Les ébats sexuels un peu trop bruyants entendus durant le match opposant Tiafoe à Krueger lors du tournoi Challenger de Sarasota en Floride ont-ils perturbés un joueur ? Bien sûr. Car un tennisman a parfois besoin de silence pour rester concentrés. Raison pour laquelle les cris de l’adversaire ou les chuchotements du public énervent. Même s’il faut savoir y faire abstraction.
Frances Tiafoe préfère en rigoler. Mittchell Krueger, lui, s’empare d’une balle et la catapulte en direction des bruits suspects à l’aide de sa raquette. Pendant quelques instants, ce match de Challenger disputé en Floride entre le 87e et le 182e mondial s’arrête. Un couple est en train de s’amuser dans le voisinage et en fait profiter tout le monde. Un peu décontenancé, Tiafoe foire son premier service avant de gagner le point. Sauf que les ébats ne sont pas terminés. « Ça ne peut pas être aussi bon ! », adresse-t-il, hilare, aux principaux concernés. Le jeune espoir américain (19 ans) opte donc pour l’humour afin de ne pas se laisser divertir complètement. Un choix adapté à la situation et gagnant, puisqu’il continuera son petit bonhomme de chemin sans encombre (succès 6-3, 6-2).
Le bruit. Voilà une notion qui a bien du mal à se coupler avec le tennis. Au-delà du caractère aussi particulier que rare de celui entendu en Floride, les bruits n’ont en effet pas bonne réputation sur un court. En attestent les nombreux rappels à l’ordre des arbitres, qui passent rarement un match sans sortir un autoritaire « Silence, s'il vous plaît » ou un plus poli « Les joueurs sont prêts, merci ». Le repos auditif serait donc indispensable pour qu’un joueur réussisse sa mise en jeu ? « Certains ont voulu mettre ça en place. Mais a-t-on besoin du silence entre les points ? Je ne suis pas sûr. Ce n’est absolument pas nécessaire, estime Maxime Bedel, coach de tennis, sophrologue, et spécialiste de de la visualisation. Pour moi, le tennis devrait en tout point être comparable aux autres sports à ce niveau-là. » Et de mettre en avant le contre-exemple Rafael Nadal : « Quand on croit que Nadal attend le silence pour servir, on interprète mal les choses. Il le fait simplement pour gagner du temps et se reposer. Le bruit ne le déconcentre pas. » Pas si vite, répond Nathalie Tauziat, ancienne troisième mondiale et reconvertie coach : « Si les joueurs réclament le silence, c’est pour entendre le bruit de la balle. Beaucoup jouent en fonction de ce bruit. On utilise l’œil, mais aussi l’oreille. » Julien Varlet, ex-joueur professionnel lui aussi, confirme : « Le bruit du public en lui-même n’est pas forcément gênant, mais le fait d’entendre la balle quand on joue est important. Le son fait partie de la sensation. C’est pourquoi pas mal de joueurs n’aiment pas évoluer sous bulle, le son de la balle étant beaucoup plus sourd. » Les chuchotements du public sont ainsi très peu appréciés. En témoigne le coup de sang de Benoit Paire envers les spectateurs à Chennaï en janvier dernier.
Ou celui de Stan Wawrinka, qui ne s’est pas gêné pour gronder Jean-Vincent Placé à Bercy en novembre.
« Wawrinka a eu raison, défend Nathalie Tauziat. Quand une seule personne parle juste derrière vous et brise le silence, c’est gênant. Quand vous l’entendez parler, puis qu’elle continue sans s’arrêter… Bonne chance pour servir. » Un comportement qui n’aurait pas sa place dans les gradins, donc. Enfin, tout dépend du pays où l’on se trouve, rectifie Julien Varlet : « Aux Etats-Unis, on impose moins le silence. Il y a des avions qui passent, des bruits de chips, de bouffe… C’est un brouhaha constant. Ça fait partie de l’ambiance et ça peut surprendre au début. Surtout en indoor. Mais c’est normal pour eux. On s’y fait. Aux joueurs de s’adapter à ce contexte et de s’habituer à jouer dans le bruit. Je ne sais plus laquelle, mais une équipe s’était entraînée avec de la musique pour justement se mettre en conditions avant un match qui se déroulait en Amérique du Sud. En Europe, les gens respectent beaucoup plus le silence. »
« Il y a des tennismans qui crient pile au moment où l’autre frappe la balle ! »
Par ricochet, un son inhabituel dans une ambiance feutré fait davantage de dégâts qu’un ensemble de bavardages. « En France, dès qu’il y a un bruit qui sort de l’ordinaire, on s’en rend compte. Et ça, ça peut-être perturbant », ajoute Julien Varlet. Alors, comment faire abstraction de ces vibrations sonores parasites ? Faut-il accumuler les plaintes auprès de l’arbitre ? Faut-il se munir de bouchons d’oreille ? Faut-il patienter, arrêter de jouer et ne reprendre que lorsque le vol d’une mouche peut se faire entendre ? Rien de tout ça, selon Maxime Bedel. Lequel milite pour les accepter, tout simplement : « À l’heure actuelle, un paquet de joueurs sont perturbés par ces sons. Ils les subissent. Or, chacun doit apprendre à les tolérer. De toute façon, il y a toujours des bruits, donc il faut s’efforcer de vivre avec. Avec quelle méthode ? À chacun de trouver la sienne. » Mais les voix du public peuvent aussi devenir une arme. En cours d’échange par exemple, quand les intonations d’admiration sortent devant un lob ou un tweener. « Que le public s’enflamme pendant un échange, c’est plutôt sympa, acquiesce Nathalie Tauziat. Ça peut même transcender. C’est ce que je dis à ma joueuse : ‘sers-toi du public quand le stade est acquis à ta cause’. »
Restent les cris d’effort, parfois très décriés, de l’adversaire. Et qui constituent sûrement le bruit le plus agaçant pour les joueurs. La raison ? Ces hurlements exagérés n’ont parfois pour objectif que de tester les nerfs de l’ennemi. Chez les hommes comme chez les femmes. Julien Varlet : « Certains font exprès de crier fort pour gêner l’adversaire. Au haut niveau, c’est moins fréquent, mais en jeune… Il y a des tennismans qui crient pile au moment où l’autre frappe la balle ! » « Le but est clairement de faire enrager l’autre, reprend Nathalie Tauziat. Prenez Monica Seles. À l’entraînement, elle ne faisait aucun bruit. Rien, pas un son. Alors qu’en match… Une fois, je me suis plaint de ses cris à Wimbledon. Ça résonnait, c’était incroyable. On n’entendait plus le bruit de la balle. À un moment, faut arrêter. Et encore, j’étais moins gênée en tant que joueuse qu’en tant qu’entraîneur. Par instant, c’est intenable. In-te-nable. » Julien Varlet en a fait l’amère expérience à Roland Garros. Alors qu’il dispute les qualifications derrière le court Suzanne Lenglen, il a la malchance de jouer en même temps que Maria Sharapova. « C’est simple : elle criait tellement fort que c’en est devenu insoutenable. On a arrêté le match, les deux autres joueurs à côté de nous aussi. Pour le coup, ça nous a empêché de jouer. » Comme quoi, simuler peut vraiment être embêtant.