En 1993, le Français créait la surprise pour se hisser en finale à Flushing Meadows. Mais plutôt qu’évoquer de la qualité de son revers, les médias américains se demandent surtout si son entraîneur sera présent dans les tribunes. Henri Dumont est en effet rentré quelques jours plus tôt en France et le conseille par téléphone. Retour sur une relation coach-joueur pas comme les autres.
Ce 12 septembre 1993, le court Louis-Armstrong sonne un peu vide pour la première demi-finale de l’US Open entre Wally Masur et Cédric Pioline. L’opposition entre le trentenaire australien au jeu de serveur-volleyeur déjà en voie d’anachronisme et ce Français dont la démarche claudicante laisse penser qu’on vient de le tirer de son lit, passionne guère le public new-yorkais. Celui-ci attend surtout l’apparition de Pete Sampras face au fantasque Aleksandr Volkov. Les journalistes américains, eux, ont dû commencer à bosser la bio de la tête de série numéro 15 de cet US Open. Quelques jours plus tôt, Pioline s’est offert le scalp de Jim Courier en huitième de finale. Mais qui est donc ce «unknow frenchman » (« ce Français inconnu») comme l’a qualifié un reporter du New-York Times? A 24 ans, Pioline reste pourtant sur un quart de final à Wimbledon, mais c’est surtout sa relation particulière avec son entraîneur qui intrigue.
Allures de séminaristes et éloge de la lenteur
Quand il dispose de l’ancien numéro un mondial, le Parisien est sans coach. «Il est retourné en France pour son travail», indique Pioline en conférence de presse. Un entraîneur qui « abandonne » son joueur au milieu d’un tournoi du Grand chelem, il y a de quoi être surpris et décontenancé. Mais c’est mal connaître la relation qui unit les deux personnages. Fils d’un couple de volleyeurs (sa mère a même été internationale en Roumanie), Pioline navigue au-delà de la 400e place mondiale, la vingtaine déjà entamée, quand il rencontre Henri Dumont en 1989. Celui-ci a une formation de psychologue et travaille pour la Fédération française de tennis comme conseiller technique régional à Bordeaux. « Dumont est un original qui n’est pas très bien vu à Paris, resitue Pioline. Il considère qu’il est sous-employé par la FFT. Il n’a pas tutoyé le haut niveau comme joueur, ce qui reste toujours un peu suspect pour la famille du tennis. Mais cet homme de 35 ans, aux allures de séminaristes, va trouver en moi le terreau pour développer ses méthodes. »
En l’espace de quatre ans, son élève passe du bas-fond des tournois satellites (après une finale perdue il effectue un trajet de 24h en train entre Sarajevo et Paris faute de pouvoir se payer un billet d’avion) aux portes du Top 10. Dans un jargon psychologisant, Dumont évoque sa méthode baptisée « management motivationnel». Il s’agit d’un parcours en deux points : visualiser ce que l'on veut et, ensuite, réduire l'écart entre ce projet et la réalité. «En l'occurrence, travailler des fondamentaux comme la première balle de service, le revers le long de la ligne.» Mais l’homme ne s’occupe pas que de la tête, il change en profondeur le jeu de son élève, notamment son fameux revers. Il l’oblige à taper des séries le plus lentement possible pour mieux décomposer son geste. « C’est en m’obligeant à jouer tout doucement que j’ai trouvé ma gestuelle, vante l’intéressé dans son autobiographie. Je suis de la glaise entre ses mains et l’instrument de sa revanche. Je m’en rends pas compte et lorsque j’en prendrai conscience, quelle importance, ça me fait tellement progresser ! »
« Je ne sais pas. C’est un long trajet »
Une progression qui s’effectue à distance. En effet, Henri Dumont travaille également pour une entreprise de conseil et management aux cadres basée à Toulouse. L’époque ne connaissant pas encore le portable, Pioline laisse des notes de téléphone salées dans tous les hôtels où il passe. La veille de sa rencontre face à Courier, le Français s’est entretenu quelques minutes avec son coach rentré au pays. Mais ce dernier s’est bien gardé de lui donner un plan de jeu clé en main. « Je me devais d’être une tête chercheuse, ne pas attendre que la solution me tombe tout cuite dans la bouche», se souvient l’intéressé. Après sa qualification pour la finale, un journaliste lui demande si son entraîneur assistera à l’événement. La réponse est évasive : « Je ne sais pas, c’est un long trajet. Je dois l’appeler ». Il faut dire que le finaliste n’est pas non plus livré à lui-même à New-York. Son meilleur ami Pierre Cherret et Luc Pausiclès son préparateur physique l’accompagnent.
Le lendemain, Henri Dumont monte dans le premier avion et arrive à quelques heures de la finale de son protégé. Impassible en tribunes, il assiste à la démonstration d’un Sampras qui remporte son deuxième US Open. Le retour sur terre est difficile pour le finaliste malheureux. Dumont a conçu une bulle inviolable autour de lui. Il n’extériorise aucune émotion sur le terrain et doit parler le moins possible avec les journalistes. Pioline sent qu’il passe pour un personnage hautin et distant. Sur le terrain, cela ne va pas beaucoup mieux en 1994 où il aligne les défaites et chute au classement. Fatigué de cette relation à distance et de l’emprise de Dumont sur lui, il décide de mettre fin à leur collaboration. Après une petite traversée du désert, il atteindra une nouvelle fois le dernier carré à l’US Open en 1999 (défaite contre Todd Martin). Entre temps, Pierre Cherret est devenu son entraîneur principal et l’accompagne sur tous les tournois, lui. De quoi enfin débrancher le téléphone.
Par Alexandre Pedro