Comment est né l'univers, qui de l'œuf ou la poule est arrivé en premier, qui est le G.O.A.T. du tennis ? Pour Richard Gasquet, Rafael Nadal, c'est ça : un casse-tête insoluble. Face à l'Espagnol, le Français affiche un bilan de 16 défaites pour 0 victoire. Pis, son dernier set gagné contre le gaucher des Baléares remonte à 2008. Une époque où Blackberry dominait Apple sur le marché du smartphone. Pourtant, à leurs débuts sur le circuit principal, les premiers duels ne semblent pas dessiner les contours d'une domination aussi écrasante. En 2005, à Monte-Carlo, Gasquet est même proche de terrasser le futur ogre de l'ocre.
"C'était très dur, j'étais un peu nerveux parce que j'ai servi pour le premier set à 5/4 puis 6/5 et je me suis finalement retrouvé mené 7/6 2/0, explique le joueur au pantacourt après le match. Mais il (Gasquet) a raté quelques balles et j'ai pu revenir." Parmi ces "quelques balles" : l'occasion de mener 3/1. À son aise dans l'échange, le Biterrois de naissance déborde son adversaire et s’offre l’opportunité de finir long de ligne avec son revers à une main, une de ses spécialités. Mais la frappe est "tendre". Trop au centre. Pas assez appuyée. C'est une remise, pas une attaque. Il perd l'échange, et son break d'avance dans la foulée.
Malgré un deuxième set accroché et un gros début de troisième Gasquet, fatigué, finit par s'incliner 6/7 6/4 6/3. Jamais il ne bousculera à nouveau Nadal de la sorte. Telle est notre réalité. Alors, curieux et muni du générateur de portail dimensionnel de Rick et Morty, j'ai pu explorer un univers alternatif. Un monde parallèle où Gasquet a lâché son fameux revers long de ligne.
Gasquet, 18 ans, vient de remporter deux tournois Challenger de suite. Passé par les qualifications sur le Rocher, il reste sur 16 victoires consécutives. Pour se frayer un chemin jusqu'en demi-finale, le 101e mondial écarte notamment Nikolay Davydenko puis Roger Federer en quart. Vainqueur du Suisse 10-8 au jeu décisif de l'ultime manche, il inflige au patron du circuit sa deuxième défaite, seulement, de la saison. "Richie" est en pleine confiance. Opposé à "Rafa", 18 printemps également mais déjà 17e au classement ATP et récent finaliste à Miami, il mène 7/6 2/1 avantage sur son service.
BAM ! La gifle de revers est violente. Elle a le son du tonnerre. Telle la foudre qui fend le ciel, elle fuse le long de la ligne pour s'abattre sur le "Taureau de Manacor". Cette banderille lui fait mal. Très mal. Il ne parvient pas à recoller. Quelques minutes plus tôt, il servait pour empocher le round initial et le voilà mené 7/6 3/1. Gasquet, lui, est sur un nuage. Retours-amortis, revers dans tous les coins, coups droits percutants, volées imparables... Il fait la pluie et le beau temps sur le court. Au point d'éclipser l'étoile montante de la terre battue. Conservant son break jusqu'au bout, il s'impose 7/6 6/4.
En finale, le chouchou du public affronte Guillermo Coria. Le "petit Mozart" livre un récital. Sans commettre la moindre fausse note, il mène l'Argentin à la baguette pendant trois actes entiers... à un point près. Dans le tie-break du troisième, Gasquet manque une balle de titre. Ou plutôt, son adversaire la sauve. D'un incroyable passing-tweener qui se faufile entre le perchoir de l'arbitre et le poteau du filet pour finir sa course dans la "lucarne". Les finales se jouant alors en trois sets gagnants, le prodige français, lessivé par sa série de 18 joutes en un mois, finit par s'incliner. 2/6 3/6 7/6 6/2 6/1.
"Oui, j'ai en quelque sorte marché sur l'eau pendant trois sets, acquiesce Gasquet en conférence de presse. Mais au dernier moment, il s'est mué en Moïse pour écarter les eaux et me faire tomber en réussissant le coup du siècle. Je n'ai aucun regret, j'ai fait ce qu'il fallait, bravo à lui. Après, physiquement, j'étais cuit." Quant à Coria, il exorcise le traumatisme du douloureux Roland-Garros 2004, où, après une lutte épique face à Gaston Gaudio, le trophée lui échappe en dépit de deux balles de match. De quoi se mettre dans de bonnes dispositions mentales à quelques semaines de l’évènement parisien.
Un mois plus tard, comme dans notre réalité, Nadal et Gasquet se retrouvent sur le Central de la porte d'Auteuil. Cette fois, grâce à leur dernier affrontement, le Tricolore a un léger ascendant psychologique. Il le sait, il est capable de faire plier le Majorquin. Offensif, il bondit sur la moindre opportunité d'accélérer et finir au filet. Richard, cœur de lion, vainc le taureau en 4 h 30 et retarde le début de son règne sur Roland. Épuisé par l'âpre corrida, il se fait cependant dompter dès le tour suivant. En fin de quinzaine, Corria, qui a définitivement enterré ses démons à Monaco, fait mouche en soulevant la Coupe des Mousquetaires. Enfin.
Les années passent. "Richie" et "Rafa" se dominent tour à tour. En 2013, quand leurs routes se croisent en demi-finale de l'US Open - à l'instar de notre réalité -, le face-à-face affiche 5 victoires chacun. Sur le dur de New York, Gasquet passe l'obstacle en quatre manches. Le surlendemain, il prend une autre dimension en devenant le premier homme français sacré en Grand Chelem depuis Yannick Noah. Les saisons suivantes, il s'offre l'Open d'Australie et Wimbledon. Seul "RG" lui résiste. C'est un casse-tête qui torture ses méninges et lui donne des maux de ventre. Jamais il n'y trouvera la solution pour enchaîner les matchs sur une surface où la répétition des efforts, a fortiori en trois sets gagnants, peut le faire physiquement dégoupiller jusqu'à en dégobiller.