Pour une vraie parité, faut-il faire jouer les femmes en cinq sets ?

20 nov. 2012 à 16:31:18

Dans le monde du tennis, hommes et femmes vivent ensemble tout en faisant comptes séparés. Ce qui n'empêche pas l'inégalité salariale. Sauf en Grand Chelem où, depuis 2006, l'on mise sur la parité. À tort ou à raison...

Dans le monde du tennis, hommes et femmes vivent ensemble tout en faisant comptes séparés. Ce qui n'empêche pas l'inégalité salariale. Sauf en Grand Chelem où, depuis 2006, l'on mise sur la parité. À tort ou à raison ?

  « Elles veulent gagner autant que nous ? Ben, qu’elles commencent déjà par faire le même métier… » Croisé au Luxembourg en septembre lors d’un match exhibition, on avait branché Pat Cash sur la fameuse polémique née le 26 juin dernier d’une saillie verbale adressée par Gilles Simon à ses homologues féminines : « On parle souvent de l’égalité dans les salaires. Je pense que ce n’est pas un truc qui marche dans le sport. On est les seuls à pratiquer la parité dans les prize-money (Ndlr : uniquement dans les quatre tournois du Grand Chelem) alors qu’on fournit un spectacle plus attrayant […] C’est bien simple, à Rome, pour la finale dames, il y a 20 spectateurs. »  Bref, sur le plan tennistique, la femme ne serait donc pas l’égale de l’homme… Cette hypothèse, Karsten Braasch l’avait déjà vérifiée. Et ce dès 1998. À Melbourne, en marge de l’Open d’Australie. Visiblement excédé d’entendre les sœurs Williams, 16 et 17 ans, clamer haut et fort au bureau ATP qu’elles pouvaient taper n’importe quel mec du Top 200, l’Allemand, ex-38e joueur mondial, pointant alors à la 203e place, décide de les prendre au mot. Une manche contre chacune pour un résultat éloquent : 6-1 contre Serena, 6-2 contre Venus. Le tout avec une seule balle de service, une clope grillée lors d’un changement de côté et une bouteille de bière comme remontant. Visiblement facile, l’Allemand avait préparé, dit-il, cette échéance à coups de « parties de golf et de cocktails. ». Et de rajouter : « Aucune chance qu’elles battent quelqu’un du top 500, car aujourd’hui j’ai joué comme un mec classé 600ème ». De quoi rabattre donc le caquet des deux Américaines et, dans le même temps, de discréditer sévèrement tout un circuit féminin.  

« Les tournois mixtes sont là pour sauver les filles »

Or depuis 2006, la parité a été établie par le Comité du Grand Chelem, réunissant les quatre tournois majeurs du circuit. Ce qui, à Roland-Garros, par exemple, permet à la lauréate de repartir avec un chèque de 1 millions d’euros. « C’est lui qui a le pouvoir et pour satisfaire le lobby féministe, elle a décidé d’ajuster les prize money », déclare Philippe Bouin, ex-grand reporter à la rubrique tennis du journal L’Équipe et opposé à cette décision dictée selon lui  par « la bien-pensance de notre époque ». Pour le coup, Alizé Cornet est d’accord : « L’égalité des prize money devrait être la même sur les tournois ATP et WTA où l’on joue le même nombre de sets. Mais dans les faits, c’est un peu l’inverse : sur les Grands Chelems où ils jouent deux à trois fois plus que nous, où ils ont des matches en cinq sets, au bout de l’angoisse, là, les garçons gagnent autant que nous. Je trouve en effet qu’il y a une petite injustice. Je peux comprendre que ça en énervent certains… » La question du prize-money ne serait donc qu’une question de temps de travail ?  « Le spectacle n’est pas une question de longueur mais de potentiel de séduction sur le public. Or, le tennis féminin génère moins d’intérêt et, donc, moins d’argent. Il suffit de voir les difficultés qu’ont les tournois à trouver des sponsors », balaie Philippe Bouin. Difficultés que les 17 tournois mixtes qui jonchent la saison ne connaissent pas. Et pour cause. Selon Gilles Simon, ils sont là « pour sauver leur semaine (NDLR : des filles). » Philippe Bouin est plus mesuré : « C’est bien pour les filles. Ce sont les tournois sur lesquels, exceptés les Grand Chelem, elles gagnent le plus d’argent durant la saison… » Si le prize money du plus petit tournoi ATP est de l’ordre de 320 000 euros, celui de son homologue féminin n’est que de 172 000 euros. Ce qui, concrètement, peut revenir à ceci : vainqueur à Auckland, Jiz Zheng empoche un chèque de 37 000 dollars (29 000 euros). Pour la même performance, David Ferrer, lui, repart avec 56 416 euros…  

« Un mépris vis-à-vis de l’attitude émotionnelle des filles »

Le tennis féminin attire moins, donc le cachet est moindre. Une réflexion logique, en apparence. Mais pourquoi au fond, un tel déni ? « Le public tennis est davantage masculin. Or, beaucoup éprouvent une sorte de mépris vis-à-vis de l’attitude émotionnelle des filles, avance celui qui, malgré ses 30 ans de carrière, avoue n’être jamais parvenu à percer tous les mystères d’un match dames. Chez les mecs, je comprends ce qui se passe. Mais, chez les filles, ça peut partir dans tous les sens sans que l’on sache pourquoi. D’ailleurs, ce qui leur est propre, c’est de ne pas être capables de conserver leur service. » Une sorte de pêché rédhibitoire pour les esthètes du jeu. Cette dramaturgie permanente, c’est justement ce qui attirerait les hommes à en croire Alizé Cornet : « C’est un peu comme un combat dans la boue, les gens adorent ! » Le côté glamour justement, un virage amorcé à l’époque d’Anna Kournikova  et qui n’a cessé de s’amplifier ces dernières années au risque de réduire les joueuses à de vulgaires mannequins. « C’est l’une des principales erreurs de la WTA, estime Philippe Bouin. On s’en fout de savoir quand Sharapova va s’acheter le dernier sac Vuitton. Ce qu’on veut, c’est savoir quand elle s’achètera un revers lifté. » Et c’est là qu’on attaque le cœur du problème : si le tennis féminin suscite moins de spectacle, d’intérêt et donc d’argent, c’est peut-être aussi que son jeu est plat comme le coup droit de Daniela Hantuchova. « Une école comme celle de Nick Bollettieri a fait beaucoup de mal au tennis. Aujourd’hui, en match, les filles passent leur temps à répéter leurs gammes, sans s’adapter au jeu adverse. Le tout avec une prise de risque minime. Sur le plan du potentiel, il en est là où le tennis masculin se trouvait aux débuts des années 90. »  

« Nous ne sommes plus dans les années 60. »

De toutes ces considérations, Andrea Petkovic en est loin. Férue de politique, l’Allemande d’origine serbe reprend les armes. Celles du mouvement de la libération de la femme : « Nous ne sommes plus dans les années 60. Les femmes se sont battues pour leurs droits. Je ne comprends pas cette polémique. » Même son de cloche chez Stacey Allester, la patronne de la WTA : « Le tennis, Grand Chelem compris, s’est aligné sur notre société moderne et progressive en ce qui concerne le principe d’égalité. Je n’arrive pas à croire qu’à notre époque quelqu’un puisse encore penser autrement. Ce genre de raisonnement est exactement la raison pour laquelle la WTA a été créée et nous nous battrons toujours pour ce qui est juste. » Bon alors, les filles doivent-elles jouer plus pour gagner plus ? Nathalie Tauziat, ex-n°1 française : « Et pourquoi, est-ce que les mecs ne joueraient pas les tournois du Grand Chelem en trois sets? » Par Charles Michel  

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