Le come-back raté de Björn Borg à Monte-Carlo

16 avr. 2014 à 00:00:00

Cette semaine se déroule le Masters de Monte-Carlo. L’occasion de revenir sur un double épisode culte de la compétition : la retraite anticipée de Björn Borg, à seulement 26 ans, et son come-back sept ans plus tard, au même endroit.

Cette semaine se déroule le Masters 1000 ATP de Monte-Carlo. L’occasion de revenir sur un double épisode culte de la compétition : la retraite anticipée de Björn Borg, à seulement 26 ans, et son come-back sept ans plus tard. Deux évènements survenus au même endroit, à l’occasion du tournoi monégasque. Hasard ou coïncidence ?  

 

« Par moments, j’avais l’impression qu’il s’en moquait, qu’il voulait quitter rapidement le court. Il a sans doute fait plus d’erreurs dans ce match que pendant une année entière. Il montait n’importe comment, il servait avec deux balles dans la main ». Ancien demi-finaliste de Roland-Garros, l’Américain Dick Stockton n’est pas ce que l’on appelle un foudre de guerre. Pourtant, en 1982, ce vieux joueur sur le déclin peut s’enorgueillir d’avoir sèchement vaincu Björn Borg, champion le plus titré des seventies, lors des qualifications du tournoi de Las Vegas. De la « Machine » ou « l'Extraterrestre », comme le surnommait Ilie Nastase, il ne reste plus grand chose. « Il a encaissé cette défaite comme on prend une claque dans la gueule, écrit le Roumain dans son livre Tie-Break. Il commençait aussi à être fatigué de la vie ultra sérieuse qu’il menait depuis près de dix ans. Il s’était mis à sortir avec nous, Vitas Gerulaitis et moi, et se couchait tard, dansait, buvait ». Après cette défaite, vécue comme une humiliation, Borg ne rejoue plus un match de l’année et annonce, début 1983, sa retraite sportive à seulement 26 ans. « Je renonce à la compétition. J’ai perdu toute motivation. Je ne peux plus me consacrer au tennis à 100% », lit-on sur une dépêche d’agence de presse qui fait le tour des rédactions. Un sentiment de très courte durée puisqu’un mois seulement après l’annonce de son départ, Borg diffère soudainement la date fatidique de sa retraite et choisit Monte-Carlo pour faire ses adieux. Définitifs ? Pas vraiment : l’année suivante, en 1984, il tente un come-back au tournoi de Stuttgart. Problème, un joueur français plein d’avenir d’à peine 19 ans, Henri Leconte, vient gâcher la fête en s’imposant face au Suédois. Quelques jours plus tard, sur le Rocher, rebelote. Leurs chemins se croisent et l’histoire se répète. Leconte devient alors le 70ème et dernier joueur à battre « Ice Man » : « Je sais bien que ce n’était pas le Borg d’il y a deux ans. Mais battre Borg pour son dernier match, c’était quelque chose de fantastique pour moi. D’ailleurs, j’ai la cassette, je me la repasserai quand j’aurai 35-40 ans ».

 

« Cocaïnomane, violent et suicidaire »

 

Tout jeune retraité de 26 ans, rappelons-le, Borg ne compte pas gaspiller son temps libre en se prélassant sur les plages monégasques, où il possède désormais un appartement. Son objectif ? « Faire des affaires, rembobine-t-il en 2011 dans une interview pour l’Express. La mode m'a toujours intéressé. Lorsque j'étais tennisman, je m'habillais en Fila, parce que j'appréciais la coupe de leurs vêtements, slim, près du corps. Quand j'ai arrêté ma carrière, j'ai été l'un des premiers sportifs à lancer une ligne de vêtements. Et ça a démarré très fort : nos produits se vendaient très bien. Hélas! J’avais confié la direction de l'entreprise à des copains que je croyais honnêtes et loyaux, mais qui n'ont rien trouvé de mieux à faire que de m'arnaquer. La seule chose qui les intéressait, c'était de profiter de ma notoriété pour devenir riches et célèbres. Mais ils ont échoué : après quelques années, la boîte a été déclarée en faillite ». Fin des années 80, Borg est pour ainsi dire ruiné. Ses créanciers et le fisc suédois ne le lâchent pas d’une semelle. Accroc au jeu, sa première résolution est alors de se faire interdire l’entrée des casinos européens (mais pas des américains). Il vend ensuite son jet privé qui lui servait, justement, à fréquenter les machines à sous, et pense trouver calme et volupté dans les bras de la chanteuse italienne Loredana Berté, sa seconde épouse. « C’est sans doute le plus gentil tennisman que j’ai connu, et certaines femmes repèrent ça très vite, se souvient Jean-Paul Loth. Elles aussi l’ont bien plumé ! » Après seulement 20 mois de mariage, la diva demande ainsi le divorce, récupère une indemnité compensatoire et traite publiquement son ex-mari de « cocaïnomane violent et suicidaire ». Suicidaire ? C’est en tout cas ce que laisse entendre plusieurs journaux en juin 1990, lorsque l’ancien sportif est hospitalisé en pleine nuit. Une version de l’histoire contestée par l’intéressé, qui prétexte ce soir-là une intoxication alimentaire : « Une fois retraité, j'ai découvert la vraie vie. Depuis l'âge de 14 ans, la mienne consistait à s'entraîner, manger, jouer, dormir. Je me suis lancé dans le monde avec l'envie d'apprendre et d'essayer différentes choses. J'ai commis plein d'erreurs, mais je ne regrette rien. C'était ma période d'apprentissage : j'ai échoué dans le business, j'ai connu des revers sentimentaux... La presse adorait cela. Plus je me trompais, plus elle s’en délectait ».

 

« Comme aller en Irak avec une carabine »

 

« Ma période d’apprentissage », comme il dit, prend fin au début des nineties lorsque l’élève décide finalement de redoubler. Une reprise d’études, 34 ans, et un come-back inattendu sur les courts, en avril 1991, à l’occasion du tournoi de… Monte-Carlo. Là même où la légende sportive s’est éteinte sept ans plus tôt. La raison ? « Je voulais simplement jouer au tennis à nouveau car après ma retraite, je n’ai pas beaucoup couru pendant sept ou huit ans », note-t-il en 2007 dans le Guardian. Pour son match de premier tour, les organisateurs lui programment un retour sur le Central du Country Club. Le tirage au sort lui réserve l’Espagnol Jordi Arrese comme adversaire. La silhouette blonde du Suédois est intacte. Le bandeau est le même, ou presque. La raquette Donnay en bois est toujours là, alors que majorité des joueurs utilisent désormais des raquettes en graphite, plus légères et maniables. Lennart Bergelin, son entraineur historique, se souvient : « Il transportait pour le tournoi une douzaine de veilles raquettes, pleines de poussières, tout droit sorties de son placard. Jouer avec une raquette en bois en 1991, c’était comme aller en Irak avec une carabine ». La guerre n’aura d’ailleurs pas lieu. Jordi Arrese sanctionne son opposant en deux petits sets et 1h28 de jeu. Si ce revival trouve naissance dans le sentiment de nostalgie de Borg, à l’arrivée, il apporte surtout la preuve que le tennis s’est transformé entre 1984 et 1991. « On a tous envie de jouer Borg, car c’est l’assurance de passer au premier tour », lance même, cynique mais honnête, le Sud-Africain Wayne Ferreira. Le retour du roi est un fiasco total : 13 tournois, 13 matchs, 13 défaites au premier tour pour un seul set gagné : « Je n’ai jamais vraiment compris moi-même pourquoi je suis revenu. Je suis arrivé sans aucun entrainement, aucune condition physique. Avec le recul, c’était de la folie ». Bien sûr, l’explication la plus plausible reste celle de l’argent. Ou plutôt des gains potentiels et confortables que promet alors le tennis moderne, et qui lui auraient permis de rassurer ses quelques créanciers. Chose faite fin des nineties, quand il relance la marque Björn Borg « avec, cette fois, des partenaires sérieux » : « Au début des années 2000, j'ai vendu l'intégralité de mes actions pour 13,5 millions d'euros. Par ailleurs, je perçois un certain pourcentage des bénéfices, et ce jusqu'en 2016. C'est un bon deal qui me permet largement d'assurer le bien-être de mes proches ». En 2006, bien que rassuré financièrement, Borg tente un dernier coup de fric en mettant aux enchères ses raquettes et tous ses trophées. Histoire d’éponger quelques dettes persistantes ? « Non, après avoir donné toutes mes raquettes dont certaines à des œuvres caritatives, je me suis dit que j'allais également me séparer de mes coupes. Quand j'ai vu que cela choquait les gens, j'ai racheté dare-dare - et assez cher - mes coupes à la maison Bonhams, qui s'apprêtait à les mettre en vente », assure-t-il. Avant de relativiser, comme toujours : « J’ai fait une connerie, une de plus. Mais ce qui aurait été étonnant, c'est qu'après avoir été le meilleur au tennis, je connaisse la même réussite dans tous les domaines, non ? »

 

Par Victor Le Grand

Avantages

Découvrez les avantages WE ARE TENNIS

En savoir plus