Il fut un temps où il se faisait « debout ». Puis dans les années 70, le changement de côté est passé en position « assise » pour ponctuer un match de tennis de temps morts, et ainsi permettre aux télévisions d'envoyer des messages publicitaires tous les trois jeux. Grâce à eux, des joueurs se sont illustrés, lors de scènes insolites ou inattendues, révélatrices en tout cas de leur état mental du moment. Entre perruque peroxydée et akène de pissenlit.
1/ Lecture, traité commercial et Jean-Luc Godard
« Sur un court, plus vous êtes stupide, mieux vous jouez ». Bien qu’auteur de cet aphorisme, Jim Courier n’était pas ce quelqu’un qu’on pouvait traiter d’idiot. Au contraire. Amoureux de lecture, l’Américain eut la bonne idée lors d’une rencontre de poule au Masters 1993 de sortir un livre au moment de changer de côté. Son titre ? Maybe the moon, du célèbre écrivain américain Armistead Maupin. Le geste choqua le monde feutré du tennis. « Comment a-t-on pu lui reprocher de lire un livre entre deux échanges ? Nous aurions dû, au contraire, signer une pétition pour soutenir son geste », s’insurgea même le cinéaste français Jean-Luc Godard. Mieux, on vit ensuite Jim Courier, lors d’un autre changement de côté, poser une question à son entraineur sur les accords Nafta, ce traité commercial dont débattait dans le même temps le Congrès américain.
2/ « Ne triche pas Emilio »
En 1988, la télévision française diffuse pour la première fois des annonces publicitaires lors des changements de côté, ces moments d’inaction présumée. Heureusement, elle n'est pas passée à côté, cette année-là, d’une scène où Yannick Noah accable Emilio Sanchez en penchant la tête derrière la chaise d'arbitre, en 8ème de finale de Roland-Garros. Fatigué par l'attitude de l’Espagnol, qui discute sans raison des décisions d'arbitrage, le Français lui balance : « Bravo, bravo ! On est des bons copains. Continue. C'est un jeu. Ne triche pas. Ne triche pas Emilio. Ne triche pas, après tu ne pourras pas dormir tranquillement ». Sanchez fera mine de ne pas entendre. Evidemment…
3/ Les raquettes brisées de Marcos Baghdatis
Pour Marcos Baghdatis, l’Open d’Australie est le tournoi de toutes les émotions. Des plus nobles - lorsqu’il atteint la finale de Melbourne en 2006 - en passant par les plus embarrassantes, lorsqu’en 2012, le Chypriote perd l’un de ses services au cours d’une rencontre qui l’oppose à Stanislas Wawrinka. Au changement de côté, il brise sa raquette, puis en sort trois autres de son sac, encore emballées, et les fracasse machinalement au sol. Le tout en 25 secondes seulement. Record du monde.
4/ « J’ai des sentiments comme tout le monde »
Un peu d’émotion dans ce monde de brutes. 24 janvier 1995, malmené par Jim Courier en quart de finale de l’Open d’Australie, Pete Sampras fond en larmes au début du 5e set lors d’un changement de côté. Un spectateur vient de crier : « Fais-le pour ton coach ». En effet, l’Américain est esseulé après le départ de son entraîneur, Tim Gullikson, avec lequel il a gagné 6 tournois du Grand Chelem, obligé de rentrer précipitamment aux Etats-Unis pour se faire hospitaliser après plusieurs malaises sérieux (on lui diagnostiquera une tumeur au cerveau). Jim Courrier, voyant son compatriote en pleurs, lui propose de finir le match plus tard. Proposition gentiment refusée, pour une victoire finale de Sampras. Match au terme duquel le n°1 mondial déclarera : « Je pense que les gens ont compris que j’étais normal (en référence à sa froideur affichée habituellement sur les courts, ndlr). J’ai des sentiments comme tout le monde. Je ne suis pas un robot ».
5/ L’akène de pissenlit de Nadal
Les rituels de Rafael Nadal sont connus, reconnus, archiconnus : il se trifouille dans tous les sens au service, ne marche jamais sur les lignes aux changements de côté et place méticuleusement ses bouteilles devant son banc. Mais pas que. En demi-finale de l’Open d’Australie 2009, « Rafa » poussa la superstition jusqu’à attraper un akène de pissenlit qui rôdait sur le court, avant de le serrer très fort entre ses mains : « J’étais assis. Et on dit que ça porte chance de faire un vœu en le tenant dans sa main. Alors, j’ai ramassé ce truc, je l’ai serré très fort en fermant les yeux et… j’ai demandé de gagner le tournoi. » Vœu exaucé quelques jours après cette victoire en cinq sets et 5h14 de jeu face à Fernando Verdasco… le match le plus long de l’histoire du tournoi !
6/ Coupe au carré de service
La fameuse nuque longue à l’allemande, le haut du crâne rasé avec épaisseur sur les côtés, la raie à gauche cachant le front ou les cheveux en arrière : question coupe de cheveux, Boris Becker a tout essayé. Même de se refaire la frange avec un petit ciseau de salle de bain en plein match, lors d’un changement de côté pendant sa demi-finale de Wimbledon 1988 face à Ivan Lendl. Décoiffant.
7/ Agassi, la fillette et l’autographe
Une perruque peroxydée. Pour son quatrième Roland-Garros, en 1990, André Agassi ne trouve rien de mieux que d’entrer pour son tout premier match face au Canadien Martin Wostenholme avec un postiche sur la tête. Il faut dire qu’à vingt ans seulement, le « Kid » de Las Vegas devait faire face à une calvitie précoce. Ajoutez à cela les odeurs de cigare, qu’il déteste, émanant des loges, et l’Américain fut pout le moins irascible lors de sa mise en bouche parisienne. Cerise sur la gâteau : il refusa de signer un autographe… à une fillette de 6 ans qui s’était invitée sur le court lors d’un changement de côté ! La preuve en images.
8/ Téléphone portable, ola et Twitter
« Je ne sais pas comment je tiens le coup mais je tiens le coup ». Nous sommes en mai 2013, et Gaël Monfils vient de reprendre goût au Central de Roland-Garros. Après avoir passé plus de quatre heures face à Tomas Berdych, le Français met plus de trois heures pour se défaire d’Ernest Gulbis et obtenir son ticket pour les huitièmes de finale. Un match éprouvant au cours duquel il trouve tout de même l’énergie de filmer avec son téléphone portable le public en train de faire une ola, lors d’un changement de côté. « J'ai demandé à l'arbitre si j'avais le droit de le faire. Il m'a dit oui ».
9/ « Les films d’Eddy Murphy sont nuls »
Irina Spîrlea est une joueuse sanguine. Après être devenue, à l’occasion des Internationaux de Parme en 1996, la première joueuse de la WTA à être disqualifiée pour des propos injurieux envers un juge de ligne, la Roumaine récidive l’année suivante avec Venus Williams. En demi-finale de l’US Open 1997, elle bouscule violemment son adversaire près de la chaise d’arbitre lors d’un changement de côté. Après la rencontre, en conférence de presse, l’intéressée mettra l’accrochage sur le compte de l’arrogance de Williams, laquelle refusait apparemment de dévier de sa trajectoire pour aller s’asseoir. Malgré la victoire de sa fille, le père Williams condamnera de son côté le racisme de Spîrlea. Cette dernière de répondre : « Ce n’est pas parce que je n’aime pas le clan Williams que je suis raciste. Les films d’Eddy Murphy sont nuls mais ne m’ont jamais donné envie d’adhérer à une organisation raciste ».
10/ « Je suis peut-être allé trop loin »
Caractériel, bruyant et incontrôlable : voici Jeff Tarango, joueur d’avantage connu pour ses sanctions disciplinaires que pour ses performances sportives. En 1994, au tournoi de Tokyo, l’Américain, mené deux sets à un face à Michael Chang, baisse son short au niveau de ses chevilles et file rejoindre sa chaise à cloche-pied. La raison ? « Je sentais que j’allais laisser cette rencontre alors j’ai voulu attirer la lumière sur moi, histoire que l’on se souvienne plus de mon geste que de la victoire du petit Chinois. Mais je suis peut-être allé trop loin… »