Si le tennis est moins politisé que d’autres sports, il n’en demeure pas moins soumis à des récupérations en tout genre. Apartheid, chemise rouge, Parlement russe, fumigènes et punchlines d’Arthur Ashe : petit florilège des histoires les plus folles d’un tennis politisé.
1/ Marat Safin député
Sexy, fêtard, quadrilingue, tennisman, caractériel – « j’ai cassé 1055 raquettes en dix ans » - et désormais homme politique : Marat Safin est élu en 2001 député à la Douma, le Parlement russe, sous l'étiquette du parti au pouvoir présidé par Vladimir Poutine. « Dans 20 ans, il sera président de la Russie », gage même son ami Pete Sampras. « J’ai longtemps réfléchi à me lancer dans la politique (…) C’est une nouvelle vie, une nouvelle façon de penser, d’agir, qui n’a aucun rapport avec le tennis ou le sport en général », mesure quant à lui l’ancien n°1 mondial de 33 ans, toujours aussi charmant : « Je suis l’homme le plus mignon de la Douma, mais c’est juste parce que les autres ont plus de 60 ans ».
2/ Goran Ivanisevic refuse la sélection
US Open 1991. Deuxième tour. Après plus d’une heure de jeu, Goran Ivanisevic rosse son compatriote yougoslave Goran Prpic en trois petits sets. Pas le temps pourtant de se pavaner. Chez lui, à Split, où vit toute sa famille, l’armée yougoslave fait feu de tout bois sur la population civile, dans une guerre fratricide pour l’indépendance de la Croatie. De retour au pays, Goran annonce qu’il n’a pas l’intention pour autant de prendre les armes : « Mon fusil est ma raquette, prévient-t-il. Il est difficile de tuer quand, il y a six mois, vous étiez son ami. C’est tout à fait stupide ». En revanche, il prend une décision surréaliste qui aujourd’hui encore fait date dans l’histoire du sport croate. En signe de protestation contre les massacres, il refuse de représenter la Yougoslavie lors d’une demi-finale de Coupe Davis par BNP Paribas, face à l’équipe de France : « Pourquoi devrais-je jouer pour une nation qui, à mes yeux, n’existe pas ? »
3/ Boycott de l’Apartheid
Comme tout sport un brin populaire, le tennis est une formidable tribune politique. Historiquement, la Coupe Davis par BNP Paribas est l’épreuve la plus touchée par cette récupération. Ainsi en 1974, au plus fort de l’Apartheid, personne ou presque ne veut affronter l’Afrique du Sud. Sous la pression d’Indira Gandhi, l’Inde, invitée surprise du dernier carré, déclare forfait en finale. D’autres nations, comme la Pologne, la Tchécoslovaquie, le Portugal, la Belgique, le Mexique et la Colombie se montrent solidaires face à la décision de la fédération indienne. Pour mettre fin à cette organisation fantôme, l’Afrique du Sud devra donc s’exclure elle-même de la compétition en 1978. Et ce pendant près de quatorze ans…
4/ Arthur Ashe militant de la cause noir
En février 1993, l’une des figures les plus spectaculaires du tennis mondial s’éteignait d’une pneumonie contractée par un corps meurtri par le Sida : Arthur Ashe. Né en 1943 à Richmond dans l’état de Virginie, il a découvert le tennis dans une Amérique ségrégationniste qui ne réservait le droit de jouer qu’aux seuls joueurs de couleur blanche. « Nous avons été de grandes victimes de la discrimination, note Robert Ryland, un ami de faculté. Nous allions acheter des sandwiches aux blancs pour manger les miettes dans la voiture ». Premier noir à intégrer l’équipe américaine de Coupe Davis par BNP Paribas en 1963, Arthur se voit interdire de compétition quelques années plus tard en Afrique du Sud, victime de l’Apartheid. La cause de toute une vie, qu’il mènera jusqu’à la chute du régime en 1991. « Lorsque tout sera fini, je ne veux pas qu’on se souvienne de moi comme d’un joueur de tennis, car ce n’est pas une contribution suffisante à la société. »
5/ Shahar Peer interdite de visa
En février 2009, la joueuse israélienne Shahar Peer se voit refuser un visa pour les Émirats arabes unis afin de participer à l'Open de Dubaï. Motif ? Des « raisons de sécurité ». « La colère du public au Moyen-Orient reste vive et la participation de Peer pouvait l'attiser du fait que ce public ait suivi la couverture télévisée de l'offensive israélienne à Gaza », se justifie Salah Tahlak, directeur du tournoi. « Je ne suis pas du tout d’accord avec ce qui vient de se passer là-bas. Ce n’est pas la meilleure des choses de mélanger la politique et le sport », lâche alors Andy Roddick, boycottant le tournoi masculin en signe de protestation. Résultat : la WTA inflige 300 000 $ d'amende (227 000 euros) aux organisateurs de l'épreuve. Sur cette somme, Peer en reçoit 44 250, avec en cadeau une wild card du tournoi pour l’édition suivante, quelque soit son rang mondial. Un pot pourri, comme on dit.
6/ « Les Turcs hors de Chypre »
Janvier 2007. En marge de l’Open d’Australie, Marcos Baghdatis sombre dans une polémique pour avoir été filmé en train d’hurler des slogans anti-Turcs lors d’un banal barbecue. La vidéo, énorme buzz sur internet, montre alors le Chypriote, peut-être un poil éméché, brandissant un fumigène et scandant notamment « Les Turcs hors de Chypre » en compagnie d’une poignée de supporters grecs, organisateurs de cette petite sauterie. « Dans cette vidéo, je défendais les intérêts de mon pays, Chypre, et je protestais contre une situation qui n'est pas reconnue par les Nations Unies », se défend le joueur, en faisant allusion à l'occupation de la partie nord de l'île de la Méditerranée orientale par la Turquie. Certes Marcos, mais on te préfère remonté contre tes raquettes. Souvenirs.
7/ Match à huis clos
Båstad. Petite station balnéaire suédoise où vivent moins de 5000 âmes, hors saison. Trois boulangeries, un hôpital, une vingtaine de courts de tennis en terre battue et chaque année, un petit tournoi organisé depuis le début des années 1950. Pourtant, en 1975, cette bourgade paisible est réquisitionnée pour accueillir un match à hauts risques opposant la Suède au Chili d’Augusto Pinochet, en Coupe Davis par BNP Paribas. Fouillés et retenus à quelques encablures du stade, plus de 7 000 manifestants hostiles à la politique d’Augusto Pinocchio tenteront en vain de perturber les rencontres, disputées à huis clos : seuls les journalistes, le personnel de la ville et des centaines de policiers auront la possibilité d’assister aux matchs, remportés par les coéquipiers de Björn Borg. Imperturbable, comme toujours.
8/ Bagarre, Bosnie-Herzégovine et Paul-Henri Mathieu
En 2008, une bagarre entre supporters serbes et bosniaques éclate dans l'enceinte même de l'Open d'Australie. Des fans des deux clans, qui sortaient du match entre le Serbe Novak Djokovic et l'Américain d'origine bosniaque Amer Delic, s’affrontent à coups de chaises devant le court central. Comme un morbide hommage à la guerre déclarée entre les deux peuples au début des années 1990. Un événement rarissime dans le monde d'habitude très feutré du tournoi australien, considéré comme un tournoi familial. Bilan: une femme est légèrement blessée à la tête et une trentaine de personnes est arrêtée, pour la plupart des hommes d'une vingtaine d'année. Des gosses, en somme, qui se sont déjà illustrés au tour précédent en perturbant la rencontre entre Paul-Henri Mathieu et Amer Delic. « L’attitude des spectateurs est honteuse, note alors le Français, exaspéré. S’ils n’ont pas envie de voir du tennis, qu’ils aillent au bar ». Mauvaise idée.
9/ La chemise rouge d’Adriano Panatta
18 décembre 1976. Dans une ville de Santiago opprimée par la dictature d’Augusto Pinochet, l’Italie et sa paire de double Adriano Panatta et Paolo Bertolucci remportent la Coupe Davis par BNP Paribas contre le Chili : l’unique Saladier d’argent dans l’histoire du pays. Ce jour-là, ils arborent tous deux une chemise rouge sur le court, comme un symbole du sang versé par le régime au pouvoir. L’ambiance à Santiago est surréaliste. A son hôtel, une jeune fille chilienne demande même à Panatta de prendre les rênes du pays. « Avec ma chemise rouge, elle a cru que j’étais communiste, s’amuse aujourd’hui le Transalpin, 62 ans. D’ailleurs, je ne crois pas avoir conservé ce bout de tissu, tout comme mes diplômes scolaires, coupes et mes médailles. Je ne suis pas fétichiste ».
10/ « Sarkozy, sur un court, c’est une pile »
Aux Etats-Unis, les présidents George Bush père et John Fitzgerald Kennedy étaient de grands amateurs de tennis. Le second, très bon joueur, avoue même un jour : « J’ai fait voter plus de lois sur un court de tennis que partout ailleurs. C’était un endroit où l’opposition baissait sa garde ». En France, ceinture marron de judo, passionné de vélo et de course à pied, Nicolas Sarkozy avait rêvé lui d’être un seigneur des courts. Au tennis, l’ancien président ne fait pas dans le style, la beauté du geste, ni dans la précision tactique. Mais plutôt dans l’abnégation. « Sarkozy sur un court, c'est une pile, explique au Monde Ronan Lafaix, ancien coach de tennis à HEC, qui l’a observé lors d’un match face au chanteur Didier Barbelivien. Il est très engagé dans la balle. Je le sentais tendu, crispé, tout dans l'envie et la force, sans aucun détachement. Il était comme au dernier débat présidentiel : il s'agaçait, alors que Barbelivien restait cool et relâché comme Hollande ». Par Victor Le Grand, avec Julien Pichené