Alors que se dispute ces jours-ci le Mexican Open à Acapulco, retour sur le destin brisé du plus grand joueur de l’histoire du pays, Rafael Osuna. Sa carrière, ponctuée de titres du Grand Chelem et d’exploits en Coupe Davis par BNP Paribas, fut stoppée nette à 30 ans seulement, dans le crash d’un avion. Traumatisé depuis ce mois de juin 1969, le tennis mexicain ne s’en est jamais vraiment remis.
La vie de Rafael Osuna prend fin dans un grand fracas le 4 juin 1969 à 8h42 très précisément. La boîte noire du Boeing 727-64 de la compagnie Mexicana retrouvée après le crash permet de déterminer que c’est à cet instant très précis que l’avion percute un flanc de la Cerro del Fraile – la colline du moine – alors qu’il était en phase de descente à une vingtaine de kilomètres des pistes de l’aéroport de Monterrey au Mexique, où il est censé atterrir. La collision ne laisse aucune chance aux 79 personnes présentes à bord, dont 7 membres d’équipage. Parmi les passagers de ce vol intérieur parti de Mexico, se trouvent deux personnalités : l’homme politique Carlos Madrazo, père de Roberto, futur candidat à la présidence de la république en 2006, et le champion Rafael Osuna. Sa biographie Sonate en set majeur (Sonata en set mayor), écrite par sa sœur Elena et publiée en 1990, rapporte que Rafael a bien failli manquer ce vol, le taxi qui l’emmène à l’aéroport de Mexico ayant été freiné par un contrôle de police. Comme il n’est pas n’importe quel passager mais le sportif mexicain le plus populaire de l’époque, le commandant de bord propose spontanément de l’attendre, quitte à retarder le décollage de quelques minutes. Proposition soumise aux autres passagers, qui acceptent volontiers et lui font un triomphe à son arrivée. Une dernière salve d’applaudissements avant de disparaitre avec ses compagnons d’appareil, laissant tout un pays orphelin et traumatisé, dans l’incompréhension de ce qui s’est joué les quelques secondes précédant le crash. Il est même question d’un attentat en vol étant donné la manière dont l’appareil a été retrouvé brisé au pied de la colline. Une thèse jamais confirmée… Toujours est-il qu’Osuna appartient désormais au passé. Une disparition tragique, l’année de ses 30 ans.
« Il ne sait pas jouer mais se déplace comme un Dieu »
L’étonnante carrière du champion démarre douze ans auparavant, lors d’un tour de Coupe Davis par BNP Paribas disputé à Helsinki contre la Finlande. À l’époque, Osuna n’est même pas encore vraiment un joueur de tennis, plutôt un sportif en devenir bon en plusieurs disciplines : le basket, le tennis de table et le tennis, qu’il apprend sur le tard. Mais en partance pour la Finlande, il manque un remplaçant à l’équipe mexicaine alors Osuna est appelé pour faire le nombre. La blessure d’un des titulaires le pousse à disputer le double décisif, remporté facilement sans perdre un set. Le lendemain, il confirme ses bonnes dispositions en gagnant de nouveau en simple au cours d’un match sans enjeu, arraché en cinq sets. Le plaisir qu’il prend raquette en main est évident et il se décide à mettre de côté basketball et ping-pong pour se consacrer exclusivement au tennis. L’un de ses nouveaux partenaires de Coupe Davis par BNP Paribas, Francisco Contreras, le pistonne pour qu’il le rejoigne à l’université de Californie du Sud. À l’époque, la section tennis de cette fac prestigieuse est dirigée par Georges Toley, entraîneur de génie qui formera notamment quelques années plus tard un certain Stan Smith. « Il ne sait pas jouer au tennis mais il se déplace comme un Dieu », annonce Contreras à son coach. De fait, Osuna n’a découvert ce sport que très tardivement et ses lacunes techniques sont évidentes. Mais c’est un acharné qui encaisse les séances d’entraînement intensives imposées par Toley pour mettre ses coups au niveau de ses exceptionnelles capacités physiques. Le gamin est infatigable, léger, toujours en mouvement. Il ne court pas, il danse.
En finale à l’US Open, succès de l’opération cha-cha-cha
En 1960, c’est encore un parfait inconnu qui débarque à Wimbledon pour disputer le double avec un de ses coéquipiers d’entraînement, l’Américain Dennis Ralston. La paire, âgée de 21 et 17 ans, n’a que très peu d’expérience commune. D’ailleurs proche de l’élimination dès le premier tour, elle se hisse finalement jusqu’au dernier carré. En demi-finale, elle réussit l’exploit improbable de battre les favoris australiens Rod Laver et Bob Mark, avant de disposer en finale des Britanniques Mike Davies et Bobby Wilson. Non classés, les deux lieutenants de Goerges Toley en Californie se paient le plus prestigieux tournoi du circuit pro ! Pour Osuna, c’est le début d’une belle carrière qui le verra gagner une deuxième fois le double à Wimbledon (en 1963 avec son compatriote Antonio Palafox), ainsi que l’US Open en double (en 1962, déjà avec Antonio Palafox) mais aussi en simple en 1963. Lors de cette édition, le Mexicain domine en demi-finale le vainqueur de Wimbledon en titre, Chuck McKinley, avant de réussir le coup tactique parfait en finale face au géant Frank Froehling, 1,90m et réputé pour être le plus gros serveur du circuit. Pour contrer la puissance de l’adversaire, Osuna met en place ce qui sera appelé « l’opération cha-cha-cha » : casser le jeu par des renvois longs et lobés, depuis le fond du court. A force de lever la tête vers le ciel pour chercher du regard la petite balle blanche, Froehling perd patience et enchaîne les fautes directes jusqu’à laisser filer le match.
Il bat l’Australie à lui tout seul dix jours avant le crash fatal
Osuna termine l’année 1963 en tant que numéro 1 mondial. Un an avant, il emmène son pays jusqu’en finale de Coupe Davis par BNP Paribas, un exploit inédit et qui le reste encore aujourd’hui. La lourde défaite face à Rod Laver, Neale Fraser et Roy Emerson concédée à Brisbane lui fait comprendre le chemin qu’il reste à accomplir à lui et ses compatriotes face à la meilleure nation du moment. Même après sa victoire en simple à l’US Open, il dira toujours que son plus grand rêve de tennis est d’un jour battre l’Australie en Coupe Davis par BNP Paribas. Un rêve qu’il finit par réaliser moins de deux semaines avant sa disparition. Les 23, 24 et 25 mai 1969 à Mexico, il qualifie les siens face aux Aussies quasiment à lui tout seul en gagnant ses deux simples et le double avec Vicente Zarazua. Son chef d’œuvre. Une dizaine de jours plus tard, son corps est identifié grâce à la Rolex qu’il porte au bras, cadeau fait aux vainqueurs du double surprise de Wimbledon en 1960. Le tennis mexicain ne s’est jamais remis de la perte de son héros. L’équipe de Coupe Davis par BNP Paribas n’est plus apparue dans le groupe mondial depuis près de 20 ans et le meilleur Mexicain sur le circuit, Tigre Hank, est actuellement classé 446e à l’ATP…