"Terre battue", qui sort en salles ce mercredi, est un film sur la difficulté de réussir, dans le tennis et dans la vie. « Le point de départ, explique son réalisateur Stéphane Demoustier, un temps espoir de la Ligue des Flandres, c’est l’histoire d’un enfant qui veut être un champion et qui n’y arrive pas, avec un père qui est dans une spirale d’échec et contamine son fils inconsciemment. » Ce premier long-métrage de fiction, une joueuse issue de la même Ligue l’a vu: Pauline Parmentier, huitième de finaliste du dernier Roland-Garros. Echange entre les deux Nordistes.
"Au-delà du tennis, Terre battue" n’est-il pas un film sur la difficulté de réussir…
Stéphane Demoustier: C’est un film qui, je l’espère, pose la question de la réussite qu’on projette quand on est enfant dans un environnement instable, un monde d’adulte. J’étais champion de Flandres mais j’ai arrêté très tôt. Au moment où s’est posée la question de partir en sport-études, mes parents n’ont pas voulu et j’ai décroché. Les mecs ont commencé à me battre, et mentalement, le train était parti. Il y a très peu d’élus, donc il y avait peu de chance que j’explose. Ce que j’ai trouvé dommage, c’est de ne pas aller au bout d’un début de talent, d’un début de trajectoire.
Pauline Parmentier : Moi aussi, je suis du Nord, alors quand je suis parti à Talence, après un an à la Ligue, c’était dur mais on m’a montré ce qu’il fallait faire comme sacrifice pour le haut-niveau… En gros, ça veut dire que tu prends l’avion pour l’Australie à Noël et que tu es toute seule dans l’avion. C’est irréel quoi, mais tu sais que ce n’est qu’un temps, et qu’à trente ans, tu passes à autre chose, tu profites. En fait, quand tu es professionnelle, tu ne te dis jamais que tu as réussi, tu atteins certains objectifs mais te dire que ma carrière est réussie, non. Je peux me dire que je suis sur la bonne voie mais tu en veux toujours plus. Quand Llodra dit qu’il a réalisé ses rêves de petit garçon, c’est beau mais ça arrive en fin de carrière. C’est hyper rare d’atteindre ses objectifs en fait, car les rêves de chacun sont hyper hauts.
Réussir, ça veut dire quoi ?
SD : Noah racontait le vide d’après Roland Garros, il s’est rendu compte que ce n’était que ça, du coup, il est tombé de haut. L’objectif atteint avait un double sens chez lui, c’est ce qu’il écrit. Quand on gagne un Grand Chelem, une fois que c’est atteint, tu dois te demander ce qu’il y a derrière.
PP : C’est très rare dans le tennis quand tu rentres chez toi et que tu te dis : « Ah, cette semaine, je n’ai pas perdu… » Nadal, il gagne Roland Garros et le lendemain il joue au Queen’s sur gazon, il n’a pas le temps de profiter. Moi, à mon petit niveau, je sors d’un Roland-Garros que je considère comme réussi (première fois qu’elle atteint les 8èmes de finale d’un Grand Chelemn, ndlr), les gens disent que je vais surfer dessus mais en fait non, j’ai mis trois semaines à digérer. Le train passe super vite, tu n’as jamais le temps de kiffer ce qui se passe, et donc beaucoup de mal à rebondir.
Faut-il une personnalité particulière pour gagner ?
SD : Le tennis est un sport de concentration, il faut être réfléchi… C’est sûrement pour ça que je n’ai pas explosé car j’avais un rapport au jeu trop fait de souffrance et de responsabilité. La boule au ventre, les joueurs l’ont bien-sûr, enfin je crois, non ?
PP : Tout le temps… Je n’ai compris cela que depuis trois-quatre ans. C’est hyper tard, car il ne me reste pas longtemps. Aujourd’hui, je n’ai pas peur de perdre mon jeu. Pendant six mois j’ai été blessée, et je suis descendu à la 250ème place. A ce moment-là, je ne voulais pas que ça se finisse comme ça, je n’étais pas prête et j’aurais pu le vivre hyper mal. La peur de mal faire, c’est vraiment à 14/15 ans que c’est dur à gérer, car tu n’es pas prêt à accepter que c’est un bon stress.
SD : Moi je pétais un câble, mais ce n’était pas un problème pour moi, j’optimisais ce que je pouvais faire, c’est une personnalité…
PP : Moi, pareil. De toute façon, tu es toujours testée, sur tout. Tu fais un rassemblement de jeunes, on te dit que les trois qui sortent de la poule vont aux championnats de France, puis en championnat de France, tu fais une demie et on te dit que tu vas en équipe de France… Alors que c’est aléatoire, tout ça, sur une semaine. C’est dur.
Le film parle aussi de la dureté de l’entraînement…
SD : Le discours c’est que l’entraînement, c’est déjà la compétition. Cette année, Monfils, avant Bercy, hésitait à participer et se sentait obligé de dire qu’en match d’entraînement, il avait mis des branlées à plein de mecs. Quand tu es Monfils, tu n’as pas à te justifier de ça, on s’en fout. Tu te dis que la punition est partout. Les Espagnols ou les Américains ne pensent pas vraiment pareil, me semble-t-il…
PP : Les Américains sont des guerriers, ils ne sont pas dans la remise en question, ils prennent le bon côté de la compétition, c’est showtime. En France, ça juge, ça siffle parfois alors qu’aux Etats-Unis, tu fais le moindre petit truc et ils s’enflamment tout de suite. Ils te mettent très haut, ça aide, cette mentalité faite de jeu et de spectacle.
SD : Quand tu demandes aux autres joueurs de parler d’un joueur français, c’est toujours : « Technique propre ».
PP : A la rigueur, il y a les Russes, elles sont là parce que c’était ça ou rien, chez elles. Les jeunes surtout, elles arrivent à quinze ans, elles ont les dents qui rayent le parquet.
Quand on est joueur professionnel de tennis, peut-il encore y avoir de belles défaites, ou bien ce n’est pas possible de penser comme cela ?
PP : La défaite est toujours difficile mais si tu as gagné plusieurs matchs avant, ça va. Les défaites au premier tour, ça c’est dur. Quand j’étais blessé, je ne regardais même pas le classement mais ça m’a fait prendre conscience que j’avais encore envie de jouer. Au tennis, il faut aimer son sport pour bien jouer. Agassi dit qu’il n’aime pas le tennis dans son livre mais je ne le crois pas.
SD : Moi, non plus. Nadal, il adore son sport. Aucun ne peut se désintéresser du classement, c’est l’essence même.
PP : Tu es tellement dans la concurrence donc à un moment donné, tu te dis que tu n’aimerais pas que cette autre fille gagne tel ou tel match. On peut dire que c’est mesquin mais c’est humain.
SD : Dans le film, je voulais raconter cette expérience de joueur. J’ai filmé en longue focale sur le joueur, avec un gros travail sur le son, la balle, le souffle, les petits râles, tout cela est totalement reconstruit… Ce que je voulais, c’est qu’on éprouve l’exaltation et l’intensité de l’effort, je ne voulais pas reproduire le plan large du tennis. J’ai tourné en pellicule, je me disais que ça nous mettait dans la fiction, ça nous changeait de l’esthétique télévisuelle. L’acteur principal, était très intéressé par les scènes de tennis, tout s’est bien passé… sauf lorsqu’il fallait qu’il perde.
La rivalité entre joueurs, les marques s’en sont saisies…
PP : Les fringues, quand tu les reçois, tu es hystérique. Là, avec Federer et Nadal, le RF et le taureau, les gamins s’approprient le truc, c’est de la folie. Les filles, ça leur parle plus tout ça.
SD : Quand on a reçu le carton Nike pour le film, j’étais comme un dingue. Avoir le contrat, ça voulait dire, j’étais en train de devenir pro.
Dans le film, le personnage du Comité Technique Régional (CTR) de la Ligue, brocarde le tennis féminin, parle du rythme des années 80…
PP : J’étais énervée par cette phrase. Tout le monde dit ça, c’est un enfer. Les joueuses, on évolue à notre rythme, on développe d’autres choses. La puissance, la compétition, la hargne, ça va à l’encontre ce qu’on est vraiment. On devrait être valorisé pour cela… Mais bon, peut-être que, dans vingt ans, on dira d’une joueuse lente qu’elle joue comme les filles des années 2010…
SD : Penses-tu que si Graf parachutée aujourd’hui, elle pourrait suivre ?
PP : Je ne pense pas qu’elle pourrait tenir. La puissance a beaucoup évolué. Des fois, ils mettent des résumés de matchs de l’époque, t’as l’impression que ça avance pas. C’est peut-être aussi la façon de filmer…
SD : Hingis, techniquement, elle savait tout faire. Les filles sont techniquement aussi fortes que les garçons, non ? Sharapova….
PP : Oui, il y a plus de lacunes chez les filles.
SD : Mais du coup, le tennis a perdu en variations. Un mec comme Llodra ou Santoro, ça n’existe plus.
PP : A l’arrivée, les jeunes filles, elles ne s’identifient pas à Sharapova ou Serena, qui ne font rien passer. Tout le monde regarde Nadal et Federer. Qu’est-ce que tu veux vendre Kuznetsova ou Azarenka ? En plus, ces filles-là arrivent avec la capuche et le casque. Nadal, il gagne, il perd, il signe, il va voir les gens. Elles sont en train de tuer un truc. Sauf Halep peut-être, elle a amené un truc un petit peu différent.
SD : La finale Roland-Garros, il y avait une vraie opposition de style.
Quel est le plus dur aujourd’hui ? Le dopage ? Les paris ?
PP : En fait, ça a été tabou longtemps mais maintenant, on se pose tous une question sans réponse. Ils y a des joueurs qui enchainent sept semaines en allant au bout et nous, on va au bout une fois et on a du mal à marcher quatre jours. En France, je me dis qu’on ne peut pas se doper, on est beaucoup contrôlé, on doit dire où on est, partout, tout le temps. Je suis contrôlé cinq-six fois par an. Reste que ça me paraît hallucinant qu’il y a ait un tel écart entre la recherche et le dopage. Mais l’enfer, aujourd’hui, ce sont les paris et les insultes que cela engendre. Le mec t’insulte parce qu’il a paumé 1 euros 50 à cause de toi, ce n’est pas agréable… Une joueuse a une fois répondu sur les réseaux sociaux, un mec lui a envoyé des photos de cercueils. Elle a porté plainte, mais on ne peut rien faire… Du côté des joueurs, l’argent a monté la tête de beaucoup de parents, aussi…
SD : Le tennis, c’est un sport de classe moyenne, qui brasse tellement de monde que le phénomène n’est pas le même. Réussir au tennis, c’est réussir dans la vie, cette folie s’en empare et cristallise des enjeux qui dépassent le jeu.
Propos recueillis par Brieux Férot
A voir : Terre battue, réalisé par Stéphane Demoustier avec Olivier Gourmet, Valeria Bruni Tedeschi et Charles Mérienne. En salles le 17 décembre 2014.