Alors que l’Open 13 de Marseille a ouvert ses courts depuis lundi, la situation des tournois ATP 250 ne cesse de se dégrader édition après édition, sclérosée par un système qui pousserait les joueurs à favoriser les Masters 1000 et ATP 500. Pourquoi ? Comment ? Tentative de réponse, avant les premiers forfaits de dernière minute.
Tomas Berdych, Gaël Monfils et Milos Raonic en 2014 ; Rafael Nadal, Andy Murray ou encore Juan Martin Del Potro dans un passé récent. Six grands noms du tennis mondial à mettre dans un même sac, celui des forfaits de dernière minute dont a été victime l’Open 13 de Marseille, tournoi ATP 250 qui a débuté ce lundi. « Dans les tournois ATP 250, la moyenne est de cinq ou six retraits, c’est comme ça, nous explique froidement Jean-François Caujolle, son directeur. L’évènement marseillais ne déroge donc pas à la règle. « Quand c’est une pipe, ce n’est pas gênant. Quand ce sont des têtes d’affiche, ça devient plus embêtant ». Mais comment expliquer une telle série de désistements ? La réponse se trouve dans le règlement officiel. Pour s’assurer de leur présence, il existe une règle qui stipule que les joueurs les mieux classés ont pour obligation de participer à huit Masters 1000 sur neuf, Monte-Carlo étant un cas à part, ainsi qu’à quatre tournois ATP 500 sur onze par saison. En revanche, rien n’est imposé vis-à-vis des tournois ATP 250. Pis, chaque joueur peut se retirer deux fois par an d’un 250 en faisant jouer sa « personal reason », c’est-à-dire sans aucune justification. « Un joueur déprimé après une séparation avec sa fiancée, veut faire un break, il peut annuler, même s’il s’était engagé à venir depuis un an… Contre ça, je ne peux rien, souffle Caujolle. C’est comme si on vous offrait une place pour un concert de U2 et que tout le groupe était sur scène sauf Bono ».
En septembre dernier, Julien Boutter, directeur de l’Open de Moselle, y va même de son coup de gueule et dénonce « l'impunité des joueurs dans les tournois ATP 250 ». La raison ? La veille du début de l’édition 2014, il reçoit un mail de Stanislas Wawrinka. Lequel dit en substance : « Je suis fatigué, merci de me retirer, je ne viens pas à Metz ». Julien Boutter, réagissant à chaud, se dit alors « extrêmement déçu et en colère », évoque une question de « respect et d’honnêteté intellectuelle » et assure même « en vouloir » au Suisse. Avant de conclure : « Allez demander à Stan s’il y a quelques années, il s’en foutait des 250 ». Aujourd’hui, l’homme semble avoir ravalé sa colère, lui qui avait pourtant placé le dossier entre les mains d’avocats pour établir un éventuel préjudice financier. « Nous avons réagi à chaud, nous n’allons pas en rajouter, pondère-t-il. De toute manière, c’est chaque année la même histoire. Sur cette édition, à cause principalement des blessures, on avait perdu sept têtes de séries. On nous avait critiqués en disant qu’on faisait de la publicité mensongère. L’année d’après, ça s’est ressenti sur la billetterie ». Avec ses quatre salariées à l’année et son budget de 3,5 millions d’euros, Julien Bouter soutient en effet que le tournoi 250 « est l’équation la plus compliquée du tennis ». Il s’explique : « On est propriétaires, ça engendre des coûts que nous ne sommes pas certains de compenser avec les sponsors, ceux-ci préférant se concentrer vers les plus gros tournois. C’est une économie au millimètre, heureusement qu’on bénéficie d’un gros ancrage local, qu’on est des passionnés, des amoureux du tennis. C’est presque du mécénat ce que l’on fait. »
Communisme, Tsonga et Tiers état
Dès lors, quelle(s) solution(s) apporter pour redonner corps aux quarante tournois 250 qui composent le circuit ATP ? Jean-François Caujolle voit venir la principale gros comme une maison, et s’y oppose fermement. « Non, augmenter les garanties financières des joueurs, on ne peut pas. Pour Djokovic et Nadal, c'est un million d'euros pour leur présence. On ne les a pas. On ne peut pas, à un moment donné, payer un joueur comme Tomas Berdych 500 000 euros. Ça ne voudrait plus rien dire. On ne peut pas rentrer dans ce jeu ». En effet, s’il est interdit aux évènements du Grand Chelem et aux Masters 1000 de distribuer des primes d’engagement à certaines stars, rien n’empêche les ATP 500 et 250 de s’y risquer. Bien entendu, si un joueur déclare forfait avant le début de la compétition, cette dotation est annulée. « Cela peut nous permettre de faire des économies, certes, mais les têtes d’affiche manquent à l’appel, le public ne répond pas et les sponsors non plus. C’est un cercle vicieux », précise Julien Boutter. Pour ce dernier, comme pour son homologue marseillais, le remède se situerait davantage dans la « libéralisation du circuit », c’est-à-dire un ajustement du nombre de points reversés en tournoi en fonction des dotations. « Tant qu’on ne donne pas plus d’importance sportive aux tournois, ça ne fonctionnera pas, tranche Caujolle. Aujourd’hui, tous les Masters 1000 offrent le même nombre de points aux joueurs selon leurs résultats. Or, ils ne se valent pas tous et ne sont pas autant rémunérateurs. Pareil pour les 500, pareil pour les 250. Tsonga m’a dit un jour : ‘Il faudrait que je sois fou pour venir jouer à Marseille, où est mon intérêt ?’ Je le comprends : pour gagner à l’Open 13 il va devoir battre quatre top 10, alors qu’à Casablanca, Quito ou Zagreb, zéro, pour le même nombre de points gagnés… »
Mais les joueurs, justement, qu’en pensent-ils ? « Ils ne sont pas forcément satisfaits du système actuel, pense savoir l’organisateur marseillais. Ce qu’ils veulent c’est plus de liberté, plus de flexibilité pour pouvoir jouer où ils le souhaitent. McEnroe avait dit que c’était un ‘système communiste’, il avait un peu raison ». Même si Julien Boutter est persuadé que « les 250 sont l’ADN de l’ATP, car c’est ce qui fait vivre la grande majorité des joueurs », les meilleurs joueurs de la planète « n’ont plus aucun intérêt à disputer un tournoi 250, en tout cas sportivement », tranche-t-il. « À la limite, il vient pour se préparer et prendre le chèque, c’est tout ». Entre le court terme et le long, difficile donc de s’ajuster dans un univers mouvant. « Le circuit féminin, qui a perdu son sponsor principal, a misé sur l’Asie de manière presque exagérée au détriment des terres historiques du tennis, constate Jean-François Caujolle. Et je ne suis pas sûr que le pari sera gagnant. L’ATP a été plus respectueux de la tradition ». Traditionnel au point de placer, année après année, les tournois ATP 250 en position de « Tiers état » du circuit traditionnel, selon la formule de Caujolle. Prêt, néanmoins, à faire sa révolution ?