Revenus au sommet en 2017, Rafael Nadal et Roger Federer prouvent encore qu’ils font partie des meilleurs joueurs de l’histoire. Si le premier est certainement l’homme le plus fort sur terre battue que le tennis ait connu, le second préfère l’herbe. Raison pour laquelle les deux concurrents se sont affrontés sur un terrain hybride il y a dix ans. Retour sur la bien-nommée « Bataille des Surfaces ».
C’est sans doute l’un des trophées les plus atypiques que Rafael Nadal et Roger Federer ont porté dans leurs mains durant leur carrière. Loin de ressembler à une coupe, l’objet métallique représente un terrain de tennis coupé en deux par une ligne blanche : la partie gauche est colorée en vert, l’autre en orange. Improbable ? Absolument pas. Car le dessin reflète en réalité le court sur lequel ils viennent de combattre pendant deux heures et 29 minutes en ce 2 mai 2007. Soit sur un terrain hybride : de la terre battue d’un côté du filet, du gazon de l’autre. Ce match d’exhibition, appelé « Bataille des Surfaces » par l’agence de pub qui en a eu l’idée, prend sa source dans les résultats incroyables décrochés par les deux joueurs. À l’époque, Roger, qui a battu l’Espagnol en finale de Wimbledon l’année précédente, est sur une série de 48 victoires d’affilée sur herbe alors que Rafa n’a pas perdu depuis 72 rencontres disputées sur ocre. Dans ce contexte, quoi de plus logique que vouloir départager les numéros un et deux mondiaux sur une surface mixte ? L’Argentin Pablo Del Campo, président de l'agence de publicité Del Campo Saatchi & Saatchi, propose donc la tenue d’une partie sur un terrain encore jamais vu. Avec cette question simple : « Pourquoi ne changerait-t-on pas les schémas ? »
« Je suis là alors que je n'ai pas l'habitude de faire des exhibitions »
Le gouvernement des Baléares, archipel où Nadal est né, s’empare de l’idée et organise l’événement. Il faut un 1,63 millions de dollars et 19 jours de préparation pour que l’improbable court voit le jour dans la halle des sports de Palma de Majorque. Plus que partant, Toni Nadal, qui « a réagi comme un enfant devant un nouveau jouet quand je lui ai proposé l'idée » selon Del Campo, trouve l’inspiration géniale. Et livre son analyse dans AS sur ce qu’un tel terrain demande comme réflexes et réflexions pour le tennisman : « Quand tu es sur la terre, tes coups doivent être ceux donnés sur herbe, plus plats et courts. Et inversement pour Federer. » Interrogé sur l’événement, Federer, qui considère que « le résultat n'est pas le plus important », ne cache pas non plus sa curiosité: « Cela fait cent semaines que nous sommes les numéros 1 et 2 mondiaux, c'est toujours intéressant de voir une opposition entre nous deux, qu'elle soit officielle ou amicale. J'ai beaucoup aimé l'idée dès le départ. La preuve, c'est que je suis là alors que je n'ai pas l'habitude de faire des exhibitions. Celle-ci va être amusante et excitante. (…) Il sera amusant de savoir ce que c'est que de jouer sur un court avec des surfaces mixtes ! Et il va être intéressant de voir qui choisit la meilleure tactique. Les gens parlent de cet événement depuis un bon moment (…) J’apprécie le fait que le stade soit situé à Majorque, la maison de Rafa. » Les deux copains en profitent d’ailleurs pour visiter la Cathédrale de Palma et admirer les œuvres de Miquel Barceló ou d’Antoni Gaudí. De son côté, Nadal ne s’est pas trop à quoi il doit s’attendre, quelques semaines avant Roland-Garros : « Ça va être un beau bazar dès le départ. Celui qui sera sur herbe devra aller vite au filet pour écourter les échanges. Je pense que celui sur terre aura l'avantage, parce qu'il va chercher à allonger ses frappes de balles. Même si les prochaines échéances seront importantes, je ne pense pas que jouer ce match soit un risque (…) Federer m'impressionne vraiment sur herbe, par sa capacité à couvrir le terrain. »
« Plus de plaisir que prévu »
L’inédite confrontation attire les foules et les 6 800 billets partent immédiatement. Sauf que la Bataille des Surfaces manque d’être annulée. Le 6 mai, soit la veille de la date fatidique, les organisateurs découvrent que la partie gazon est ravagée par des vers. Ni une ni deux, l’herbe est remplacée en urgence et personne ne se rend compte de rien lorsqu’arrive le jour tant attendu. Surtout que le duel, qui démarre à 16 heures, en direct sur Antena 3, offre un beau spectacle. Malgré des rebonds parfois étranges et l’obligation logique pour les deux acteurs de changer de chaussures à chaque inversion de côté (ils ont alors 120 secondes de pause contre 90 en temps normal), ces derniers jouent le jeu à fond et ne se font pas de cadeau. Résultats : des breaks, beaucoup de breaks, pas vraiment plus de confort sur l’une ou l’autre des surfaces, deux balles de match gâchées par Federer dans le tie-break du troisième et dernier set, et une victoire au forceps pour Nadal (7-5, 4-6, 7-6). Fair-play, le Suisse fait part de sa joie d’avoir joué sur un tel terrain hybride après sa défaite. « J'ai trouvé le court excellent, en particulier la partie argileuse. Sur l'herbe, j'ai senti que je me déplaçais très bien dès le début. J’ai mis un peu plus longtemps à m'adapter à la terre, note-t-il face à la presse. Le défi était difficile, car vous avez beaucoup de choses en tête. Vous ne savez pas vraiment comment vous allez jouer sur chaque côté (…) J'ai passé d'excellents moments, c'était vraiment fun de batailler pendant 2h30 contre Rafa. En fait, j'ai eu plus de plaisir que prévu. » L’Hispanique avoue avoir également avoir pris son pied, tout en admettant qu’évoluer sur la terre face à l’herbe est plus avantageux. Et son meilleur ennemi de conclure : « On pourrait imaginer d'autres matches de ce genre à l'avenir, pourquoi pas avec une partie en dur aussi. » Dix ans après ces belles paroles, le moment est sûrement arrivé.