Serena est-elle la plus grande joueuse de tennis de toute l’Histoire ?
Après un printemps à peine passable à son goût, Serena Williams est redevenue le rouleau compresseur que l’on connaît. En raflant deux médailles d’or olympiques, Wimbledon et Flushing Meadows, elle ouvre la porte à la seule question qui vaille. Est-elle la meilleure de tous les temps ?
Cette fille-là les rend toutes dingues. Elle disparaît, personne ne sait ce qu’elle fait, où elle se trouve. Puis elle revient, après des mois de vacances, et elle gagne derechef. Comme presque à chaque fois. Les autres joueuses la maudissent. En silence. Serena bafoue les lois de la gravité, de la logique sportive. C’est ce qui la rend si unique. De ce point de vue, elle ressemble à Andre Agassi et à son parcours erratique. Trop de démons pour se contenter d’une trajectoire rectiligne à la Sampras. Quand elle ne joue pas les fashionista à New York ou à Milan, elle peut souffrir d’une embolie pulmonaire comme à l’été 2011 et revenir encore plus fort. Toujours. Monica Seles qui a connu ce qui se fait de mieux - Navratilova et Evert à l’orée de sa carrière ; Graf et Hingis au milieu ; les Williams et les Russes à la fin - l’affirmait déjà au printemps 2010 : « Serena a le potentiel et les attributs pour être la meilleure joueuse de tous les temps. Elle a un grand service, un bon retour, un mouvement fantastique et une incroyable puissance. Aucune joueuse n'est aussi forte qu'elle. » Voire… Son parcours en 2012, après six mois d’absence, est tout simplement effarant. Cinquante-trois victoires, quatre défaites : Makarova en 1/8ème en Australie, Wozniacki en quart à Miami, Kerber à Cincinnati en août et Razzano au premier tour à Roland. Un revers qui a tout changé. Depuis Paris, elle a engagé Patrick Mouratoglou et est devenue injouable : victoire à Wimbledon, médaille d’or aux Jeux en simple comme en double avec Venus, sa grande soeur, et succès à New York… What else ? Virginie Razzano racontait que l’Américaine lui jetait des regards noirs dans les vestiaires durant l’US Open, comme pour conjurer le mauvais sort. « Avant Roland-Garros, je jouais si bien que j’ai connu quelques passages difficiles au début de Wimbledon », confiait la quadruple vainqueur lors de sa conférence de presse dans la Grosse Pomme. Et puis, il y a eu le déclic Mouratoglou, absent lors de la seule défaite de Serena dans l’Ohio cet été et bien plus qu’un coach à en croire le journal de tennis de la semaine.
Une sœur tuée par balle
Comme Venus et ses 7 tournois du Grand chelem en simple, Serena vient de loin. D’un père dingue de tennis qui rêvait de voir ses filles dominer le monde bien blanc de la petite balle jaune. Née dans le Michigan, elle migre à Los Angeles à l’âge de cinq ans. Et pas sur les hauteurs de Beverly Hills. En 2003, elle perd une sœur, Yetunde, tuée par balle. Dans l’univers forcément compliqué des rapports père-fille du tennis mondial (un classique cf. Dokic, Pearce, Rezaï, Bartoli…, Ndlr), la quadruple championne olympique doit aussi batailler dans sa propre famille. Être la première chez les Williams équivalait pendant longtemps à être la numéro un mondiale. Sans compter, les inévitables trous d’air (blessures, comme en 2010 aux pieds en marchant sur du verre, dépression ou divagations, Ndlr) qui semblent être un trademark familial. A chaque fois, Serena s’en est relevée. Retrouvant son mental unique de guerrière et son besoin compulsif du jeu. « Elle a pris conscience de la chance qu’elle avait de pouvoir rejouer au tennis et gagner » relevait Mouratoglou à NYC le mois dernier. Les montagnes russes, la marque des bipolaires. Celle des génies aussi… « Quand tu joues contre elle, ça fait peur parfois. Surtout dans les jeux de retour. Quand tu touches la balle, tu as l’impression de recevoir une décharge électrique dans le bras », se souvient avec effroi Sarah Pitkowski. Depuis qu’elle a gagné son quinzième Majeur (5 Wimbledon et Australian Open, 4 US Open et 1 Roland-Garros, Ndlr), treize ans après le premier (record de longévité de l’ère Open, garçons et filles confondus, Ndlr), sa place dans l’histoire pose question. Dans les statistiques, elle se trouve en sixième position. Derrière Margaret Court (24 Grands chelems, 1960/73), Steffi Graf (22 de 1987 à 1999), Helen Wills Moody (20 de 1923/38) et les inséparables Chris Evert et Martina Navratilova (18 chacune). Outre Monica Seles, Kim Clijsters et Victoria Azarenka croient savoir qu’elle est la meilleure tenniswoman de tous les temps. Difficile de l’affirmer. La plus puissante, sans doute. Une des meilleures athlètes toutes disciplines confondues ; à n’en pas douter. Sur les fondamentaux techniques, c’est plus confus. La réserve porte sur son jeu de jambes parfois approximatif et son manque de patience sur terre battue. Elle n’a gagné qu’une seule fois à Paris. Une chose est sûre, cette formidable « machine de guerre », dixit Mouratoglou, n’aurait été « un cadeau pour personne poursuit Sarah Pitkowski. Je ne saurais dire sa place dans l’histoire mais ni Steffi (Graf), ni Evert ou Navratilova à leur meilleur n’aurait été assurées de l’emporter. Jouer Serena peut être une expérience terrible… » En attendant, revigorée par sa parenthèse estivale enchantée, Serena en veut toujours plus : « Je n’ai jamais pensé pouvoir me rapprocher de ces records jusqu’à récemment. Si je peux continuer à jouer à un bon niveau et remporter deux Majeurs par an, ce serait fantastique » déclarait-elle peu après sa finale victorieuse contre Azarenka à Flushing. Chiche ? Par Rico Rizzitelli