Figure de l'autorité sur le court, l'arbitre doit parfois faire face à de jeunes rebelles aux cheveux longs. Pas du genre cool, à chevaucher une Harley-Davidson pour mener la vie dure aux méchants comme ce personnage interprété par Lorenzo Lamas. Non. Plutôt des enquiquineurs révoltés et colériques, façon John McEnroe. Un caractériel face auquel "Pascal le grand frère" en personne serait sans doute resté impuissant. "Quand j'entre sur le terrain, je deviens fou, expliqua un jour l'Américain. Quelque chose s'empare de moi." Perfectionnisme poussé à la folie, il ne supporte pas l'erreur. Pas plus les siennes que celles des arbitres.
Parmi ses nombreuses explosions où tout ce qui se trouvait devant sa vue pouvait voler en éclats, celle qu'il regrette le plus a eu lieu à Stockholm en 1984. "Un juge de ligne a fait une annonce qui me semblait mauvaise, a-t-il détaillé dans une interview. Je suis devenu cinglé. J'ai fini par éclater une bouteille de soda avec ma raquette, tout a fini sur le roi de Suède qui était assis juste derrière." En réalité, pièce ajoutée à l'échiquier pour rendre l'histoire encore un peu plus cavalière, sa majesté Charles XVI Gustave n'assistait pas à la rencontre. Peut-être savait-il qu'il était bien trop risqué d'être aux premières loges d'un spectacle de McEnroe à une époque où le Hawk-Eye n'était pas là pour tirer les choses au clair.
Telle est notre réalité. Muni du générateur de vortex de Sliders : les mondes parallèles et curieux de savoir si l'enfant terrible de New York aurait pu être calmé avec la vidéo, je suis allé en découvrir une autre. Un univers alternatif où le challenge existe depuis les années 1970.
Dans ce monde parallèle, la technologie est en avance. Dès le temps du disco et des pantalons "pattes d'eph'", le Hawk-Eye est aussi évolué que celui que nous connaissons. "Johnny Mac", lui, reste la même cocotte minute dont le court est la plaque de cuisson. Dès qu'il y met les pieds, sa bouche se transforme en soupape prête à cracher sa furie pour évacuer la pression quand la température monte. Vidéo ou non, il ne se prive pas de déverser ses vagues de "mots colorés" sur des officiels qui peinent parfois à attraper la bouée de sauvetage. Parce que le bougre a besoin de ça. Souvent, la rogne lui permet même d'élever son niveau.
"Quand quelque chose comme ça arrivait, la plupart du temps, il commençait à mieux jouer, raconte Anders Järryd, battu par McEnroe lors du fameux match de Stockholm 1984. Les autres joueurs se seraient complètement écroulés, mais pas lui. Jamais. Il devenait encore plus dangereux." À l'instar de notre monde, McEnroe domine le Suédois - et soulève même le trophée quelques jours plus tard - malgré point et jeu de pénalité. Après le fameux "Réponds à ma question ! La question, abruti !" adressé à Leif Ake Nilsson, ici, il poursuit en tempêtant contre la machine. D'un geste commandé par la rage, il envoie sa raquette briser l'écran géant diffusant cette reconstitution qui lui donne tort.
"C'est difficile de jouer contre quelqu'un qui se comporte comme McEnroe", commente Järryd, ancien n° 5 mondial. Mais le New-Yorkais ne peut s'en empêcher. Il éprouve toujours l'irrépressible besoin de fulminer. Que le Haw-Eye soit de son côté ou non, d'ailleurs. Au premier tour de Wimbledon 1981, il affronte l'un des jumeaux Gullikson. Tom, le gaucher. Après un service annoncé "Out !" en dépit d'un nuage de chaux se soulevant sous l'impact de la balle, il fait résonner son célèbre "You cannot be serious !" tout en levant le doigt pour utiliser un challenge. Bien vu . Ace. Pourtant, le joueur à la prise unique ne décolère pas et continue à passer ses nerfs sur l'homme perché.
- Tu es complètement inutile ! On devrait laisser le Hawk-Eye tout faire à ta place ! Si je te dis qu'un bâton avec des lunettes jugerait mieux les balles qu'un crétin comme toi, tu me sanctionnes ?
- Oui.
- Et si je ne le dis pas mais que je le pense très fort, je suis sanctionné ?
- Non.
- Alors sache que je le pense très fort... Abruti !
Sournoisement malin, mais pas jusqu'au bout. Le dernier mot est de trop. Punition pour le "sale gosse". Mais qu'importe. Comme dans notre univers, il s'impose tranquillement et soulève le trophée en fin de quinzaine. Premier homme de l'histoire disqualifié en Grand Chelem, John McEnroe est immuable. La mise en place du Haw-Eye ne change rien à sa personnalité volcanique. Elle lui permet seulement de se déchaîner contre un élément supplémentaire, de se fabriquer un adversaire de plus. Sans doute une façon inconsciente de se sentir plus puissant : à en croire Montaigne, "la valeur d'un homme se mesure au nombre de ses ennemis." Invincible, Le Rebelle avait en effet énormément d'ennemis.