Pour la première fois en quatre éditions, le Serbia Open de Belgrade va se disputer sans Novak Djokovic. Marqué par le décès de son grand-père, il a décidé de faire l’impasse sur le tournoi dont il a acheté les droits et qui est aujourd’hui géré, comme tant d’autres choses, par sa famille. Entre business et patriotisme, analyse des liens qui lient « Nole » et ses proches avec son pays et la ville qui l’ont vu grandir.
Novak Djokovic est en deuil. L’habituel blagueur potache du circuit a perdu son éternel sourire canaille. Vladimir, son grand-père, son « héros » comme il aimait l’appeler, chez qui il s’était réfugié avec sa famille pendant les bombardements de Belgrade par l’OTAN en 1999, est décédé. Le numéro 1 mondial, qui a appris la nouvelle à Monte Carlo, est tout de même parvenu à se hisser jusqu’en finale du tournoi monégasque, avant de s’incliner lourdement face à Nadal, « épuisé mentalement ». Marqué comme rarement, il a décidé dans la foulée de faire l’impasse sur le Serbia Open, SON tournoi, le seul 250 auquel il participe chaque année depuis la première édition en 2009.
Trop d’émotion à surmonter pour un seul homme, même quand il se nomme Novak Djokovic. Un gamin solide, qui s’est toujours rêvé champion et qui est parvenu à exploiter son talent pour le tennis, malgré des conditions difficiles et sous le regard exigeant de ses proches. Il a fallu au petit « Nole » un sacré mental pour être digne des sacrifices faits par sa famille et des espoirs placés en lui. « Définitivement reconnaissant » du temps et de l’argent consacrés par ses parents, Srdjan et Dijana, il ne manque jamais l’occasion de leur rendre hommage. Le climat passionnel du « clan Djoko » autour du rejeton est débordant, à la limite du raisonnable, mais il est le produit de cette ascension faite dans la douleur.
Passeport diplomatique
Et voilà que depuis qu’il enchaîne les victoires, c’est comme si la famille Djokovic s’était agrandie de quelques 7,1 millions de personnes, tant les exploits du prodige sont suivis avec un amour quasi fraternel par toute la population Serbe. Comme Elena, une étudiante, qui explique : « La société internationale avait oublié que la Serbie n’est pas uniquement un théâtre de guerre, c’est aussi le pays d’une population talentueuse et déterminée. Les victoires de Djokovic sont chaque fois considérées comme des victoires de tous les Serbes. » Même solennité du côté des autorités, le président Boris Tadic considérant le joueur comme « le meilleur ambassadeur du pays ». Comme les autres membres de l’équipe de Coupe Davis by BNP Paribas vainqueur de la France en 2010, il s’est vu remettre un passeport diplomatique pour faciliter ses déplacements.
Par patriotisme autant que par sens du business, Djoko et sa famille ont décidé de faire fructifier cet engouement autour de sa personne. Partout dans Belgrade, des portraits géants du joueur s’affichent sur des façades. Head pour les raquettes et Sergio Tacchini pour les tenues sont ses principaux sponsors. L’équipementier italien est d’ailleurs distribué en Serbie via Family Sports, l’entreprise dirigée par Goran Djokovic, l’oncle de Novak. Parmi les autres activités de cette société qui emploie un total de 150 personnes, il y a la gestion du Novak Tennis Center, grand complexe qui a vu le jour en 2009 en lieu et place de l’ancien centre de sports Milan Gale Muskatirovic, dans le quartier de Dorcol, sur les bords du Danube.
« Djokoland »
L’argent collecté sur le circuit ATP a permis de financer la construction de onze courts ultra-modernes, d’une académie, mais aussi d’un café-restaurant, un spa, des magasins, un salon de beauté et de coiffure… « Djokoland » se veut la vitrine d’une Serbie dynamique, sportive et ouverte sur l’Occident. Trois autres « Novak Café & Restaurant » ont vu le jour en Serbie, à Novi Beograd, Kragujevac et récemment à Novi Sad. Au menu, des plats garantis sans gluten, pour manger (et gagner) comme le préconise le champion.
Et puis bien sûr il y a cet Open de Belgrade, lancé en mai 2009. Novak a encore sorti le chéquier pour racheter les droits de l’ancien Open d’Amersfoort, aux Pays-Bas, et le déménager, afin d’offrir à son pays le premier tournoi de tennis de l’histoire. Organisée au Novak Tennis Centre, la compétition a déjà été remportée deux fois par son bienfaiteur, qui a une nouvelle fois placé tonton Goran comme responsable de l’organisation. Le maire de Belgrade Dragan Dilas ne trouve rien à en redire, bien au contraire, lui qui faisait remarquer il y a peu que sa ville, qui comptait « trois courts de tennis il y a 15 ans », en dénombre aujourd’hui « des centaines ». Dans un pays traditionnellement tourné vers les sports collectifs, la percée soudaine de la petite balle jaune fait figure d’exploit. Un de plus pour Novak.
Régis Delanoë