La dernière victoire de Ken Rosewall

31 janv. 2017 à 15:14:03

Avant Roger Federer, un autre tennisman s’est amusé à jouer avec le temps qui passe: Ken Rosewall, vainqueur de l’Open d’Australie 72, à 37 ans. Un record en Grand Chelem -sous l’ère Open- qui tient encore.

Avant Roger Federer, un autre tennisman s’est amusé à jouer avec le temps qui passe: Ken Rosewall, vainqueur de l’Open d’Australie 72, à 37 ans. Un record en Grand Chelem -sous l’ère Open- qui tient encore et une récompense tardive pour un joueur de légende dont l’histoire raconte le tennis des années 60 et ses hésitations entre amateurisme et professionnalisme.

 

Les présentations, tout d’abord. L’histoire de Kenneth Robert Rosewall est celle d’un enfant précoce de la banlieue de Sydney, au cœur de l’Australie moyenne des années 40. Comme c’est la mode à l’époque, le père, épicier dans le civil, installe un court de tennis dans le jardin pour que son fils y tape ses premières balles dès la tendre enfance. Et Ken est du genre pressé. Les succès arrivent aussi vite que son premier surnom: « Le petit maître de Sydney ». Pré-ado, il forme la paire en double avec son ami de toujours Lew Hoad. Le pays les découvre alors qu’ils disputent à douze ans le match d’ouverture d’une rencontre de Coupe Davis par BNP Paribas. Sept ans plus tard, en 1952, les « Whiz Kids » (les « apprentis magiciens ») déplacent les foules et emportent leur première Coupe Davis ensemble sous la houlette de David Hopman, le premier grand coach du tennis moderne. En simple, Rosewall empoche l'Australian Championships et Roland-Garros avant de souffler sa vingtième bougie. Ce n’est que le début. La suite se résume en quelques chiffres: en 32 ans, Ken Rosewall jouera près 5000 matchs selon les historiens, dont les derniers à 50 ans, et gagnera près de 133 tournois. Il fera partie des meilleurs joueurs du monde pendant 20 ans et sera longtemps le plus jeune vainqueur de Roland-Garros (18 ans et 7 mois en 1953) et le plus âgé (33 ans et 7 mois en 1968). Cette longévité lui vaudra un autre surnom, « Muscles », pour moquer son mètre 70 et son physique de battant.

 

Circuit professionnel et matchs joués sur des parkings

 

Quoi d’autre ? Au milieu de cette série de records, Ken Rosewall ne gagnera pourtant que huit tournois du Grand Chelem. Une hérésie à la vue de son talent. Pour comprendre ce parcours fait de grands écarts, retour en 1958. À 24 ans, le joueur décide de passer sur le circuit professionnel, ce qui revient à tirer un trait sur les tournois du Grand Chelem, réservés aux amateurs. Moyennant 60 000 dollars, Rosewall ira donc affronter l'Américain Pancho Gonzales, l’autre grand champion de l’époque, sur une série de rencontres aux Etats-Unis. Pourquoi ce choix? Pour vivre du tennis. L’homme a aussi la réputation d’être près de ses sous et ne s’en cache pas: « J’étais moyen à l'école et ne connaissais rien au business. Jouer au tennis était mon gagne-pain », déclare-t-il. Sur le circuit pro, Rosewall enchaîne les victoires, dont le bien triste « French Pro », lui aussi organisé à Roland-Garros mais dans l’anonymat, et perd son temps à tenter de voler la place de numéro un mondial à Pancho Gonzales dans le désintérêt général. En 1962, il prend lui-même la tête de l’IPTA (International Professional Tennis Association) mais ne parvient jamais à faire décoller le business du circuit professionnel. La presse et les annonceurs se font de plus en plus rares et les joueurs pro doivent parfois faire des animations sur des parkings pour arrondir leurs fins de mois. La révolution tennis arrive en 1967. La BBC organise un tournoi à Wimbledon et décide et d’y inviter les pros. C’est un carton. Le sport entre dans l’ère Open, les deux circuits fusionnent, les gains augmentent et Rosewall peut recommencer sa carrière, la vraie, et rattraper le temps perdu.

 

Sauvé par un flic

 

Ce qu’il fait vite. Roland-Garros 1968, US Open 1970, Open d’Australie 1971, l’Australien remplit son armoire à trophées. Ne reste plus qu’à laisser sa trace dans l’histoire. L’occasion se présente à la fin de l’année 1971. Rosewall a 37 ans et l’Open d’Australie lui fait de l’œil. D’une, parce qu’il est le premier tournoi à se jouer au mythique Kooyong Lawn Tennis Club de Melbourne, un stade à la mesure de son mythe. Ensuite, parce qu’il se déroule pendant les fêtes et que ses concurrents Stan Smith, Ilie Nastase, Rod Laver, Jimmy Connors ont décidé de déclarer forfait pour faire un break. La voie est libre pour entrer dans la légende et devenir le joueur le plus âgé à emporter un Grand Chelem. Ce que Rosewall s’attache à faire de façon expéditive puisqu’il atteint la finale en perdant seulement un set. Les premières difficultés arrivent finalement avant d’entrer sur le court le dimanche après-midi. À Kooyong, la température dépasse les 37 degrés et 13 000 personnes se pressent autour du Central pour essayer d’obtenir une place. Seulement, sur le court, si Mal Anderson, l’autre finaliste, est prêt, Rosewall est absent. L’inquiétude monte, les rumeurs se répandent. En réalité, Rosewall est tombé en panne en allant au stade et se retrouve à pied avec ses raquettes le long de la route. Alors que les spectateurs s’installent, le taxi dans lequel il a pris place n’avance toujours pas à cause des embouteillages. Un flic passe à moto, Rosewall l’interpelle : « S’il vous plait, je cherche à me rendre au Stade Kooyong pour le tennis. » Réponse du policier: « Ah, vous n’arriverez pas à temps pour voir la finale, trop tard. » Rosewall: « Voir la finale ! Non je dois la jouer, je suis Ken Rosewall. » Finalement, Ken arrive sur le gong, escorté par un officier. Trois sets et quelques revers slicés plus tard, il soulève la coupe Norman Brookes, avec toujours cette raie sur le côté dans le vent. Et le sens de la formule: « Ce n’est pas une bonne nouvelle pour le tennis que je sois encore en train de gagner. » Record toujours à battre.

 

Par Antoine Mestres

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