Federer, Djokovic, Murray, Berdych : ce sont les têtes d’affiche de l’ATP500 de Dubaï disputé cette semaine. Il y a deux décennies de cela, tout le circuit oscillait pourtant entre désintérêt et scepticisme quand le tournoi émirati est sorti de terre. Tout le circuit ? Non. Un petit Gaulois et un grand Tchèque curieux se souviennent…
Février 1993. L’Open d’Australie s’achève par la victoire du numéro 1 mondial Jim Courier sur le numéro 2 Stefan Edberg. Comme d’habitude, la caravane de l’ATP emprunte dans la foulée des routes différentes, une en indoor, en Europe, (Marseille, Milan, Rotterdam), l’autre sur dur extérieur, aux Etats-Unis (San Francisco, Memphis), les deux devant se rejoindre en mars du côté d’Indian Wells. Mais le calendrier 1993 offre aussi une troisième voie aux joueurs professionnels. Une nouveauté des plus exotiques : une tournée dans le Golfe persique, à Dubaï puis Doha. Karel Novacek, premier vainqueur du tournoi émirati, se souvient : « Il faut bien voir que c’était complètement exceptionnel. Aujourd’hui, les Emirats et le Qatar sont présents partout dans le sport. Mais à l’époque, on ne leur connaissait pas la moindre tradition sportive. Ce tournoi sortait de nulle part. Personne ne savait trop à quoi s’attendre en arrivant là-bas. »
Malgré une dotation globale d’un million de dollars – seuls les Grands Chelems et certains des futurs Masters 1000 offrent plus – les meilleurs ne se sentent d’ailleurs pas une âme de défricheurs : sur la ligne de départ, la tête de série n°1 est le Russe Alexander Volkov, n°17 mondial, suivie de Thomas Muster, n°18, et Novacek, n°23. Le Tchèque lui-même ne fait le déplacement aux Emirats qu’en raison des circonstances : « J’avais raté la tournée australienne à cause d’une blessure. Je n’avais donc pas encore fait de long voyage et, tant qu’à connaître une entame d’année inhabituelle, je m’étais dit : ‘OK, il y a un tournoi qui se crée aux Emirats, allons voir à quoi ça ressemble’. »
Faute d’expérience du sport de haut niveau, les organisateurs ont en revanche celle de l’hospitalité et du luxe : « Ils avaient mis les petits plats dans les grands pour nous accueillir à l’Aviation’s club de Dubaï. Et puis ils avaient réservé des moments dans la journée pour nous faire visiter la ville. Vraiment, ils avaient fait ce qu’il fallait pour que l’on parle en bien du tournoi aux collègues du circuit ! C’était déjà spectaculaire et on sentait toute leur ambition de devenir un Etat qui compte à l’international. J’imagine que c’est devenu encore plus démesuré… Je n’y suis pas retourné depuis 1996. Je ne sais même pas si je reconnaîtrais Dubaï aujourd’hui ! »
La tempête de sable et le président du PSG
Sur le terrain, les qualifications sont l’occasion de découvrir deux noms appelés à revenir souvent dans les plus grands tableaux : Younès El Aynaoui et surtout un jeune Russe prometteur, Ievgueni Kafelnikov. On y croise aussi le meilleur représentant du Qatar voisin, un certain Nasser-Ghanim Al-Khelaïfi, laminé au premier tour 6/0 6/0… et avec lequel les supporters du Paris-Saint-Germain feront connaissance deux décennies plus tard.
En attendant, cette première semaine de tennis dans le Golfe se déroule sans accroc majeur. « Il y a eu une grande tempête de sable le lundi ou le mardi, mais ça n’a pas duré assez longtemps pour perturber le tournoi, se rappelle Novacek. Il y avait un peu de monde dans les gradins. Pas la grande foule, mais quand même. » Notamment vainqueur de Muster, le Tchèque est présent à l’affiche de la finale. Il affronte Fabrice Santoro, 39e mondial et tombeur de Volkov en quarts. Si le Français a choisi de s’aligner à Dubaï, c’est lui aussi au départ « pour voir à quoi ça ressemble » : « Il y a vingt ans, personne n’était capable de placer Dubaï sur une carte. Cela m’intriguait. Et puis pour être franc, quand j’ai fait mon inscription en novembre ou décembre 1992, je me doutais bien que la plupart des joueurs n’auraient pas la même curiosité et que la densité du tableau s’en ressentirait ! »
Pari payant donc : à Dubaï, Santoro atteint sa deuxième finale en carrière. Mais c’est bien Novacek, valeur sûre du circuit, déjà passé par le Top 10, qui ouvre le palmarès de l’épreuve, son 11e titre ATP. Il empoche un joli chèque d’un montant de 143 000$ – en comparaison, il atteindra la finale de Rotterdam, autrement plus relevée, deux semaines plus tard, et y empochera… 48 000$ – et le fameux bateau, toutes voiles dehors, qui deviendra le trophée emblématique du tournoi. C’est encore à Dubaï, trois ans plus tard, que Novacek gagnera le dernier match de sa carrière, peu de temps avant de prendre sa retraite.
La résidence secondaire de Federer
Santoro aussi sera fidèle au rendez-vous jusqu’à la fin de sa carrière, d’une longévité hors normes, en 2010. Idéalement placé donc pour en commenter l’évolution : « Passé le doute des premières années, Dubaï est progressivement devenu un tournoi très côté auprès des joueurs. Même quand je l’ai gagné, en 2002, il n’y avait pas encore la moitié du Top 10 qui s’y alignait comme c’est le cas maintenant. Le tournoi n’a cessé de grandir : ils ont construit un nouveau stade beaucoup plus grand que le premier. A l’image de la ville, en fait : à chaque fois que j’y suis revenu ces vingt dernières années, j’ai vu une ville différente de celle que j’avais quittée l’année d’avant, toujours plus grande, plus haute, plus spectaculaire. »
Et avec des ambassadeurs toujours plus prestigieux : dès la deuxième édition, en 1994, les organisateurs attirent leur premier vainqueur en Grand Chelem, le tenant du titre de Roland-Garros Sergi Bruguera. Bien d’autres suivront : Lendl, Becker, Courier, Muster et Kafelnikov – tous deux auréolés cette fois d’un statut de champions du Grand Chelem –, Rafter, Moya, Kuerten, Safin… Devant cette spectaculaire prise d’ampleur de leur plateau, les organisateurs s’offrent son pendant féminin en 2001, avec Hingis, Mauresmo, Davenport, Hénin ou Venus Williams pour lauréates.
Entretemps, côté garçons, un certain Roger Federer s’est invité au palmarès en 2003, pour son 6e titre professionnel. Nul ne sait qu’il vient alors d’ouvrir une résidence secondaire à Dubaï, tournoi qu’il remportera à six reprises au total… et où il y élira physiquement domicile l’hiver, pour son bloc de préparation foncier avant les grandes échéances de terre battue et de gazon. L’un des plus grands champions de l’histoire choisissant les Emirats Arabes Unis pour camp de base : un tel scenario, même les visionnaires de la première heure Novacek et Santoro n’auraient pu l’imaginer.