Dans l’histoire, les Masters 1000 ont souvent couronné des joueurs brillants qui n’ont jamais réussi à gagner de Grands Chelems. C’est peut-être là que se situe la distinction entre l’élite absolue et les meilleurs de tous les autres.
La place du BNP Paribas Masters dans le calendrier va probablement changer. On parle de février prochain. Il y aura peut-être deux éditions en trois mois et demi. Les organisateurs, Guy Forget en tête, s’en réjouissent. Placé en toute fin d’année, le BNP Paribas Masters récupère souvent des joueurs en bout de course… quand il a déjà la chance de bénéficier de leur présence. Du coup, le palmarès de l’épreuve parisienne consacre souvent des tennismen intermittents du spectacle, de retour de blessure ou carrément aux aguets. Mais jamais d’outsider venu des profondeurs du classement ATP. C’est la marque des neuf Championship Series (1990/96), des Super 9 (97/99), des neuf Masters Series (2000/08) ou Masters 1000 (depuis 2009), ces super tournois intermédiaires à mi-chemin entre les Grands Chelems et l’ordinaire du circuit. Leurs palmarès pourraient à eux seuls justifier le subtil distinguo en forme de gouffre qui sépare les vainqueurs de Masters 1000 des lauréats de Majeurs. Les grands joueurs de la crème de la crème. La preuve.
Vainqueur de quatre Masters Series, Nikolay Davydenko a échoué quatre fois en demi-finale à Roland-Garros et New York. David Nalbandian en a raflé deux - Madrid, Paris - pour un échec en finale à Wimbledon quand il n’avait pas vingt ans. Sur les tablettes de ces tournois Masters 1000, on trouve ainsi un nombre incalculable de finaliste ou demi-finaliste malheureux de Grand Chelem ces dix dernières saisons : Tsonga, Berdych, Coria, Pioline, Ljubicic, Corretja, Söderling, Henman, Mantilla, Canas, Johansson, Grosjean, Enqvist… Enfin, il y a les vainqueurs d’un unique Majeur, un peu comme ces maillots jaunes du Tour de France arrivés au bon moment, et multiples vainqueurs de Masters Series comme Moya ou Ferrero… La palme revenant à Andy Roddick tenant à Flushing en 2003 et vainqueur de cinq de ces neuf tournois intermédiaires. En Grand Chelem, l’Américain a surtout eu la malchance de tomber quatre fois sur Roger Federer en finale à Wimbledon et à New York. Alors pourquoi ce distinguo ?
« En Grand Chelem, il n’y a pas de place pour la moindre faiblesse »
« Même si certains de ces tournois (Ndlr : Rome, Cincinnati, Monte-Carlo, Canada) ont l’histoire avec eux, les Grands Chelems représentent le Graal des joueurs. Tout y est différent : le format en trois sets gagnants, la pression médiatique, leur rareté, le poids de la tradition, la condition physique. Tout cet univers favorise les tout meilleurs, il n’y a pas de place pour la moindre faiblesse », détaille Heinz Günthardt, l’ex numéro un suisse des années 80 et ancien coach de Steffi Graf ou Ana Ivanovic. On ne compte plus les fois où les grosses têtes sont revenues d’un handicap de deux sets dans les Majeurs. Le format des Masters 1000 n’autorise pas ce genre de latitude. On y coupe les têtes bien plus vite. « Une des différences majeures entre les deux catégories de tournois repose pour beaucoup sur la condition physique, poursuit Günthardt. Et plus on approche de la fin, plus elle compte. C’est elle et le mental qui font la différence en fin de Grand Chelem. C’est probablement ce qui explique que des joueurs comme Mecir dans le passé ou Berdych aujourd’hui n’aient pas gagné de Majeurs. Dans les trois derniers tours, c’est grâce à cela que Federer, Nadal, Djokovic et Murray font surtout la différence ».
Andy Murray pourrait illustrer à merveille la différence entre un lauréat de Masters 1000 et un vainqueur de Grand Chelem. Avant ses victoires de l’été aux Jeux Olympiques et à l’US Open, l’Ecossais avait perdu quatre finales de Majeurs et raflé…huit Masters Series. Comme si le poids de l’histoire et l’absence de vainqueur britannique depuis plus d’un demi-siècle l’écrasait sous les responsabilités. « On savait qu’il avait autant de qualités que les trois autres mais il lui manquait un déclic même s’il s’en défend aujourd’hui », explique Heinz Günthardt, avant de conclure : « Prendre Ivan Lendl (Ndlr : battu lui aussi pour ses quatre premières finales en Majeurs) comme coach a été une décision judicieuse. Il lui a appris à apprivoiser l’évènement. Plus que ses victoires en Masters Series acquises en deux sets, ce sont ses nombreuses finales et demi-finales lors des quatre Grands Chelems qui l’ont persuadé que la victoire était à portée de main. L’air de rien, la différence est gigantesque. » Au moins autant qu’entre un seul US Open et huit Masters Series.
Par Rico Rizzitelli