Un physique d’antihéros, corps sec, crâne chauve ; un humour aussi froid que la Sibérie et, surtout, un tennis tout en prise de balle précoce qui lui valut les doux surnoms de « PlayStation » ou « Machine lance-balles ». Boudé des médias mais flamboyant à sa manière, vierge de toute finale en Grand Chelem mais collectionneur de Masters 1000, anti-Marat Safin mais marié à une ‘ex’ de son compatriote serial lover, Nikolay Davydenko, parti à la retraite il y a quelques jours, a laissé une trace unique dans le tennis des années 2000. Retour sur son premier coup d’éclat : sa victoire au BNP Paribas Masters en 2006.
« Je n’ai pas de contrat avec Prince parce qu’ils n’ont pas d’argent. La crise. Je sais que Prince a donné tout le pognon à Sharapova et qu’il ne reste rien pour les autres. » Pas facile d’exister dans le paysage du milieu des années 2000. L’heure est au pimpant, au séduisant. Au glamour des poupées russes de la WTA répondent l’élégance classique de Roger Federer et le magnétisme animal de Rafael Nadal. Quelle place reste-t-il dès lors pour un Nikolay Davydenko, si peu charismatique, même pas spécialement musclé (1,78m pour 65kg) et qui se soucie de son image comme de son premier cheveu perdu à peine l’adolescence passée ? Même les professionnels du marketing s’y perdent : tout numéro 3 mondial qu’il soit, le Russe, né en Ukraine, n’a pas de sponsor. Maillot vierge, modèle de raquette masqué, le seul joueur à s’accrocher à Nadal et Federer n’est pas vendeur.
Ce qui ne l’empêche pas de gagner : quand il attaque le BNP Paribas Masters édition 2006, Davydenko a déjà soulevé quatre trophées depuis janvier, à Pörtschach et Sopot sur terre battue, à New Haven sur dur et à Moscou en indoor. Il a aussi disputé une demi-finale à l’US Open et, avec la Russie, s’apprête à disputer – et à remporter – la finale de la Coupe Davis par BNP Paribas. A Paris, peu lui chaut d’être le seul membre du Top 6 à avoir fait le déplacement, tandis que Federer, Nadal, Nalbandian, Ljubicic et Roddick brillent par leur absence. Davydenko a une occasion en or de remporter un premier titre en Masters 1000 et n’entend pas la laisser filer : pour son entrée en lice, il corrige le Belge Christophe Rochus, 6/0 6/0 en 35 minutes. Le ton est donné. Son compatriote et gros frappeur Dmitry Tursunov pèse à peine plus lourd en huitièmes (6/2 6/2).
Et lorsqu’il balaye l’excellent Mario Ancic, 11e mondial, en quarts de finale (6/3 6/3), le doute n’est plus permis : l’épouvantail du tournoi, c’est lui. « Quand il joue comme ça, il n’y a plus qu’à courir pour rien ou s’arrêter et juste le regarder, lâche le Croate. Ça va tellement vite qu’il vous empêche de respirer. C’est de la PlayStation. Je pense que même Roger Federer ne joue pas aussi vite que lui. »
« New York, c’est crade et ça pue la pisse »
En interview, le Russe ne fait pas non plus de fioritures. L’adversité et les forfaits ? « Qui est là ou qui n’est pas là, ce n’est pas mon problème. Moi, je suis là pour battre les adversaires qui me sont proposés. » La pression de se retrouver favori d’un si gros tournoi ? « La pression ? Ce n’est pas un Grand Chelem. » Un Grand Chelem qui le fasse rêver, alors ? Pas Wimbledon, en tout cas : « C’est le tournoi le plus ennuyeux du monde. Il n’y a rien d’autre à y faire quand vous ne jouez pas. » Ni l’US Open : « New York, c’est crade et ça pue la pisse. » Quand, en désespoir de cause, les journalistes tentent de lui arracher un sourire à l’évocation de son prochain mariage avec la belle Irina, il assène : « Le mariage, c’est surtout pour faire plaisir aux femmes. C’est le moment où tout le monde les regarde porter une belle robe. »
Bravache, Davydenko ? Pas franchement. Plutôt un sensible qui se cache. Son CV en Grand Chelem, famélique eu égard au reste de son palmarès, se chargera par la suite d’en attester. Et quand, en demi-finales du BNP Paribas Masters, il se fait remonter à une manche partout par Tommy Robredo alors qu’il a dominé le premier set, c’est le souvenir de sa faillite quelques mois plus tôt, au Masters 1000 de Hambourg, alors que forfaits et défaites avaient déjà fait de lui le favori théorique pour le titre, qui refait surface. « J’y ai pensé, oui. Mais je pense avoir appris de cette défaite-là. Je ne voulais pas revivre ça », consent à admettre le Russe à l’issue de sa victoire sur l’Espagnol, tout de même 7e à l’ATP (6/3 5/7 6/2).
Le plus dur est en vérité fait avec cette victoire sur Robredo. En finale, l’attend le Slovaque Dominik Hrbaty, bénéficiaire de l’abandon de Tommy Haas au tour précédent. Peut-être le Slovaque, 27e joueur mondial, aurait-il préféré laisser l’Allemand se mesurer à ce Davydenko-là… Tout va trop vite pour lui. Planté sur sa ligne, jouant quasiment chaque coup en demi-volée, le Russe distribue avec aisance et Hrbaty dépoussière les recoins du Central de Paris-Bercy. Au bout d’une heure et demie, plus courte finale de l’histoire du tournoi, c’est déjà fini : 6/1 6/2 6/2, victoire par K-O. de « Terminator » sur « Dominator ».
Airness, Nadal, carte bleue et canne à pêche
Dans les gradins, le public, déjà peu nombreux, a en grande partie déserté dès la fin du deuxième set. L’assistance est tellement clairsemée que, chose rarissime, l’organisation a permis aux spectateurs de changer de place pour descendre s’installer dans les tribunes basses. « Merci d’être venus », les remercie le vainqueur, pince-sans-rire. Avec son numéro parisien – 27 jeux perdus en cinq matchs disputés, un record toujours en vigueur au BNP Paribas Masters – et son franc-parler, Nikolay Davydenko a au moins réussi à taper dans l’œil d’une marque montante, désireuse de se faire une petite place dans le tennis : Airness. Pour fêter ça, le numéro 3 mondial s’offre une dernière salve vengeresse : « Nike et Adidas paient pour que leurs poulains passent à la télévision. Moi, je n‘ai pas de contrat avec eux, alors je ne suis rien. Mais j’emmerde Nike. Oui, vous pouvez l’écrire. J’emmerde Nike. »
Le Russe n’attendra plus non plus très longtemps la véritable reconnaissance sportive : en 2008, il bat Rafael Nadal et s’adjuge son deuxième Masters 1000 à Miami ; le troisième suit à Shanghai, en 2009, encore aux dépens de Nadal. Véritable bête noire de l’Espagnol – six victoires en onze matchs, dont un cinglant 3-0 dans des finales – il signe surtout un Masters ébouriffant en 2009 : outre le Majorquin, il bat Söderling, Federer et Del Potro pour remporter son plus grand trophée. Mais il n’est jamais dupe : « Quelle trace je vais laisser ? Franchement, qui s’intéresse à ce Davydenko ? Il n’a pas gagné de Grand Chelem, n’a pas été numéro 1. Mais ce n’est pas grave : j’ai gagné assez d’argent pour qu’Irina puisse faire autant de shopping qu’elle veut. Et moi pendant ce temps, je serai tranquille à la pêche. »