Après une averse, les organisateurs du tournoi de Casablanca ont mis le feu sur le court pour sécher la terre battue. Une méthode jamais vue en Europe. Mais est-ce vraiment une mauvaise solution ?
15 octobre. Maxime Janvier mène tranquillement 6-4, 4-2 face à Stefanos Tsitsipas sur la terre battue de Casablanca lorsque l’averse intervient. Au plus mauvais moment de ce tournoi Challenger, puisqu’il s’agit de la finale. Habitués au soleil, les organisateurs n’ont pas vu venir la pluie. Et n’ont rien prévu pour y faire face. Vraiment ? Alors que les gouttes cessent rapidement, ils choisissent une solution plus qu’offensive : étaler de l’alcool sur le court et mettre le feu pour le faire sécher.
Quelques instants plus tard, le joueur français peut de nouveau taper la balle pour achever son adversaire et s’offrir son titre (6-4, 6-2). Comme si de rien n’était.
« Le court est devenu tout noir »
Forcément, la vidéo a tourné sur les Internets et les réseaux sociaux n’ont pas manqué de la commenter. Sans réussir néanmoins à répondre à la question que tout le monde se poser : quelle mouche a piqué les organisateurs ? « Indépendamment de tous propos discriminatoires, je dirais que c’est une façon ‘africaine’ de traiter le problème », annonce d’emblée Jacques Simeon. Pour le dirigeant des Courts Simeon, entreprise spécialisée dans la création et la rénovation de terrains de terre battue, qui travaille notamment pour Roland Garros, ce n’est pas une première : « Il y a deux ou trois décennies, pour un match de coupe Davis qui se déroulait au Zimbabwe, un court de terre battue avait été construit en latérite, une pierre rouge de moindre qualité. Suite à un orage au petit matin, les organisateurs étaient effarés de voir une piscine à la place du court. Ni une, ni deux, ils sont allés à l’aéroport chercher du kérosène qu’ils ont versé sur l’intégralité du court. Et ils ont mis le feu. Ça a donné une grosse fumée, style champignon atomique, et le court est devenu tout noir. »
La stratégie des flammes, quoique rare, est donc utilisée en cas de force majeure dans certaines zones géographiques. Mais si elle permet effectivement de sécher la terre, et donc de rendre le court praticable en un rien de temps, dégrade-t-elle ce dernier ? « Non, ce n’est pas dangereux pour la surface, ça ne l’abime pas », répond contre toute attente Bruno Slastan, responsable de l'entretien des courts de Roland depuis 1989 et qui a également déjà vu une scène de ce genre au Brésil. Un avis partagé par Jacques Simeon : « Après la moisson, certains agriculteurs mettent le feu à la paille. Leur terre n’est pas fichue pour autant, au contraire. Là, même si on n’est pas là pour faire pousser des betteraves, le sol n’est pas endommagé. » Les seuls problèmes seraient d’ordre logistique : le feu efface les lignes du terrain, qu’il faut donc redessiner après coup, il colorie en noir les zones brulées, qu’il faut donc gratter, et peut engendrer une odeur pas très agréable, qu’il faut donc supporter.
Interdit en France
Non seulement cette méthode qualifiée de « système D » par Jacques Simeon est efficace, mais elle semble en plus ne pas avoir d’équivalent. « Malheureusement, quand un court est détrempé, il n’y a pas de solution, commente Bruno Slastan. La seule chose à faire, c’est d’attendre que l'eau s’évacue. » Sauf que certains tournois du circuit Challenger, notamment ceux du continent africain, n’ont même pas les moyens de se doter de bâches, indispensables en cas de pluie pour protéger le terrain. D’où l’emploi du feu. « Attention, leurs courts ne sont pas de mauvaise qualité. Le problème, c’est qu’à Casablanca, le soleil est quasiment permanent, il n’y a donc pas de bâche, corrobore Jacques Simeon. Or, il faut trouver une solution en cas de gros orage. Et mettre le feu au court, c’est toujours mieux que de ne pas jouer. Alors je dis bravo à celui qui a pris cette initiative. Au moins, la rencontre a pu se faire en temps et en heure. Et l’arbitre n’a pas eu à dire aux spectateurs : ‘Rentrez chez vous, le match est annulé.’ »
En l’absence de bâches, le tennis français serait d’ailleurs en grande difficulté. Car la solution de l’incendie est proscrite. « En Europe, personne ne l’utilise, je vous le certifie, assure le roi de Roland-Garros. C’est interdit par la loi. Il y a des normes de sécurité à respecter. Aujourd’hui, celui qui s’amuserait à faire ça, il pourrait se retrouver en prison, hein. Ça ne rigole pas. On ne l’a jamais vu à Roland et on ne le verra jamais. Jamais, jamais. Après, si quelqu’un a vu les images et veut tenter le coup ailleurs… » Le constructeur de terrain est encore plus ferme : « C’est absolument inenvisageable en Europe. Faut oublier, c’est exclu. Faire du feu dans sa propriété, c’est interdit sous peine d’amende pour les normes environnementales. Imaginez si on mettait le feu sur le central de Roland ! Ça ferait un peu désordre, non ? Sans compter la réaction de Madame Royal. » Heureusement pour Maxime Janvier, la ministre de l’écologie n’est pas celle des affaires étrangères.