous en vendre, et une petite fille se précipite vers la voiture. Mon père me passe l’équivalent de 5 centimes canadiens que je donne à cette petite fille. J’ai vu la joie dans ses yeux, ce que ça signifiait pour elle. J’étais assez ému, et en même temps un peu triste. Nous, 5 centimes, on fait à peine l’effort de les ramasser s’ils sont par terre. Elle, ça lui faisait peut-être sa semaine. Ça m’a profondément touché." Depuis ce voyage au pays de son père, l’envie d’aider des enfants court en lui. C’est le marathon d’une vie. Celui qu’aucun "claquage" ne parviendra à stopper.