Je suis un peu, passez moi l'expression, tombé sur le cul en lisant les interviews de Kristina Mladenovic et d'Adrian Mannarino après leur 2e tour.
Petit rappel des faits : samedi dernier, alors qu'il pleuvait à New-York et qu'il était donc impossible de s'entraîner, un petit groupe de joueurs et de joueuses sont allés trouver refuge chez Benoît Paire qui, grâce à son statut de tête de série, bénéficiait d'une loge où il pouvait « chiller ». Cette petite bande en a profité pour taper le carton, histoire de passer le temps. Mais je préfère laisser Adrian Mannarino, qui en faisait partie, raconter lui-même : « Toute la journée samedi, il a plu alors que je devais m'entraîner avec Grégoire Barrère. On ne savait pas quoi faire. Alors on est allés jouer aux cartes dans la suite de Benoît Paire, parce que c'est un espace assez grand où on peut être entre nous. On a joué aux cartes, tous avec nos masques.»
Et après ?
« Le soir, après un dîner à l'hôtel en compagnie d'autres joueurs français, j'ai reçu un texto de l'ATP me demandant de les rappeler au plus vite. J'ai eu un bon coup de stress. Je ne savais pas si c'était moi qui avais été testé positif, parce que j'avais fait un test le matin même, ou si c'était autre chose. On m'a demandé avec qui j'avais été en contact les derniers jours, ce que j'avais fait. J'ai retracé mes dernières 48 heures pour qu'ils puissent voir si j'avais pu être en contact avec la personne positive. A ce moment-là, je ne savais pas que c'était Benoît. »
Je dois passer par la porte de service
Le lendemain, ils apprennent qu'ils (les joueurs confinés) pourront disputer l'US Open à condition, d'une part, de signer un protocole sanitaire encore plus contraignant, et d'autre part que leurs tests, désormais quotidiens, reviennent à chaque fois négatifs. Concrètement, les 7 qui ont joué aux cartes (Mannarino, Barrère, Mladenovic, Flipkens, Bonaventure, Roger-Vasselin et Gasquet) doivent suivre les consignes suivantes, comme continue à l'expliquer Mannarino : « On doit en permanence avoir quelqu'un qui nous escorte dans l'enceinte du stade. Nous n'avons pas le droit de nous promener. Je dois rester à l'intérieur de ma loge en portant le masque. Je n'ai pas le droit de sortir sur la terrasse pour regarder le court central. Je n'ai pas le droit non plus de prendre l'ascenseur, car je pourrais y être en contact avec d'autres joueurs. Donc, je dois prendre les escaliers tout le temps, que ce soit au stade ou à l'hôtel, alors que ma chambre est au 7e étage. Ça fait beaucoup de marches à monter et descendre chaque jour ! Quand j'arrive à l'hôtel, je dois passer par la porte de service. Ensuite, nous prenons l'escalier de service pour monter dans nos chambres. Nous ne sommes pas autorisés à en sortir, on se fait donc livrer de la nourriture. Quelqu'un la laisse devant notre porte. Si on veut manger au stade, nous avons une application sur nos téléphones pour commander. On me livre directement dans ma loge. »
Simple ? Pas simple ? Difficile à dire tant qu'on ne l'a pas vécu. Mais souvenez-vous du confinement. Certains disaient « Moi, je suis bien, tranquille en famille » alors que d'autres « J'en peux plus, j'ai besoin de sortir ». On n'est pas tous pareils et forcément, on ne vit pas les mêmes situations de la même manière.
Mais revenons à ces fameuses interviews d'après victoire/défaite, selon si l'on parle de Mannarino ou de Mladenovic. Les deux subissent exactement le même traitement et pourtant Manna dit : « C'est une organisation un petit peu différente. Le tournoi a été très réactif, a su faire les efforts pour mettre quelque chose en place afin qu'on puisse jouer et qu'on soit en position de défendre nos chances. Tant qu'on est dans le tournoi, je ne pense pas qu'on puisse se plaindre. Ce sont des mesures strictes, mais il faut aussi se rendre compte qu'il y a un virus qui circule en ce moment et c'est notre devoir à tous de faire au mieux pour le stopper. »
C'est leur côté "suisse-allemand" !
Dans le même temps, Mladenovic, elle, a dit ça : « J'ai l'impression que l'on est des prisonniers, qu'on est des criminels. Pour le moindre mouvement, il faut demander la permission, alors qu'on est testés tous les jours, qu'on a eu trente tests négatifs ! C'est abominable. Les conditions sont atroces et si j'avais su que jouer quarante minutes aux cartes avec un joueur testé positif, mais finalement négatif, aurait entraîné ces conséquences, je n'aurais jamais mis les pieds dans ce tournoi. Je ne sais pas quoi vous dire, on vit un cauchemar. On est impuissants et on ne fait que subir, on a le droit de ne rien faire, on est prisonniers de tout. »
Sacré contraste entre les deux témoignages. Certes, l'un a gagné en 3 sets et l'autre s'est effondrée après avoir eu 4 balles de match, mais là, je pense qu'il est temps de voir « the big picture » comme y disent. Nous vivons une situation totalement exceptionnelle. C'est de l'inédit absolu. Le preuve est que nous ne savons pas vraiment encore comment la gérer. Je vous rappelle qu'en début d'épidémie, on nous disait que les masques ne servaient à rien... Forcément aujourd'hui, dans le doute, car nous y sommes bien (mais alors vraiment, vraiment bien), on ne prend plus aucun risque. Et aux Etats-Unis, lorsqu'ils ne prennent aucun risque, ils NE PRENNENT AUCUN RISQUE ! Ils ne sont pas comme nous. Il n'y a pas de « Bon ça va, y a personne là, tu peux y aller mais fais vite stp ». La demi-mesure n'existe pas dans ce pays. C'est leur côté suisse-allemand ! En même temps, ce n'est pas la première fois que Kristina met les pieds sur le sol américain. Elle sait parfaitement comment ils sont. Elle, comme tous ceux qui sont partis à New-York, étaient conscient qu'il y avait un risque. Et que ce risque aurait donc lieu in the USA.
C'est pourquoi je trouve les mots de Manna d'une grande sagesse. C'est dit avec philosophie. A contrario, concernant « Mladé », je rejoins Andy Roddick :
Prisoners/criminals don’t get a chance to play sport/2nd rounds for 6 figures in prize money. Safety protocols are the only reason there’s the chance for players/fans to enjoy the Open. Unfortunately perspective is seriously lacking w this take. https://t.co/RFWvEkt0Ia
— andyroddick (@andyroddick) September 3, 2020
« Les criminels n'ont pas la chance de faire du sport et de toucher un prize money à 6 chiffres. Les protocoles de sécurité sont la seule raison grâce à laquelle les joueurs/fans peuvent profiter de l'US Open. Malheureusement, cette interprétation manque cruellement de recul ».
Je suis a priori certain que Kristina n'a aucune idée du quotidien carcéral et je suis encore plus certain qu'il ne ressemble en rien à une surveillance d'un joueur de tennis professionnel qui participe à un Grand Chelem.
Evidemment que ce n'est pas drôle. Evidemment que voir les autres aller et venir comme ils le souhaitent est terriblement frustrant, mais il faut faire avec et il va certainement falloir faire avec pendant un certain temps.
L'alternative : rester chez soi.