Jadis, les immenses prairies d’Angleterre furent le laboratoire de toutes les expérimentations. Deux créateurs, Spencer Gore et Franck Hadow, ont ainsi redoublé d’imagination pour offrir au tennis moderne ses tous premiers coups « excentriques ». L’un inventa l’exercice de la volée, l’autre celui du lob. Nous sommes en 1877, à Wimbledon, et ceci est leur histoire.
Chapitre I
Lundi 9 juillet 1887. Il est 15 h 30 sur la Worple Road, cette rue mythique et bucolique de Wimbledon, quartier du sud-ouest de Londres. La chaleur est étouffante. A gauche : des champs à perte de vue. A droite : de magnifiques demeures bourgeoises construites à quelques encablures d’une voie ferrée. Et ici, au beau milieu d’une prairie, un public endimanché et curieux assiste pour un shilling, au premier match officiel de l’histoire du tennis.
A cette époque, le
Sphairistiké (
en grec : « art de la balle », Ndlr) s’apparente d’avantage à un loisir en plein air qu’à un authentique sport. On y joue en
costume party, ce qui fait de ce jeu un subtil mélange entre
garden party et concours d’élégance. Exclusivement masculins, les participants portent de superbes bottines, des maillots de corps et des pantalons flottants. Les plus sophistiqués marquent leur différence en adoptant une chaussure plate en caoutchouc, venue directement des Indes, ces anciennes colonies britanniques. Non sans une pointe de ridicule - celui qui ne tue pas - certains enfilent même un casque colonial en liège ou en fibres végétales, recouvert de tissu afin de les protéger contre le soleil.
« Ce sport était réservé à une bourgeoisie campagnarde, pas à une élite aristocratique. Une classe de la population qui avait des maisons, des grands espaces et des jardiniers qui pouvaient mettre en place des terrains de tennis particuliers », précise Gilles Destremau, historien français du tennis.
Enfin, le terrain est à l’image de ses participants : un brin maniériste. Hormis quelques touffes d’herbes capricieuses, le gazon tapissé de Wimbledon est un modèle du genre.
« Les Anglais sont des maniaques de jardinage ! Ils ont toujours eu un penchant naturel pour avoir un gazon extrêmement bien tenu, manucuré, parfaitement roulé », note Gilles Destremau. C’est à cette occasion également qu’Henry Jones, directeur du tournoi, revoit et améliore les règles de « son » sport. Pour la première fois en 1877, le terrain passe de sa forme en sablier – comme les élégantes de l’époque, rétréci à la taille - à sa forme rectangulaire et définitive. Avec des règles de jeu qui sont, à quelques détails près, les mêmes qu’aujourd’hui.
De Harry Potter à Dr House
Le premier tournoi de Wimbledon se déroule donc du 9 au 16 juillet 1877. Un total de 22 participants, pour la plupart anglais, s’amasse sur le
Central Court du All England Croquet Club, principal club de croquet en ville. En jeu, une coupe en argent d’une valeur de 25 guinées (
la guinée vaut à l’époque 21 shillings, Ndlr). Le fruit d’un
« tennis populaire », précise Gilles.
Les joueurs la gardaient, ne la revendaient pas et ne la faisaient surtout pas fondre. Il y avait un prestige dans ce symbole ». Côté média,
The Times se montre plutôt réservé à l’égard de cette compétition.
« Il faut aller chercher à la page 11 les 8 lignes consacrées à Wimbledon au bas d’une longue colonne pleine d’un riche compte-rendu sur un match de cricket », s’amuse le journaliste Chritian Quidet, dans le livre
La fabuleuse histoire du tennis. Cette année là, seul
The Fields, gazette parraine de la compétition, se fend de quelques lignes sur l’événement londonien. Etalé sur cinq jours, celui-ci pâtit du succès médiatique et populaire d’un match de cricket opposant les prestigieuses universités,
Eton et Harrow, prévu entre le week-end du 12 et du 14 juillet. D’un côté, la faculté d’Harry Potter, de l’écrivain psychédélique Aldous Huxley et du comédien Hugh Laurie (
Dr House). De l’autre, l’illustre établissement d’où sortent diplômés Winston Churchill et Spencer Gore. Qui donc ? Spencer Gore : un ancien joueur de cricket britannique de 27 ans, reconverti dans le tennis, et qui deviendra le 19 juillet 1877 le premier vainqueur de Wimbledon. Tout un symbole.
le bougre vient bel et bien d’inventer la volée
Spencer Gore écrase en finale et en trois petits sets (6/1, 6/2, 6/4) son compatriote M. Marshall, issu du jeu de paume. Et ce nom fait, cette fois-ci, la Une de tous les journaux.
« Spencer Gore a développé une grande activité. Il a couvert une grande partie du terrain et a retourné des balles qui semblaient impossibles à atteindre. Il joua beaucoup avec sa tête », légende
The Fields sous un beau portrait du champion. Portrait que complète notre historien :
« Il faisait partie de ces premiers joueurs assez athlétiques, dynamiques, en très bonne condition physique. Il avait un très bon coup d’œil mais surtout une vraie tonicité ». En réalité, ses jambes et son cerveau lui permettent de trouver l’astuce du jour, voire du siècle. A chacun de ses coups, ou presque, il monte au filet et s’y éternise pour « capturer » toutes les balles de son adversaire.
« Comme un chasseur de papillons », note Christian Quidet, qui métaphorise ce que personne ne comprend à l’époque : le bougre vient bel et bien d’inventer la volée. Mieux, le service-volée !
De fait, avec un filet hissé à 1,52 m aux extrémités du court pour 1,21 m au centre, les solutions tactiques et les possibilités de réussir un
passing-shot était alors plus que limitées. Or, très vite, cette victoire trop facile laisse place à la polémique.
« Je ne l’ai jamais vu écrit. Mais oui, c’est la couverture au filet de Gore qui était considérée comme une triche », se souvient Gilles Destremau.
Les Anglais jouaient au toucher. Il y avait encore cette notion que le tennis ne devait pas se jouer de façon trop brutale. Le spectateur voulait voir une joute tactique, un ballet : la courtoisie de ne pas écraser l’adversaire ». Au final, par chance, le comité du tournoi accepte la volée pour la seconde édition, à condition toutefois de ne pas toucher ou traverser le filet. Spencer Gore n’en profitera pas, affrontant en finale un ami de fac encore plus malin que lui. Ou presque.
A suivre…
Par Victor Le Grand