Il y a 90 ans, le match du siècle entre Lenglen et Wills

22 sept. 2016 à 00:00:00

Bien avant d’accueillir les stars du cinéma, le Carlton de Cannes a été le théâtre en 1926 du choc tant attendu entre la meilleure joueuse européenne, Suzanne Lenglen, et sa rivale américaine : Helen Wills.

En 1926 sur un court de l’hôtel Carlton à Cannes, se déroula l’un des matchs les plus mythiques de l’histoire du tennis féminin : la seule confrontation entre les deux stars de l’entre-deux-guerres, Suzanne Lenglen et Helen Wills, suivi par un aréopage de têtes couronnées et de stars de l’époque.

 

L’année 1926 correspond à un âge d’or de ce qui sera plus tard appelé « les années folles », cette époque bénie où furent célébrés bruyamment un nouvel art de vivre et des courants de pensée tels que le positivisme, l’utopisme, l’individualisme et la jouissance. C’était aussi l’émergence du dadaïsme, du surréalisme, de l’art déco, l’apogée du cinéma muet, le triomphe de la Revue Nègre au théâtre des Champs Elysées avec Joséphine Baker et Sydney Bechet. Les têtes d’affiche de ce temps béni avaient pour nom Mistinguett, Maurice Chevalier, Dali, Picasso, Miro, Man Ray, Aragon ou André Breton. Un bouillonnement culturel et artistique sans commune mesure, au cours duquel le sport vécut aussi sa révolution, sortant du carcan élitiste et confidentiel dans lequel il était confiné jusqu’alors pour conquérir les classes populaires. En ce début d’année 1926, la sportive la plus en vue, en France mais aussi en Grande-Bretagne, s’appelle Suzanne Lenglen. Preuve de sa notoriété, elle est affublée d’un surnom, et pas n’importe lequel : « la Divine ». Une championne hors du commun autant qu’une élégante charismatique et fort en caractère. Entre 1919 et 1925, elle remporte cinq fois les Internationaux de France et six fois Wimbledon, remportant tous les tournois auxquels elle participe avec une grande facilité et beaucoup d’élégance. Elle fait passer le tennis féminin dans une nouvelle ère, avec des coups frappés forts et justes, un déplacement jamais vu sur le court grâce notamment à de nouvelles tenues plus courtes, dont la fameuse jupe en soie s’arrêtant aux genoux. En ce début d’année 1926, donc, Suzanne Lenglen est la star du tennis féminin. On la dit imbattable. Il faut vérifier cette affirmation. C’est alors qu’est décidée d’organiser une sorte de finale mondiale sur un seul match entre celle qui domine le circuit européen depuis plusieurs années et une certaine Helen Wills, qui commence à tout gagner chez elle aux Etats-Unis.

 

Rois, comtes, barons et maharadjas

 

Wills est la valeur montante quand Lenglen est au sommet de sa gloire. Plus de six ans séparent les deux championnes mais l’Américaine, âgée alors de seulement 20 ans, a depuis longtemps déjà commencé à se constituer un impressionnant palmarès. Elle a notamment remporté les trois dernières éditions de l’US National, l’ancêtre de l’US Open. A l’époque, les voyages d’un continent à l’autre sont plus compliqués : Lenglen n’ira jamais défier les Américaines chez elles, Wills ne fera que tardivement les allers-retours entre les deux côtés de l’Atlantique. Pour qu’elles se rencontrent, il faut provoquer l’événement. Ce sont deux joueurs du circuit masculin qui jouent les promoteurs, le Suisse Charles Aeschlimann et le Néo-zélandais Francis Fisher. Ils parviennent à caler une date, le 16 février 1926, et un lieu, le Carlton à Cannes, sur la Riviera, où réside Aeschlimann Le court de tennis principal de l’hôtel cannois servira de cadre à cette rencontre exceptionnelle. Les billets mis en vente pour assister au spectacle s’arrachent à prix d’or et en quelques heures. Parmi les 3 000 à 4 000 spectateurs officiellement recensés en tribune, quelques têtes couronnées et grands de ce monde : Georges prince de Grèce, l’ex-Manuel II, dernier roi du Portugal, les ducs de Westminster et du Connaught, le prétendant au trône de Russie Cyrille 1er, le roi de Suède Gustave V, des barons, un maharadjah… Des curieux sans billet montent sur les toits des bâtiments voisins pour apercevoir les deux championnes. Elles arrivent à 11h, avec évidemment des encouragements plus nourris pour la Parisienne Suzanne Lenglen, entraînée depuis son adolescence du côté de Nice, non loin. Lenglen contre Wills, bandeau contre visière, expérience contre fougue : le « match du siècle », comme l’appellent les nombreux journalistes présents sur place – y compris des représentants de la presse étrangère – est prêt à démarrer.

 

Confusion de l’arbitre et nervosité de Lenglen

 

Il est 11h20 quand les premiers échanges ont lieu. Favorite, Lenglen prend l’avantage dès l’entame mais sa jeune adversaire s’accroche. Etonnamment, c’est la Française qui semble la plus nerveuse des deux. La pression est énorme pour elle face à une Californienne toute jeune mais remarquable de sang-froid. La Divine breake, se fait débreaker, re-breake pour finalement enlever le premier set 6/3. En bord de court, à l’amorce de ce second set, Lenglen s’agite néanmoins. Elle boit un peu d’eau, peut-être un peu de cognac comme elle en a pris l’habitude depuis le début de sa carrière, tandis que Wills reste en place, choisit de ne pas se ravitailler et d’attendre patiemment la reprise. Coup de bluff ? Toujours est-il que la seconde manche est plus disputée encore. A 6/5 en sa faveur, Lenglen croit à un dernier coup gagnant mais l’arbitre George Simond se désiste et donne la balle faute. Dans la confusion, Wills égalise à 6 partout. Un sursis néanmoins : dans un dernier effort, la favorite finit par donner raison aux pronostiqueurs et enlève le second set 8/6 en même temps que la victoire finale, après très exactement 59 minutes de jeu. Paradoxalement pourtant, ce succès de la Française est aussi son chant du cygne. Toujours gagnée par la nervosité et la dépression, elle se retrouve quelques mois plus tard au cœur d’une polémique à Wimbledon en refusant de disputer un match pour protester contre un changement de planning, malgré la présence en loge de la reine Mary, épouse de George V. Crime de lèse-majesté et courroux du public ! Face à cette situation inextricable, elle choisit de mettre un terme à sa carrière amateur et quitte un circuit que va dominer pendant plusieurs années Helen Wills, son adversaire d’un seul jour sous le soleil cannois.

 

 

Par Régis Delanoë

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