Le jour où… Lew Hoad a manqué le Grand chelem face à son meilleur ami

30 août 2016 à 00:00:00

En 1956, Lew Hoad est à une marche de réaliser le Grand chelem, mais l’Australien trébuche en finale de l’US contre son meilleur ami: Ken Rosewall.

Dans l’histoire du tennis, seuls deux hommes sont parvenus à gagner les quatre tournois majeurs la même année : Donald Budge et Rod Laver. Parmi la cohorte de grands noms passés tout près de les rejoindre, celui de Lew Hoad interpelle. Etoile filante parmi les géants, l’Australien a calé sur la toute dernière marche en 1956, en finale de l’US Open… face à son meilleur ami, Ken Rosewall. Récit.

 

Ils sont nés dans la même ville, Sydney, à trois semaines d’intervalle ; ont débuté le tennis dans le même club ; ont disputé leur premier match l’un contre l’autre à 11 ans ; ont progressé jusqu’à l’élite mondiale en simultané… tout en éblouissant les foules en tant que paire de double vite flanquée du surnom de « Whiz Kids », les apprentis magiciens. Rarement deux champions ont été aussi indissociables que Lewis Alan Hoad et Kenneth Robert Rosewall. Et par une pirouette comme la vie en a le secret, elle a fait du second l’ultime adversaire du premier sur le chemin menant au mythique Grand chelem calendaire.Nous sommes le 9 septembre 1956. Lew Hoad, 21 ans, a dans sa raquette l’exploit ultime du tennis : la victoire dans les quatre plus grands tournois la même année. Un seul homme y est jusque-là parvenu : l’Américain Donald Budge, en 1938. Un autre est arrivé jusqu’à la dernière marche, la finale de l’US Open, mais y a trébuché : Jack Crawford, en 1933. Hoad en est précisément à ce stade au moment d’entrer sur le court principal en gazon du West Side Tennis Club de Forest Hills, à New York. Ce jour-là, l’Australien à qui rien ne résiste est nerveux. Il y a la pression, d’abord, inhérente à l’ampleur de ce qu’il peut accomplir. Il y a le jeu, aussi : Hoad fatigue. Irrésistible dans la première moitié de ses travaux d’Hercule – sa victoire à Roland-Garros, pourtant théoriquement sa moins bonne surface, a marqué les esprits – il s’est montré moins éblouissant à Wimbledon et lors des tours précédents à l’US Open.

 

Et puis il y a donc l’identité du dernier obstacle le séparant du Grand chelem : Ken Rosewall, son alter ego de toujours en tennis. Deux inséparables tellement dissemblables. Ken le brun, Lew le blond ; Ken le réfléchi, Lew l’impulsif ; Ken le gabarit léger lui valant le surnom ironique de « Muscles », Lew la force de la nature qui suscite les superlatifs avec son service puissant, la lourdeur de ses frappes et son endurance à l’effort. Un athlète rare, qui impressionne tous ceux qui le voient évoluer. Les anciens comme Budge Patty : « Lew Hoad a été le premier à avoir la force suffisante pour lifter son revers. Mais Hoad était spécial. Au moment où j’ai arrêté ma carrière, en 1960, il était toujours le seul à en être capable. » Ses contemporains comme Pancho Gonzales, pourtant LE champion phare de l’époque : « Il était le seul gars qui, si je jouais mon meilleur tennis, pouvait me battre quand même. Je crois que son jeu était le meilleur jeu de tous les temps. Meilleur que le mien ». Et ses successeurs, comme Rod Laver : « C’était mon idole. Un jour que je m’entraînais avec lui, j’entends des grincements affreux quand il frappe. Je lui demande ce qu’il se passe, et il me répond : « C’est le manche de ma raquette qui se fendille ». Tellement il frappait fort ! Alors vous imaginez ce qu’il aurait fait avec une raquette en métal ? »

 

Hoad, Rosewall, les vents contraires et la malédiction Sports Illustrated

 

Si fort naturellement, Hoad n’affiche en revanche pas la même persistance à l’effort que son aîné de trois semaines, et c’est bien Ken Rosewall qui a toujours fait figure d’aiguillon dans le tandem à force de plus grande précocité… jusqu’à l’inversion des rôles en cette saison 1956. Au coup d’envoi de l’exercice, Rosewall affiche trois titres majeurs à son palmarès, Hoad zéro. Au matin de cette finale d’US Open, le score est de 3-3, Hoad ayant en outre battu son compère lors des finales de l’Open d’Australie et de Wimbledon. Mais sur le gazon londonien déjà, Hoad a eu chaud, le score de la finale, 6/2 4/6 7/5 6/4, ne relayant pas le fait que Rosewall a mené 4-1 dans la quatrième manche. « Je me voyais déjà l’emmener au cinquième set, et puis avant que j’ai compris ce qui se passait, il avait aligné cinq jeux et le match était fini », se rappelle Rosewall. Surtout, Forest Hills offre des conditions de jeu bien différentes des autres tournois du Grand chelem, venteuses à souhait… autrement dit à l’avantage théorique du tennis tout en finesse de Rosewall par rapport à celui de Hoad, plus en puissance. Les deux partenaires de double – ils gagnent d’ailleurs trois titres majeurs sur quatre cette année-là – le savent : le candidat au Grand chelem a toutes les raisons d’être inquiet… y compris les moins rationnelles : « Au début du tournoi, Lew avait fait la couverture de Sports Illustrated, relève Rosewall : il avait tenté d’en plaisanter, mais dans le monde du sport, tout le monde savait que ça portait malheur ! »

 

Rosewall de son côté a conscience de la portée de ce que peut accomplir son ami. Mais il n’est pas en mesure de lui faire le moindre cadeau pour favoriser son entrée dans l’Histoire. Eclipsé depuis plusieurs mois par Hoad, il joue sur ce match son passage chez les professionnels à des conditions avantageuses. « J’adorais ma vie de joueur de tennis et je venais de me marier. Alors si je voulais assurer nos arrières financièrement tout en continuant à faire ce que j’aimais, je n’avais pas vraiment le choix. Je devais devenir professionnel, même si je perdais toute chance de jouer les tournois du Grand chelem et la coupe Davis. J’ai fait ce que tout le monde aurait fait. »

 

« L’une des finales les plus intelligentes jamais jouées »

 

La finale débute bien pourtant pour Hoad, qui s’adjuge le premier set 6/4. Plus que deux… Mais patiemment, Rosewall tisse sa toile. La balle rebondit encore moins sur le gazon de Forest Hills que sur celui de Wimbledon, et Rosewall trouve là une aide précieuse pour rendre moins vulnérable sa seconde balle. Il entreprend de monter au filet avant son adversaire, aussi. Habitué à dicter le rythme du match avec sa puissance de frappe, Hoad est surpris. « Il n’imaginait pas que je puisse avoir appris à jouer de manière si agressive, commente encore Rosewall. Mais je savais qu’avec le vent et l’humidité, c’était la voie à suivre : ce n’était pas possible de jouer l’échange. Je devais assurer mes premiers coups, service et retour, et courir au filet pour écourter les points. » Tactique payante : perturbé à la fois par le schéma de jeu proposé par son adversaire et par ce vent qui lui fait perdre en précision, Hoad n’en finit plus de perdre son service : 6/2 Rosewall, puis 6/3, et enfin 6/3. Le monde du tennis attendait la consécration d’un champion, il apprend à en regarder un autre d’un œil neuf : « Ce fut de la part de Rosewall un étalage de finesse et, d’après des observateurs aussi éminents que Donald Budge, l’une des finales les plus intelligentes jamais jouées. La différence fondamentale entre les deux hommes fut que Rosewall a joué avec le vent, quand Hoad a cherché à le combattre », écrit ainsi le correspondant du journal australien The Age à propos de cette partie.

 

Victorieux en simple, double et double mixte de cet US Open 1956, Rosewall tient son passage chez les professionnels par la grande porte. Hoad, lui, attendra quelques mois de plus, et un ultime titre amateurs à Wimbledon en 1957. Terriblement moderne, son tennis a aussi son revers de la médaille : les blessures. Quand il passe pro, en septembre 1957, son dos le tiraille déjà. Malgré quelques pics qui entretiennent sa réputation auprès des connaisseurs – ses duels avec Pancho Gonzales auront un écho certain – les périodes de repos forcé sont de plus en plus longues et le condamnent à camper les seconds rôles derrière deux compatriotes, Rod Laver et… Ken Rosewall. Là où « Muscles » s’est approprié la plupart des records de longévité de son sport, Lew Hoad, lui, fut une comète qui brilla de son plus fort éclat le temps d’une seule année, exceptionnelle, celle de ses 21 ans. Et si Lew Hoad prit la perte du match le plus important de sa carrière « avec sportivité », selon les mots de Ken Rosewall, ce dernier n’en a pas moins eu l’élégance « de ne jamais lui en reparler. »

Par Guillaume Willecoq

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